Analyse du projet de réforme du droit des obligations

 

. Octobre 2013

Le Gouvernement a saisi pour avis le Conseil d’État d’un projet de loi d’habilitation visant notamment à réformer le droit des obligations par voie d’ordonnance.

Le Conseil d’État a émis un avis défavorable, estimant que, eu égard à son caractère fondamental, la matière des obligations ne pouvait être réformée que par le Parlement.

 

. 27 novembre 2013

Au cours du Conseil des ministres de ce jour, une double décision a été prise, contre l’avis du Conseil d’État :

– celle de réformer le droit des obligations par voie d’ordonnance ;

– et celle de soumettre ce projet de loi d’habilitation à la procédure d’urgence, de sorte à briser d’avance toute probable résistance de la Chambre haute.

Le même jour, le projet de loi de modernisation et de simplification du droit et des procédures a été déposé sur le bureau du Sénat (http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl13-175.html).

 

. 16 janvier 2014

Par amendement de ce jour, la commission des lois du Sénat a rejeté la demande d’habilitation du Gouvernement sur l’article 3 du projet.

Comme par anticipation, le projet de la Chancellerie, daté du 23 octobre 2013, a finalement été diffusé quelques heures plus tôt sur le site des Échos, de façon incomplètete, avant de disparaître quelques jours plus tard.

 

. 21-23 janvier 2014

Le Sénat a rejeté à l’unanimité moins une voix l’article 3 du projet habilitant le Gouvernement à réformer le droit des obligations.

Les sénateurs ont fait savoir que, au regard de son importance, cette réforme ne pouvait être réalisée que par la voie parlementaire, et qu’ils étaient prêts à en débattre à partir du mois de mai 2014.

À quoi il a été répondu en séance que, eu égard à l’encombrement de l’ordre du jour du Parlement pour l’année à venir, le temps de discussion nécessaire à l’adoption d’un tel projet rendait improbable toute réforme du titre III du livre troisième du Code civil au cours de l’actuelle législature.

La question est transmise pour discussion à l’Assemblée nationale (http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/simplification_droit_justice_affaires_interieures.asp).

 

. 19 février 2014

La commission des lois de l’Assemblée nationale a maintenu la suppression de l’article 3 du projet dans le but de repousser sa discussion en séance publique.

 

. 16 avril 2014

Réunie en séance publique, l’Assemblée nationale a rétabli l’article 3 et a renvoyé l’ensemble du projet de loi d’habilitation à une commission mixte paritaire.

 

. 13 mai 2014

La commission mixte paritaire a conclu à un désaccord sur l’article 3, de sorte que le projet est renvoyé pour nouvelle lecture devant l’une et l’autre chambres.

Au terme de cette nouvelle navette, le Gouvernement disposera de la possibilité de demander à l’Assemblée nationale – favorable au projet d’habilitation – de statuer définitivement.

 

. 30 octobre 2014

L’Assemblée nationale adopte le projet conforme, lequel est transmis au Sénat.

 

. 22 janvier 2015

Le Sénat rejette en seconde lecture l’article 3 du projet d’habilitation.

 

. 28 janvier 2015

L’Assemblée nationale adopte en seconde et dernière lecture l’article 3 du projet d’habilitation, qui devient l’article 8, sans modification.

Le Gouvernement est désormais habilité à réformer le droit des obligations par voie d’ordonnance dans un délai de douze mois suivant la publication de la loi.

 

. 29 janvier 2015

Soixante sénateurs ont saisi le Conseil constitutionnel de trois griefs d’inconstitutionnalité visant l’article 8 de la loi adoptée par l’Assemblée nationale eu égard :

– d’une part, à l’ampleur de la matière législative abandonnée au Gouvernement ;

– d’autre part, à l’absence de toute urgence justifiant le recours à la procédure accélérée ;

– et de troisième part, à l’insécurité juridique inhérente à la rétroactivité, en matière contractuelle, des éventuelles modifications qui seront apportées aux dispositions de l’ordonnance par la loi de ratification à intervenir.

 

. 12 février 2015

Le Conseil constitutionnel a déclaré l’article 8 conforme à la Constitution en rejetant l’ensemble des griefs dont il était saisi, sans se prononcer toutefois sur celui tiré de l’absence d’urgence dont, conformément à sa jurisprudence, il refuse par principe de connaître (http://www.conseil-constitutionnel.fr/2015-710-dc/decision-n-2015-710-dc-du-12-fevrier-2015.143268.html).

 

. 16 février 2015

La loi a été promulguée par le Président de la République.

 

. 17 février 2015

La loi n° 2015-177 a été publiée au Journal officiel
(https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000030248562&categorieLien=id).

De ce jour, l’ordonnance devra être adoptée dans un délai de douze mois, et le projet de loi de ratification être déposé au Parlement dans un délai de six mois suivant la publication de l’ordonnance, conformément à l’article 27 de la loi d’habilitation.

 

. 25 février 2015

Le texte du projet est soumis à la consultation publique, les contributeurs étant invités à s’exprimer avant le 30 avril 2015 (http://www.textes.justice.gouv.fr/textes-soumis-a-concertation-10179/reforme-du-droit-des-contrats-27897.html).

 

. Mai-juillet 2015

Analyse des contributions reçues par le Bureau du droit des obligations du Ministère de la Justice.

 

. Septembre-décembre 2015

Examen par le Conseil d’État du projet modifié.

 

. 11 février 2016

Publication de l’ordonnance au Journal officiel (https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032004539&dateTexte=&categorieLien=id), accompagnée d’un rapport au Président de la République (https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032004939&dateTexte=&categorieLien=id).

L’entrée en vigueur est avancée au 1er octobre 2016, ce qui, sauf à ce que la loi de ratification soit adoptée en urgence dans l’intervalle, pourrait susciter des problèmes de droit transitoire en cas de modification ultérieure par les parlementaires de la teneur de la réforme, sachant que :

– si la ratification rétroagit en principe au jour de la signature de l’ordonnance (CE, 8 déc. 2000, n° 199072 ; 17 mai 2002, n° 232359, Hoffer) ;

– il en va autrement pour les dispositions de la loi de ratification qui modifieraient la teneur de l’ordonnance, notamment en matière contractuelle (déc. C. constit. n° 2015-710 DC du 12 février 2015) ;

– de sorte que les dispositions de l’ordonnance modifiées par la loi de ratification après le 1er octobre 2016 produiront leurs effets jusqu’à l’entrée en vigueur de cette loi, conservant ainsi leur valeur réglementaire (dans le Code civil…) pour la période intermédiaire.

 

. Premier semestre 2016

Dépôt du projet de loi de ratification dans les six mois suivants la publication de l’ordonnance, conformément à l’article 27 de la loi d’habilitation n° 2015-177 du 16 février 2015.

 

 

ANALYSE DES DISPOSITIONS DU PROJET D’ORDONNANCE
PORTANT RÉFORME DU DROIT DES CONTRATS, DU RÉGIME GÉNÉRAL
ET DE LA PREUVE DES OBLIGATIONS

(vers. février 2015)

Sur la méthode

Il n’est certes plus temps de discuter aujourd’hui de la méthode consistant à réformer le droit des obligations par voie d’ordonnance, à présent que, en dépit de l’avis négatif du Conseil d’État puis de l’opposition du Sénat, la loi d’habilitation a été adoptée en dernière lecture par l’Assemblée nationale, grâce à une procédure d’urgence engagée à cet effet (loi n° 2015-177 du 16 février 2015). On ne manquera toutefois pas de souligner à quel point le choix d’abandonner à l’Administration le pouvoir de moderniser jusqu’aux règles premières de la vie en société est symptomatique de ce qu’est devenu le travail législatif d’une grande démocratie au XXIe siècle. Sans doute ce sentiment n’est-il d’ailleurs pas étranger à la volonté de la Chancellerie de soumettre finalement le projet à la consultation publique, comme par un retour à une démocratie plus directe.

Sur l’intitulé de l’ordonnance

Le projet d’ordonnance porte « réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations ». Cet intitulé ne fait aucune référence aux autres sources d’obligation, alors que les quasi-contrats sont pourtant également concernés par la réforme. Par ailleurs, on peut penser, contrairement aux auteurs du projet qui maintiennent fermement séparées ces deux questions en conservant pour ce faire un titre IV bis au sein du livre III, que la matière probatoire se rattache directement au régime des obligations, auquel la qualification de « général » n’apporte par ailleurs pas une précision déterminante.

Par conséquent, l’intitulé suivant serait sans doute plus exact : « projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, des quasi-contrats et du régime des obligations ».

Sur l’inspiration du projet

On sait que, à l’origine de la volonté de réformer l’un des derniers titres encore debout du Code civil de 1804, se trouve la volonté de réagir à la menace, agitée par la Commission européenne, d’harmoniser le droit des contrats des États membres de l’Union européenne à l’effet de favoriser la libre concurrence au sein du marché unique (sur quoi, v. dern. la proposition de règlement UE (2011)635 du 11 octobre 2011 pour un droit commun européen de la vente). Pour peser dans ce processus pressenti comme inéluctable, il a été jugé indispensable d’avancer dans les négociations fort d’un droit réformé. C’est au fond ce mobile que l’on traduit à travers la volonté de rendre le droit français des obligations plus « attractif » (sur ces considérations, v. déjà le rapport de présentation au projet de réforme du droit des contrats établi par la Chancellerie en juillet 2008).

Dans cette perspective, l’actuel projet d’ordonnance a été pour l’essentiel précédé de trois avant-projets. Le premier, établi sous la direction de Pierre Catala et remis au Garde des Sceaux en septembre 2005 (Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, Doc. fr., 2006), se donnait pour objet de moderniser le droit français des obligations en fixant les solutions de la jurisprudence sans pour autant renoncer aux notions et aux principes qui en forgent l’identité. Le second, rédigé par les services du Ministère de la Justice sur la base du projet Catala et diffusé à partir de 2008, lui apportait déjà des modifications notables, tournant parfois le dos à des concepts essentiels du droit des contrats. Enfin, le dernier projet, élaboré entre 2007 et 2012 sous la direction de François Terré et l’égide de l’Académie des sciences morales et politiques, fut résolument un projet de rupture, n’hésitant pas à proposer sur bien des points des solutions étrangères à notre tradition, souvent inspirées du droit allemand (Pour une réforme du droit des contrats, Dalloz, 2008 ; Pour une réforme du droit de la responsabilité civile, Dalloz, 2011 ; Pour une réforme du régime général des obligations, Dalloz, 2013). Mais au vu des propositions déjà formulées, il était naturel que ce dernier projet, pour trouver sa place, suggère autre chose, quitte à bouleverser pour ce faire nos habitudes juridiques. Au fond, les services de la Chancellerie étaient simplement invités, face cet éventail de dispositions nouvelles, à opérer des choix que l’on pouvait s’attendre à être mesurés. Or tel n’a pas été le parti retenu. De la façon la plus générale, c’est le dernier projet, c’est-à-dire le plus subversif, qui a emporté l’adhésion des rédacteurs. La comparaison des deux textes ne laisse sur ce point aucune place au doute, la plupart des dispositions du projet d’ordonnance consistant en une reproduction, souvent à l’identique, des textes du projet Terré.

Sur les orientations générales du projet

L’analyse du projet révèle deux grandes orientations, lesquelles traversent plus particulièrement le droit des contrats.

La première tient dans l’accroissement des pouvoirs individuels des contractants, qui vient consacrer, à tous les stades de la vie du contrat, ce mouvement d’unilatéralisation que l’on avait pu identifier il y a une vingtaine d’années déjà. Le phénomène se manifeste en premier lieu lors de la détermination du contenu du contrat, et plus spécialement de son prix, que ce soit à travers sa fixation unilatérale pour les contrats d’application d’un contrat-cadre, pour les contrats à exécution successive (art. 1663) ou même pour toutes prestations de service (art. 1164), ou à travers encore sa réduction unilatérale en cas d’inexécution partielle (art. 1223). Cet unilatéralisme se rencontre aussi à la fin du contrat, où l’on généralise la résolution par simple notification (art. 1226), et où l’on accorde un nouveau droit de résiliation pour imprévision, même si cette autre résiliation unilatérale demeure judiciaire par ailleurs (art. 1196). Et c’est également vrai lorsqu’il est simplement question, entre ces deux termes, de maintenir l’existence du contrat : le projet d’ordonnance permet ainsi de sauvegarder l’accord des parties en le rectifiant dans le sens de l’erreur commise par l’un des contractants (art. 1183), outre la faculté traditionnelle de racheter la lésion lorsque celle-ci est cause de nullité (art. 1147). Enfin, de manière tout aussi remarquable, cette promotion des pouvoirs unilatéraux intervient même à l’effet de prévenir les différends, à travers le développement notamment des actions interrogatoires. Le projet permet ainsi au cocontractant de vérifier si le bénéficiaire d’un pacte de préférence entend ou non s’en prévaloir (art. 1125), d’interroger le représenté sur les pouvoirs de son représentant afin d’obvier au risque d’annulation ultérieur (art. 1157), ou encore de purger un vice du consentement, et plus généralement toute cause de nullité relative, à l’expiration d’un délai légal de six mois (art. 1183).

La seconde grande orientation du projet réside sans nul doute dans l’accroissement des pouvoirs d’intervention du juge sur le contrat. Sur certains points, le projet ne fait certes que consacrer un pouvoir déjà acquis en jurisprudence, comme c’est le cas par exemple pour la suppression des clauses contraires aux obligations essentielles du contrat (art. 1168). Mais à maints égards, le projet pousse plus loin ce pouvoir d’intervention judiciaire, ce que suffit à attester la disposition emblématique suivante, selon laquelle le juge se verrait désormais reconnu la faculté d’expurger de leurs clauses abusives les contrats conclus selon le droit commun (art. 1169).

En définitive, il résulte de cette double orientation une certaine perte de la force obligatoire du contrat, le projet d’ordonnance ne faisant qu’accentuer à cet égard un mouvement profond du droit des contrats, alimenté depuis un siècle par le développement des droits spéciaux et par la perte de substance corrélative d’un droit commun tombé sous leur influence.

Sur le plan du livre III

S’agissant des marques de subdivision, certaines sections ne contiennent que des sous-sections, alors que, en l’absence d’autres subdivisions, il devrait plutôt s’agir de paragraphes (v. not. section 1 sur la conclusion du contrat, et tout le chapitre IV relatif aux effets du contrat). Au demeurant, cette règle est respectée ailleurs dans le plan (not. sous les sections 3 et 4 traitant de la forme du contrat et des sanctions de sa formation). En outre, à une occasion, le projet subdivise un même paragraphe en deux numéros qu’il n’est pas d’usage de rencontrer dans la rédaction de la loi (v. art. 1310 et s., infra).

S’agissant du plan adopté, l’ensemble du titre IV mériterait sans doute d’être réorganisé. En premier lieu, il est permis de penser que la question de la preuve est partie intégrante du régime de l’obligation, en particulier lorsque ce dernier est opposé comme ici aux sources des obligations. Il n’y a donc aucune nécessité de remployer le titre IV bis tel qu’il existe aujourd’hui : le projet pourrait profiter de la réforme pour supprimer du Code civil cette excroissance née de la transposition d’une directive communautaire. Par ailleurs, l’ordre même des chapitres au sein du titre IV peut être discuté. D’un simple point de vue chronologique, il est pour le moins curieux que la modification de l’obligation soit examinée après son extinction. Même s’il est vrai que cette dernière mobilise des notions élémentaires, telles notamment que le paiement, qui peuvent être utiles à l’appréhension des mécanismes plus sophistiqués à l’œuvre dans les transferts et autres opérations sur obligations, il reste qu’un code n’est pas un manuel d’enseignement, et que la logique de son plan doit guider le juriste et le justiciable dans la recherche de la règle applicable. Pour ce qui est enfin de l’intitulé même du titre IV, il ne paraît guère utile, dans un texte de loi, de qualifier de « général » le régime des obligations : l’opposition entre « Les sources des obligations » et « Le régime des obligations » formerait une division plus simple et plus lisible.

Il est donc proposé de substituer au titre IV le plan suivant :

« Titre IV – Le régime des obligations
     Chap. I – Les modalités de l’obligation
     Chap. II – La modification du rapport d’obligation
     Chap. III – L’extinction de l’obligation
     Chap. IV – Les restitutions
     Chap. V – Les actions ouvertes au créancier
     Chap. VI – La preuve des obligations »

Quant au plan du titre III, au-delà de quelques modifications ponctuelles évoquées au fil de son commentaire, une amélioration plus substantielle sera proposée au terme de son examen (art. 1300 et s.).

Sur la rédaction des articles

Certaines dispositions du projet sont formulées entre crochets (art. 1151-1, 1151-2, 1184, 1201 al. 3, 1305-2 al. 2, 1331, 1378-3, …), ceux-ci figurant parfois même jusqu’au sein des dispositions (art. 1304-1, 1321-2 dern. al., …), sans qu’il soit permis de comprendre la signification de cette marque typographique dans un texte normatif. Lorsque l’on examine cependant les dispositions concernées, et qu’on les compare aux différents avant-projets de réforme existants, on réalise que le projet de la Chancellerie traduit par ces crochets l’introduction d’une variante au regard du texte du projet Terré, qui lui a servi de modèle. De façon plus générale, ces crochets paraissent signaler une rédaction facultative ou alternative proposée par les auteurs du projet d’ordonnance.

Le principe d’autonomie qui s’attache à chaque article de loi impose d’ordinaire de limiter les renvois grammaticaux au cadre de la disposition concernée, en évitant de renvoyer par ce moyen à des éléments de syntaxe contenus dans d’autres dispositions. Or nombre d’articles du projet débutent par un pronom personnel censé renvoyer aux dispositions qui précèdent, comme s’il s’agissait des différents alinéas d’un même article. Ainsi, par exemple, les articles 1115 et 1116 du projet sont rédigés comme s’il s’agissait des 2e et 3e alinéas de l’article 1114.

Le projet d’ordonnance tend à mettre systématiquement la marque du pluriel chaque fois qu’il le peut, là-même où elle ne s’impose nullement. La plupart du temps en effet, la préposition « de » introduit à un identifiant qui, en tant que terme générique, ne réclame pas nécessairement le pluriel. Ainsi par exemple « Des sources d’obligation(s) » et « Les autres sources d’obligation(s) », ou encore l’« accord de volonté(s) » de l’article 1101. La même tendance explique sans doute que le projet entérine l’usage contemporain consistant à retenir la qualification de « gestion d’affaires », dans ses intitulés au moins, en lieu et place de celle de « gestion d’affaire » du Code de 1804 (v. art. 1301, infra).

TITRE III – DES SOURCES D’OBLIGATIONS

Sous-titre I – Le contrat

Chapitre I – Dispositions préliminaires
(art. 1101 à 1110)

Article 1101 : « Un contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer des effets de droit. »

Article 1102 : « Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi.

Toutefois, la liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public, ou de porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux reconnus dans un texte applicable aux relations entre personnes privées, à moins que cette atteinte soit indispensable à la protection d’intérêts légitimes et proportionnée au but recherché. »

Article 1103 : « Les contrats doivent être formés et exécutés de bonne foi. »

Article 1104 : « Le contrat est synallagmatique lorsque les contractants s’obligent réciproquement les uns envers les autres.

Il est unilatéral lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci. »

Article 1105 : « Le contrat est à titre onéreux lorsque chacune des parties reçoit de l’autre un avantage en contrepartie de celui qu’elle procure.

Il est à titre gratuit lorsque l’une des parties procure à l’autre un avantage sans recevoir de contrepartie. »

Article 1106 : « Le contrat est commutatif lorsque chacune des parties s’engage à procurer à l’autre un avantage qui est regardé comme l’équivalent de celui qu’elle reçoit.

Il est aléatoire lorsque les parties, sans rechercher l’équivalence de la contrepartie convenue, acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes attendus, d’un événement incertain. »

Article 1107 : « Le contrat est consensuel lorsqu’il se forme par le seul échange des consentements quel qu’en soit le mode d’expression.

Le contrat est solennel lorsque sa formation est subordonnée à des formalités déterminées par la loi.

Le contrat est réel lorsque sa formation est subordonnée à la remise d’une chose. »

Article 1108 : « Le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont librement négociées entre les parties.

Le contrat d’adhésion est celui dont les stipulations essentielles, soustraites à la libre discussion, ont été déterminées par l’une des parties. »

Article 1109 : « Le contrat cadre est un accord par lequel les parties conviennent des caractéristiques essentielles de leurs relations contractuelles futures. Des contrats d’application en précisent les modalités d’exécution. »

Article 1110 : « Le contrat à exécution instantanée est celui dont les obligations peuvent s’exécuter en une prestation unique.

Le contrat à exécution successive est celui dont les obligations d’au moins une partie s’exécutent en plusieurs prestations échelonnées dans le temps. »

I. Présentation

Les dispositions préliminaires reprennent pour l’essentiel les définitions figurant aux actuels articles 1101 et suivants du Code civil en y ajoutant cependant trois nouvelles divisions. Par ailleurs, deux de ces articles hissent la liberté contractuelle et la bonne foi au rang des principes directeurs du droit des contrats.

II. Analyse

L’article 1102 consacre le principe de liberté contractuelle, dans toutes ses manifestations, tout en l’assortissant des nombreuses limites qui lui sont imposées en droit positif, à travers le respect de l’ordre public et des droits fondamentaux. Ce faisant, le projet d’ordonnance crée donc un doublon de l’article 6 du Code civil sans qu’il soit apparemment prévu d’abroger cette autre disposition. Lorsque l’on y ajoute encore à l’article 1161 du projet que le contrat est nul lorsque son contenu ou son but est contraire à l’ordre public, cela commence à ressembler à une législation itérative. Dans ces conditions, il conviendrait sans doute de supprimer l’article 6 du Code civil, qui est appelé à ne plus rien énoncer de plus que ce que disposeront à l’avenir les futurs articles 1102 et 1161 de ce code. Quant à la bonne foi, objet de l’article 1103 du projet, on ne s’étonnera pas de voir son empire étendu à la formation du contrat, considérant l’importance considérable prise par l’obligation d’information au cours de ces dernières décennies. On se permettra seulement d’observer que le cantonnement de l’article 1134, alinéa 3, du Code civil à la seule exécution du contrat se justifiait par le fait qu’il n’était alors question que de juger du respect de la foi jurée par les parties contractantes, la « bonne foi » précédant cet engagement n’ayant plus du tout la même source ni la même nature.

S’agissant des catégories contractuelles, le projet actualise certaines définitions, dont en premier lieu celle du contrat, laquelle reste néanmoins de facture très classique. Les autres concernent, suivant en cela le Code de 1804, les contrats synallagmatiques ou unilatéraux, à titre onéreux ou gratuits, commutatifs ou aléatoires, ou encore les contrats consensuels, solennels ou réels. Ont été ajoutés à cette liste traditionnelle les contrats de gré à gré ou d’adhésion (art. 1108), les contrats-cadres distingués des contrats d’application (art. 1109), ainsi que les contrats à exécution successive ou au contraire instantanée (art. 1110), ces dernières catégories étant par la suite utilisées pour circonscrire notamment le pouvoir de fixation unilatérale du prix dans les contrats (art. 1163).

Pour ce qui est de reproduire ou de moderniser les définitions figurant dans l’actuel Code civil, on aurait probablement pu s’abstenir de reprendre comme les auteurs l’ont fait celles concernant les contrats synallagmatiques ou unilatéraux, d’une part, et les contrats à titre onéreux ou gratuit, d’autre part. Car, au vu de la rédaction adoptée par le projet, il devient impossible de comprendre ce qui distingue proprement le contrat synallagmatique du contrat à titre onéreux, ou le contrat unilatéral du contrat à titre gratuit, dès lors que l’absence d’engagement réciproque du contrat unilatéral (art. 1104) recoupe très exactement l’absence de contrepartie du contrat à titre gratuit (art. 1105). Une distinction ne devient possible que si l’on a égard à l’intention des parties, aussi vrai que l’on peut s’engager seul au profit du cocontractant sans être pour autant mû par une intention libérale à son égard (promesse unilatérale de vente, cautionnement, etc.). C’est ce que le Code civil signifiait lorsque, en lieu du contrat à titre gratuit, il visait le contrat de bienfaisance. En supprimant cette dernière qualification, le projet d’ordonnance supprime par là même toute possibilité de distinction.

Les catégories nouvelles, pour leur part, ne susciteront sans doute pas beaucoup d’objections, tant les définitions retenues par le projet se conforment à celles que l’on rencontre généralement dans les ouvrages. On peut toutefois s’interroger sur la pertinence de la définition adoptée à l’article 1108 pour distinguer les contrats d’adhésion des contrats de gré à gré. À s’en tenir en effet au seul critère de la libre négociation des stipulations contractuelles, comme le fait le projet, on aboutit à intégrer dans la catégorie des contrats d’adhésion des conventions que l’on n’a sans doute pas eu l’intention de viser. Il n’est pas sûr ainsi, au vu des conséquences qui pourraient s’attacher à cette qualification, que l’on veuille y soumettre l’hypothèse dans laquelle une offre quelconque faite par un particulier aurait été acceptée par un autre sans que celui-ci ait même cherché à en négocier les termes. Il ne semble pas non plus que l’on puisse raisonnablement y comprendre le cas dans lequel un pollicitant aurait simplement précisé que son offre n’était pas négociable. Le contrat d’adhésion, ce n’est pas le contrat non négocié, et ce n’est pas non plus tout contrat non négociable : c’est le contrat non objectivement négociable, pour des raisons tenant notamment à la qualité des parties ou aux circonstances qui ont présidé à la conclusion de l’accord. Au fond, ce que l’on vise sous cette qualification, c’est l’hypothèse dans laquelle l’acceptant aurait été plus ou moins contraint de contracter – sans l’être toutefois au point de vicier son consentement – et de le faire alors aux conditions de l’offrant. C’est pour cette raison seulement qu’il y a lieu d’interpréter l’accord ainsi formé contre les intérêts du stipulant (art. 1193 proj.), ou d’en écarter encore les clauses jugées abusives, pour autant que les auteurs du projet acceptent de cantonner à sa juste mesure le champ de cette autre disposition (art. 1169 proj.).

Au vu de ces observations, il est proposé, d’une part, de modifier l’article 1105 de sorte à mettre en évidence le critère subjectif permettant seul de distinguer les contrats onéreux ou à titre gratuit des contrats synallagmatiques ou unilatéraux, et, d’autre part, de préciser la définition des contrats d’adhésion ou de gré à gré posée à l’article 1108 du projet en y insérant cette fois un critère objectif.

III. Proposition

Article 1105 :

« Le contrat est à titre onéreux lorsque chacune des parties s’engage en considération de l’avantage personnel qu’elle en retire.

Il est à titre gratuit lorsque l’une des parties s’engage dans le but de procurer un bienfait à son cocontractant. »

Article 1108 :

« Le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations essentielles ont été ou pouvaient être librement négociées entre les parties.

Le contrat d’adhésion est celui dont les stipulations essentielles ont été soustraites à toute possibilité de négociation du fait de la nature de l’engagement, des circonstances de sa formation ou de la qualité des parties. »

[Le reste sans changement]

Chapitre II – La formation du contrat

Section 1 – La conclusion du contrat
(art. 1111 à 1126-8)

Article 1111 : « L’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent satisfaire aux exigences de la bonne foi.

La conduite ou la rupture fautive de ces négociations oblige son auteur à réparation sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle.

Les dommages et intérêts ne peuvent avoir pour objet de compenser la perte des bénéfices attendus du contrat non conclu. »

I. Présentation

Après avoir rendu hommage aux principes de liberté et de responsabilité applicables aux négociations contractuelles, l’article 1111 précise aux termes d’un troisième et dernier alinéa que la faute commise dans la conduite ou la rupture des pourparlers ne pourrait en aucun cas donner lieu à l’allocation de dommages-intérêts positifs, c’est-à-dire visant à replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si le contrat avait été conclu.

II. Analyse

La solution retenue par le projet de réforme est sur ce point conforme à la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation, qui exclut désormais toute possibilité de réparer en un tel cas la perte de chance d’obtenir l’avantage attendu du contrat (3e civ., 28 juin 2006, Bull., III, n° 164 ; Rapp., p. 399 ; 7 janv. 2009, Bull., III, n° 5 ; Com., 18 sept. 2012, Bull., IV, n° 163 ; 1re civ., 19 déc. 2013, Bull., I, n° 253), après avoir longtemps admis le contraire (Com., 2 nov. 1993, Bull., IV, n° 380 ; 25 févr. 2003, n° 01-12.660 ; 3e civ., 30 mars 2005,  n° 04-10.662).

Cette solution mériterait pourtant d’être assouplie en fonction de la nature de la faute, selon qu’il s’agit justement de poursuivre ou de rompre les pourparlers. Dans le premier cas, il n’y a effectivement aucune raison pour que la conduite abusive de pourparlers donne lieu à réparer un autre préjudice que celui résultant du coût de cette négociation (Com., 26 nov. 2003, Manoukian, Bull., IV, n° 186), ou encore même de la perte de chance de conclure pendant ce temps un autre contrat avec un tiers (Com., 18 juin 2002, n° 99-16.488). Mais lorsqu’il est question en revanche d’avoir empêché la conclusion de l’accord, et non pas d’avoir poursuivi une négociation vouée à l’échec, il est difficile de penser que le préjudice principal puisse consister en autre chose que la perte de chance de conclure le contrat qui était l’objet des négociations. Sans doute le principe va-t-il toujours à la liberté de rupture, qui n’est elle-même que le pendant de la liberté contractuelle (Pour une réforme du droit des contrats, Dalloz, 2009, p. 136). Mais précisément, on se situe ici, par hypothèse, dans la situation exceptionnelle où, eu égard aux circonstances, l’exercice de ce droit a été rendu abusif. C’est donc bien en ce cas la rupture, parce qu’elle est abusive, que l’on sanctionne.

En toute hypothèse, il convient de rappeler que l’étendue du préjudice occasionné par la rupture a vocation à être doublement limitée, d’une part par l’appréciation de la chance effectivement perdue, mais aussi, en tout premier lieu, par le fait que l’évaluation du lucrum cessans se comprend alors comme nette du coût réciproque que représentait le contrat pour l’intéressé. À cet égard, il est permis de penser que l’appréciation de la chance de conclure le même contrat avec un tiers ne sera pas radicalement différente de celle que l’on refuse de réparer au titre des dommages-intérêts positifs, si même l’absence de négociations entamées avec ce tiers pourrait la rendre un peu plus faible. De sorte que la prohibition fulminée par l’article 1111, alinéa 3, du projet semble finalement assez vaine. Seul importe au fond que la victime ne puisse pas cumuler l’un et l’autre de ces deux chefs de réparation contradictoires.

Il est donc proposé de supprimer la précision selon laquelle la rupture fautive des négociations ne pourrait donner lieu à aucune compensation du bénéfice escompté du contrat non conclu.

III. Proposition

1)­ Suppression du 3e alinéa.

2) Rédaction alternative : « La poursuite fautive des négociations ne donne pas lieu à compensation de la perte des bénéfices attendus du contrat non conclu. »

Article 1113 : « La formation du contrat requiert la rencontre d’une offre et d’une acceptation, manifestant la volonté de s’engager de chacune des parties.

Cette volonté peut résulter d’une déclaration ou d’un comportement de son auteur. »

I. Présentation

Il est très classiquement rappelé par le projet que le contrat se forme par la rencontre d’une offre et d’une acceptation. Toutefois, la formulation adoptée (« La formation du contrat requiert… ») laisse entendre qu’il ne pourrait se former que de cette façon.

II. Analyse

Si ce cas de figure est assurément le plus répandu, il n’est cependant pas exclusif d’une autre procédure consistant, non pas dans la rencontre d’une offre et d’une acceptation, mais dans l’adhésion commune à un projet préalablement établi, qu’il l’ait été par les parties elles-mêmes ou par les soins d’un tiers. La pratique est courante dans le milieu des affaires, et exiger que soient formulées en toute hypothèse une offre suivie d’une acceptation revient à imposer aux contractants un formalisme inutile et d’ailleurs contraire au principe du consensualisme rappelé à l’article 1102, alinéa 1er, du projet.

Il est donc proposé de préciser que le contrat peut se former autrement que par la rencontre d’une offre et d’une acceptation ou, à tout le moins, d’adopter une formulation moins impérative.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« Le contrat se forme par la rencontre d’une offre et d’une acceptation manifestant la volonté de s’engager de chacune des parties.

Il peut également se former par l’adhésion conjointe à un projet commun. »

Article 1115 : « Elle peut être librement rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue à la connaissance de son destinataire. »

Article 1116 : « Elle ne peut être révoquée avant l’expiration du délai expressément prévu, ou, à défaut, avant l’expiration d’un délai raisonnable. »

Article 1117 : « La révocation de l’offre, en violation de l’obligation de maintien prévue à l’article 1116, n’engage que la responsabilité extracontractuelle de son auteur, sans l’obliger à compenser la perte des bénéfices attendus du contrat. »

I. Présentation

La simple offre devient un engagement obligeant son auteur à la maintenir, soit pendant le délai d’acceptation stipulée, soit même, à défaut, pendant un délai raisonnable. L’offrant se trouverait ainsi privé en toute occurrence de la liberté de déterminer la portée de sa déclaration : il pouvait jusqu’alors préciser si sa proposition était ou non irrévocable ; demain, il ne le pourra plus, toute offre de contracter devenant nécessairement irrévocable.

Quant à la sanction de la rétractation effectuée en méconnaissance de l’irrévocabilité de l’offre, il est prévu de la limiter à l’allocation de dommages-intérêts, à l’exclusion de toute conclusion forcée du contrat, la rétractation effectuée en méconnaissance de l’irrévocabilité de l’offre. À cet égard, le projet reproduit la solution précédemment posée en matière de rupture de pourparlers (art. 1111, al. 3) selon laquelle la rupture ne donne droit à aucune compensation du bénéfice attendu du contrat.

II. Analyse

Conformément aux présupposés de la liberté contractuelle, il a longtemps été admis en droit français, jusqu’à une époque récente au moins, que toute offre de contrat était librement révocable, sous la seule réserve de l’abus dans l’exercice de ce droit (Civ., 3 févr. 1919, DP 1923, I, p. 126 ; 1re civ., 13 juin 1984, Bull., I, n° 193 ; Com., 6 mars 1990, Bull., IV, n° 74). Cette solution est toujours aujourd’hui celle, notamment, du droit anglais (G. Treitel, The Law of Contract, 11e éd., Sweet & Maxwell, London, 2003, p. 41), du droit américain (Restatement Second on contracts, § 42) et du droit italien (C. civ. italien, art. 1328, al. 1er), et elle a encore été récemment reconduite par le législateur français à l’occasion de l’introduction de la fiducie (C. civ., art. 2028). À l’opposé, le droit allemand tient l’offre de contrat comme irrévocable (d’après BGB, § 145 ; rappr. ABGB, § 862, et CO suisse, art. 3), mais parce qu’il repose sur ce principe d’abstraction que toute déclaration de volonté, considérée du point de vue de son destinataire, se présente comme un engagement, sans égard à cet endroit pour l’intention de son auteur. Prenant acte de la distance séparant le système germanique de celui des pays de common law et de la plupart des pays civilistes, dont la France, les instruments internationaux ont adopté pour voie médiane la règle selon laquelle l’irrévocabilité ne concernerait que les offres stipulées avec délai, de sorte à présumer qu’en fixant ainsi le temps de l’acceptation, le pollicitant s’engagerait en contrepartie à ne pas se rétracter (v. not. LUFC, art. 5, § 2 ; CVIM, art. 16, § 2, a ; Principes Unidroit, art. 2.1.4 (2) a ; PDEC, art. 2:202 (3) b), à partir de la solution valant en droit allemand pour les offres de récompense (BGB, § 658 (2) ; v. égal. ABGB, § 860 a). Depuis lors, cette solution de compromis a été adoptée par plusieurs pays à l’occasion de la réforme de leur droit des obligations (C. civ. Québec, art. 1390, al. 2, et NBW, art. 6:219 (1)), si bien qu’elle a fini par pénétrer également les esprits des juristes français à la faveur des réflexions menées depuis les années 1990 sur une éventuelle réforme du droit des contrats, à présent sur le point d’aboutir. En son dernier état cependant, la jurisprudence paraît s’en tenir à la révocabilité traditionnelle de l’offre de contrat (3e civ., 17 sept. 2014, Bull., III, n° 108), les décisions parfois citées en sens contraire ne concernant en réalité que le délai de validité de l’offre, ce qui est bien différent (3e civ., 25 mai 2009, Bull., III, n° 117 ; 20 mai 2009, Bull., III, n° 118).

De là, une première observation. Un tel mouvement se donne au fond pour objet d’introduire au sein du droit interne une solution qui n’a été élaborée que pour les échanges internationaux et sans autre perspective que celle, purement pragmatique, de proposer une troisième voie pour parvenir à un compromis entre deux traditions juridiques antinomiques l’une à l’autre. Or le droit français des contrats, en tant qu’il est régi par le principe de liberté contractuelle, appartient à l’une de ces traditions. Il n’a donc pas pour sa part à composer pour rechercher une quelconque adhésion. Si celle que l’on espère ainsi obtenir tient dans le rayonnement que l’on voudrait restituer au Code civil, il est permis de penser que ce n’est pas en suivant un modèle étranger, fût-il international, que l’on peut espérer servir soi-même de modèle.

Surtout, l’actuel projet d’ordonnance s’expose à une critique d’autant plus sérieuse que, dépassant même cette première solution, il se propose de rendre irrévocable, non pas seulement l’offre stipulée avec délai, mais toute offre de contrat sans distinction. À ce régime, ce ne sont plus les instruments internationaux qui servent de modèle au projet de réforme, mais uniquement et directement le système germanique. Modèle qu’il dépasse d’ailleurs puisque, cependant que le droit allemand ne fait de l’irrévocabilité qu’une simple présomption, autorisant l’auteur à stipuler expressément qu’il se réserve le droit de se rétracter, la rédaction de l’article 1116, selon laquelle l’offre « ne peut être révoquée avant l’expiration du délai », neutralise apparemment toute stipulation contraire. Il le dépasse même à double titre, considérant que le projet d’ordonnance ne prévoit pas de limiter la règle, comme le fait le droit allemand, aux seules offres faites à personne déterminée, à l’exclusion de celle faites au public, non plus qu’aux seules offres de contrat synallagmatique. Voici donc comment, en se proposant de prolonger de lui-même un mouvement initié ailleurs et à d’autres fins, le projet de réforme en viendrait à achever une véritable révolution conceptuelle, opérée en une vingtaine d’années à peine, consistant à détacher la formation du contrat de la volonté de ses parties, et de celle du pollicitant singulièrement.

Car, fondamentalement, interdire la rétractation de l’offre par son auteur revient bien à forcer au maintien de sa proposition contre sa volonté. Ce faisant, on contrevient à l’essence même du contrat dont la force obligatoire comme la définition traditionnelle, d’ailleurs rappelée à l’article 1101 du projet, résident tout entières dans l’accord des volontés. En adoptant cette règle nouvelle, l’acceptation pourra être donnée à un engagement dont l’offrant ne voulait plus et qu’il aura néanmoins été contraint de maintenir. Il est facile de comprendre que forcer ainsi à la conclusion d’un engagement contre la volonté de l’une au moins de ses parties inaugure le contrat sous de bien mauvais auspices, de sorte que l’on se donne toutes les chances que la convention ainsi formée suscite d’entrée de jeu les pires difficultés.

Même sur le terrain économique, le principe de l’irrévocabilité de l’offre porte en lui cet effet a priori que chacun hésitera d’autant plus à formuler une offre de contrat qu’il se sait d’emblée engagé à la maintenir. Par suite, une règle aussi défavorable aux pollicitants aura pour conséquence immédiate de réduire le nombre d’offres et, par voie de conséquence, le nombre même des échanges, dont dépend pourtant la création de richesse moteur de croissance.

À quoi il convient d’ajouter qu’étendre cette irrévocabilité même aux offres stipulées sans délai revient à abandonner la question, dont on peut penser qu’elle mérite des réponses claires, à l’indétermination de la notion prétorienne de « délai raisonnable » et aux incertitudes qui en résultent pour les deux parties.

Il s’y joint en outre une difficulté d’ordre logique puisque l’article 1118 du projet retient précisément les mêmes critères de délai stipulé ou, à défaut, de délai raisonnable, pour déterminer la durée de validité de l’offre. Or, si l’offre est caduque à l’expiration de l’un ou l’autre de ces deux délais, il n’est plus rien à révoquer, de sorte qu’il est incohérent d’énoncer, comme le fait l’article 1116, que l’offre « ne peut être révoquée avant l’expiration » du délai. En réalité, si tel est le système envisagé, il convient de dire, si l’on veut être exact, que « L’offre ne peut jamais être révoquée. »

Qu’est-ce qui justifie d’ailleurs que la simple offre devienne ainsi irrévocable alors que, selon le projet, la stipulation pour autrui, qu’elle soit ou non assortie d’un délai, demeure librement révocable par le stipulant (art. 1207) ? À tout prendre, l’irrévocabilité devrait plutôt concerner la proposition enserrée dans une convention que celle qui résulte d’une simple déclaration unilatérale et précontractuelle.

Au fond, la révocabilité de l’offre est aussi naturelle que l’est la libre rupture des pourparlers, qui se structurent d’ordinaire autour d’un échange de propositions et de contre-propositions. Si l’on reconnaît, comme le fait le projet, un droit à interrompre des négociations sous la seule réserve de l’abus, et que l’on empêche néanmoins l’auteur d’une offre de la révoquer, on ne confère en réalité ce droit de rupture qu’à celui qui viendra d’être rendu destinataire d’une proposition, et qui devra prendre gare à ne pas formuler de contre-proposition avant de quitter les négociations.

Si bien que, en définitive, il est tout à craindre que cette innovation du projet de réforme, au-delà de la subversion qu’elle opère de notre tradition juridique, présente le tort d’être tout à la fois incohérente en regard des autres dispositions du projet et de la définition traditionnelle du contrat qu’il maintient, inconséquente eu égard aux effets que l’on peut en attendre sur le plan économique, et imprévoyante quant au faible niveau de sécurité qu’elle garantit aux parties (pour de plus amples développements, v. sur ce site : Le projet de réforme du droit des contrats, ou l’uniformisation sans sommation).

Quant à la sanction de la révocation, l’article 1117 du projet prend le parti, en la limitant à la seule attribution de dommages-intérêts, de s’écarter de la jurisprudence qui, en l’état du droit positif, paraît vouloir forcer à la conclusion du contrat lorsque la rétractation intervient sur une offre stipulée avec délai et réputée comme telle irrévocable (3e civ., 7 mai 2008, Bull., III, n° 79). En cela, la disposition doit sans doute être approuvée, ne serait-ce que parce qu’elle est seule de nature à maintenir la distinction de régime qui s’impose entre l’offre non acceptée et la promesse de contrat déjà conclue. Toutefois, en tant qu’elle reproduit dans sa dernière proposition la solution de l’article 1111 en l’appliquant à la révocation de l’offre, elle appelle la même critique que celle précédemment développée sous cette autre disposition. Le grief est même d’autant plus fondé ici que, par hypothèse même, la faute qui tient dans la rétractation de l’offre, parce qu’elle coupe court à l’acceptation à venir, a toujours pour effet de priver son destinataire du bénéfice du contrat.

Sous le bénéfice de ces observations, il est proposé de maintenir l’offre librement révocable. À défaut, il conviendrait à tout le moins de limiter l’irrévocabilité à la seule offre stipulée avec délai, étant alors précisé que la règle ne se pose que comme une simple présomption de la volonté de son auteur. Enfin, il importe de supprimer la précision selon laquelle la révocation de l’offre ne pourrait donner lieu à aucune compensation du bénéfice escompté du contrat non conclu.

III. Proposition

1) Nouvelle rédaction :

Article 1115 : « L’offre qui n’est pas stipulée irrévocable peut être librement révoquée tant qu’elle n’a pas été acceptée. »

Article 1116 : « La rétractation de l’offre fait obstacle à la formation du contrat. »

Article 1117 : « La rétractation n’engage la responsabilité de l’auteur de l’offre qu’en cas d’abus dans l’exercice de ce droit ou en cas d’offre stipulée irrévocable. »

2) Rédaction alternative :

Article 1115 : « L’offre qui n’est pas stipulée irrévocable peut être librement révoquée tant qu’elle n’a pas été acceptée, sauf la responsabilité de son auteur en cas d’abus dans l’exercice de son droit de rétractation. »

Article 1116 : « En l’absence d’indication contraire de son auteur, l’offre stipulée avec délai est présumée irrévocable. »

Article 1117 : « La rétractation d’une offre irrévocable avant son acceptation fait obstacle à la formation du contrat et engage la responsabilité de son auteur. »

Article 1118 : « L’offre est caduque à l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, à l’issue d’un délai raisonnable.

Elle l’est également en cas d’incapacité ou de décès de son auteur. »

I. Présentation

Le projet prévoit trois causes de caducité de l’offre : l’expiration du délai pour lequel elle a été stipulée, qu’il s’agisse de celui fixé par l’auteur ou, à défaut, d’un délai raisonnable ; le décès du pollicitant ; son incapacité.

II. Analyse

La disposition reprend la solution traditionnellement enseignée selon laquelle l’incapacité du pollicitant entraîne la caducité de l’offre. Il est permis de penser pourtant que le droit des incapacités a une vocation naturelle à régler cette situation. À partir du moment où l’on n’empêche pas la proposition émise par une personne déjà frappée d’incapacité de former le contrat, sous le bénéfice du régime de protection qui s’offre alors à elle, on ne voit pas ce qui justifie d’empêcher la conclusion du contrat lorsque l’incapacité n’intervient qu’après l’émission de la proposition. Ainsi, le contrat demeurerait conclu, mais sous la seule réserve que la personne protégée, ici l’offrant, n’agisse pas ensuite en annulation ou en révision sur la base des articles 414 et suivants du Code civil et des articles 1144 et suivants de l’actuel projet.

Il est donc proposé de supprimer l’incapacité des causes de caducité de l’offre.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« L’offre est caduque à l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, à l’issue d’un délai raisonnable.

Elle l’est également en cas de décès de son auteur. »

Article 1119 : « L’acceptation est la manifestation de volonté de son auteur d’être lié dans les termes de l’offre.

L’acceptation non conforme à l’offre est dépourvue d’effet, sauf à constituer une offre nouvelle. »

Article 1120 : « Les conditions générales invoquées par une partie n’ont effet à l’égard de l’autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées.

En cas de discordance entre des conditions générales invoquées par l’une et l’autre des parties, les clauses incompatibles sont sans effet. »

I. Présentation

Après avoir défini la notion d’acceptation, à l’effet de préciser à quelles conditions la réponse du destinataire de l’offre forme le contrat, l’article 1119 du projet évoque la situation dans laquelle la prétendue acceptation ne serait en réalité pas conforme à la proposition initiale. Sur ce dernier point, l’article suivant prévoit une solution propre aux contrats élaborés par échange de conditions générales.

II. Analyse

La définition retenue de l’acceptation n’appelle pas de remarques particulières, sauf à s’interroger sur la raison pour laquelle il n’a pas été précisé que son auteur était aussi le destinataire de l’offre, fût-elle faite au public, Car l’acceptation donnée par celui qui n’était pas destinataire d’une offre faite à personne déterminée ne forme aucun contrat. On se permettra également d’ajouter que la définition proposée est aussi peu exacte que l’est la condition du consentement de la partie qui s’oblige posée à l’actuel article 1108, puisque l’on peut aussi bien accepter un contrat qui, pour être unilatéral, ne lie point, à titre principal au moins, celui qui en profite.

Si l’on se penche sur le problème des acceptations non conformes, on pourra sans doute s’étonner de voir le texte employer une expression aussi contradictoire, puisqu’une réponse non conforme ne constitue justement pas une acceptation. Mais l’antinomie se résout d’elle-même si l’on considère qu’il s’agit précisément de régler le cas de celui qui prétendrait accepter tout en modifiant les termes de l’offre.

Reste que, sur ce point, la tradition distingue de longue date selon que les modifications apportées étaient essentielles ou simplement accessoires (les fameuses essentialia et accidentalia de Cujas), de sorte à ne pas empêcher la formation du contrat en cas de désaccord mineur. Le fait que l’intégration contractuelle des modifications proposées par le destinataire soit subordonnée à l’accord de l’auteur de l’offre initiale ne met en effet aucun obstacle à la formation du contrat sur les autres stipulations. La précision, que d’autres droits ont pris soin d’apporter (BGB, §§ 154 et 155 ; CO suisse, art. 2, § 1 ; C. civ. Québec, art. 1393, al. 1er ; Restatement Second on contracts, § 27), serait ici utile.

Elle le serait d’autant plus qu’elle permettrait de résoudre une apparente contradiction du projet qui, après avoir empêché le contrat de se conclure pour la moindre variation de l’acceptation, paraît au contraire forcer à cette conclusion au cas d’échange de conditions générales discordantes entre les deux contractants. Se borner en ce cas, comme le fait l’article 1120, alinéa 2, à réduire le contenu de l’accord au seul dénominateur commun sans réserver les clauses déterminantes du consentement des parties, revient bien en effet à imposer la formation du contrat contre la volonté du rédacteur des conditions évincées. Sur une telle base, on en viendrait à écarter systématiquement les clauses de réserve de propriété stipulées par le vendeur dès lors que l’acquéreur aura pris le soin d’indiquer, dans ses propres conditions générales, qu’il entend pour sa part s’en tenir au principe du transfert solo consensu. S’il y a sans doute une certaine logique à faire primer le droit commun lorsqu’il s’agit de déterminer le contenu du contrat, ce raisonnement n’est d’aucune portée lorsqu’il est question de vérifier, en amont, que les deux parties ont bien voulu s’engager. Une solution plus habile, promue par la plupart des instruments internationaux (LUFC, art. 7, § 2 ; CVIM, art. 19, § 2 ; Principes Unidroit, art. 2.1.11 et 2.1.12 ; PDEC, art. 2:208 à 2:210 ; proj. Acad. Privatistes Pavie, art. 16, al. 7), et adoptée par de nombreux systèmes étrangers (v. not. UCC, § 2-207 (2) ; NBW, art. 6:225 (2)), consiste à former le contrat sur la base de la substance convenue, augmentée des clauses accessoires ajoutées par l’acceptant sauf le refus manifesté par le pollicitant de se trouver lié par ces stipulations.

Enfin, on pourrait améliorer, ne serait-ce que sur la forme, la rédaction du premier alinéa de l’article 1120, dont l’objet vise simplement à rappeler pour préalable que le contenu du contrat peut être également déterminé par voie de conditions générales.

Il est donc proposé d’améliorer la définition de l’acceptation ainsi que la disposition relative au contrat déterminé par conditions générales, et d’ajouter, tant pour la contre-proposition que pour l’échange de conditions générales, que l’absence de conformité absolue n’empêche pas la formation du contrat tant qu’elle ne concerne aucun élément qui était essentiel aux yeux des parties. Étant précisé que, à ce stade de la formation du contrat, la notion d’élément essentiel doit se comprendre comme celle d’élément déterminant du consentement, de sorte à faire toujours primer l’intention réelle des parties sur toute espèce d’objectivation de leur volonté.

III. Proposition

Article 1119 :

« L’acceptation est la manifestation de volonté du destinataire de former le contrat dans les termes de l’offre reçue.

L’acceptation non conforme aux éléments essentiels de l’offre est dépourvue d’effet, sauf à constituer une offre nouvelle.

Les stipulations non essentielles ajoutées par l’acceptant sont réputées s’incorporer au contrat, sauf le refus manifesté par l’offrant d’être lié par ces stipulations. »

Article 1120 :

« Les conditions générales invoquées par l’une des parties ne sont opposables à l’autre partie que pour autant que celle-ci les a acceptées après avoir été mise en mesure d’en prendre connaissance.

La discordance entre les conditions générales respectives de l’une et l’autre parties ne fait obstacle à la conclusion du contrat que si elle affecte une ou plusieurs stipulations déterminantes pour la partie qui s’en prévaut. »

Article 1122 : « Le contrat est parfait dès que l’acceptation parvient à l’offrant. Il est réputé conclu au lieu où l’acceptation est parvenue. »

I. Présentation

Le projet abandonne la théorie de l’émission dans la formation du contrat pour souscrire à celle de la réception, de sorte à fixer le moment et le lieu de la conclusion à la date et à l’endroit de la réception de l’acceptation par l’auteur de l’offre.

II. Analyse

Sur ce point encore, le projet innove. Il était classiquement enseigné que le contrat se formait dès l’émission de l’acceptation, et tel paraît être encore la solution du droit positif (Com., 7 janv. 1981, Bull., IV, n° 14 ; Soc., 11 juill. 2002, Bull., V, n° 254 ; 1re civ., 12 juill. 2005, n° 02-13.614), d’ailleurs consacré par quelques dispositions législatives (v. par ex. C. consom., art. L. 121-64, al. 1er, rédact. L. 1998-566 du 8 juill. 1998, pour la formation du contrat de jouissance d’immeuble à temps partagé), si même l’article L. 412-8 le Code rural pose une solution contraire pour l’exercice par le preneur de son droit de préemption (3e civ., 16 juin 2011, Bull., III, n° 103). Plus généralement, la date d’émission est retenue chaque fois qu’il s’agit de donner effet à une déclaration de volonté, qu’il s’agisse de la notification d’une résolution unilatérale (Com., 3 juin 1997, Bull., IV, n° 168), de la date du licenciement (Ass. plén., 28 janv. 2005, Bull., AP, n° 1), ou encore de celle de la rétractation de l’offre (3e civ., 17 sept. 2014, Bull., III, n° 108). En cet état, on peine à comprendre comment les services de la Chancellerie ont pu se borner à justifier leur position par cette seule considération que « la théorie de la réception est confirmée » (selon le rapport de présentation du projet établi en juillet 2008).

Il est vrai que, sous l’influence probable ici encore des instruments internationaux (LUFC, art. 8, § 1, in limine ; suivi par CVIM, art. 18, § 2 ; recopié in Principes Unidroit, art. 2.1.6 (2) ; puis passé in PDEC, art. 2:205 (1) ; et finalement DCFR, livre II, art. 4:205), et de certaines codifications récentes qui s’en sont directement inspirées (C. civ. Québec, art. 1387, et NBW, art. 6:224), la question du maintien de la théorie de l’émission s’est trouvée posée en droit français, en sorte que certains projets récents ont proposé d’y renoncer pour lui substituer la théorie de la réception (projet Catala, art. 1107, et projet Terré, art. 21). Cette innovation porte pourtant en elle un certain nombre d’inconvénients.

Conceptuellement d’abord, la théorie de la réception oblige à nouveau à revoir la définition du contrat compris comme un accord de volonté, telle que rappelée pourtant à l’article 1101 du projet, puisque cet accord, qui se concrétise avec l’expression de l’acceptation, ne suffirait plus en un tel cas à constituer l’engagement, ce dernier étant retardé à la réception ultérieure de l’acceptation.

Pratiquement ensuite, retarder la conclusion du contrat à la réception de l’acceptation revient à exiger de l’acceptant qu’il apporte la preuve d’un fait – la réception de son accord – dont il ignore par nature l’existence. Par suite, elle lui fait l’obligation d’employer systématiquement la forme de l’envoi recommandé avec accusé de réception, et généralise ce faisant un nouveau formalisme probatoire dans la formation du contrat.

Comme par conséquence de ce qui précède, l’acceptant sera naturellement porté à retarder l’exécution du contrat, non pas seulement à la réception de l’acceptation, mais à celle de sa propre réception de l’avis l’informant de ce que son acceptation est bien parvenue à son destinataire. Si bien qu’en retardant ainsi la formation du contrat, on crée une nouvelle cause de ralentissement des échanges, dépourvue de toute justification, et génératrice d’un effet puissamment anti-économique.

Quant à localiser la conclusion du contrat au domicile du pollicitant, cela revient, considérant que les consommateurs ne le sont à peu près jamais, à allotir les professionnels d’un critère de rattachement indu.

Au fond, dans un tel système, l’acceptant se retrouve entièrement soumis à la volonté de son cocontractant, qui, seul, détermine et termine le contrat. Par l’effet de la théorie de la réception, on fait ainsi peser la totalité des risques attachés à la conclusion du contrat sur celui des deux qui, dépourvu du pouvoir de stipulation, ne peut les maîtriser. La théorie de l’émission a au contraire le mérite de répartir la maîtrise de la formation du contrat entre l’offrant, qui en détermine la teneur, et l’acceptant, qui en contrôle la conclusion.

Enfin, que penser du cas de l’acceptation tacite par commencement d’exécution ? Un simple exemple suffit à faire comprendre l’incongruité de la théorie de la réception en une telle hypothèse. Voici un propriétaire qui, partant en voyage pour plusieurs mois, laisse une note à l’attention de son voisin lui proposant de s’occuper de ses plantations en l’échange de la possibilité d’utiliser ses machines-outils pour son propre usage. Si l’intéressé accepte et entretient ainsi le jardin tout en profitant des appareils mis à sa disposition, va-t-on vraiment retarder la formation de l’accord au retour du voisin, plusieurs mois plus tard ? Il est à noter sur ce point que les systèmes qui adoptent la théorie de la réception prévoient en général une exception pour l’acceptation tacite qui résulte de l’exécution par le destinataire, de sorte notamment à éviter les problèmes de restitution si l’offre vient par la suite à être révoquée dans l’ignorance de cette acceptation (BGB, § 151 ; C. civ. italien, art. 1327, al. 1er ; LUFC, art. 8, § 3 ; CVIM, art. 18, § 3 ; Principes Unidroit, 2.1.6 (3)). Or on ne voit aucune exception de ce type dans l’actuel projet, si bien que, en l’état, cette autre difficulté vient encore s’ajouter à toutes celles qui précèdent.

Au regard des inconvénients qui s’attachent à la théorie de la réception, il est donc proposé de maintenir la théorie de l’émission en droit français.

III. Proposition

Nouvelle rédaction : « Le contrat est parfait dès que l’acceptation est émise par le destinataire de l’offre. Il est réputé conclu au lieu où l’acceptation a été exprimée.­ »

Article 1124 : « La promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, consent à l’autre, le bénéficiaire, le droit, pendant un certain temps, d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire.

La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis.

Le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul. »

Article 1125 : « Le pacte de préférence est le contrat par lequel une partie s’engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui pour le cas où elle se déciderait de contracter.

Lorsque, en violation d’un pacte de préférence, un contrat a été conclu avec un tiers qui en connaissait l’existence, le bénéficiaire peut agir en nullité ou demander au juge de le substituer au tiers dans le contrat conclu. Le bénéficiaire peut également obtenir la réparation du préjudice subi.

Lorsque le tiers présume l’existence d’un pacte de préférence, il peut en demander confirmation par écrit au bénéficiaire dans un délai raisonnable.

Cet écrit mentionne en termes apparents qu’à défaut de réponse, le bénéficiaire du pacte de préférence ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers, ni la nullité du contrat, à moins que le pacte ne contienne une clause de confidentialité. »

I. Présentation

Si les articles 1124 et 1125 se donnent notamment pour objet de restituer leur force obligatoire aux contrats de promesse et de préférence, ils optent aussi pour une sanction contestable de la méconnaissance de ces actes. La collusion frauduleuse constituée en violation d’une promesse unilatérale ou d’un pacte de préférence serait sanctionnée par la nullité du contrat ainsi conclu.

II. Analyse

Le projet sera sans doute approuvé en ce qu’il tourne enfin le dos à la jurisprudence qui, par une dérogation inexplicable à la force obligatoire des conventions, refuse, depuis une vingtaine d’années (3e civ., 15 déc. 1993, Bull., III, n° 174), de sanctionner d’exécution forcée les promesses unilatérales (art. 1124, al. 2, proj.). C’est dorénavant la solution contraire qui a vocation à valoir, non pas seulement pour les promesses de vente, mais bien pour toute promesse de contrat, en l’absence de précision contraire d’un article 1124 destiné à régir le droit commun des contrats.

On ne voit pas très bien, en revanche, l’intérêt de ne disposer que pour les promesses unilatérales de contrat, à l’exclusion des promesses synallagmatiques, sauf à confondre absolument ces dernières avec le contrat définitif, et à reconduire ce faisant l’interprétation neutralisante qu’avait faite la jurisprudence précitée de l’article 1589 du Code civil. À partir du moment où l’on entend restituer la force obligatoire des promesses, celle-ci n’est évidemment pas moindre pour les promesses synallagmatiques, qui ne consistent pas à conclure d’emblée le contrat définitif, sans quoi elles n’auraient en effet aucune existence propre, mais à conférer un droit d’option à l’une et l’autre parties, de sorte que l’une quelconque d’entre elles soit mise en mesure de former le contrat sur sa seule décision.

Le projet peut être également approuvé en tant qu’il étend la sanction de la violation du pacte de préférence à tous les cas dans lesquels le tiers cocontractant a eu connaissance de l’existence de cette préférence contractuelle, sans imposer qu’il ait au surplus connu la volonté du bénéficiaire de s’en prévaloir (art. 1125, al. 2, proj.). Cette exigence prétorienne (Ch. mixte, 26 mai 2006, Bull., CM, n° 4) avait en effet rendu tout à fait exceptionnelles les possibilités de sanctionner la force obligatoire du pacte de préférence (seule occurrence connue à ce jour : 3e civ., 9 avril 2014, Bull., III, n° 52). Son fondement même semblait bien fragile, aussi vrai que, la renonciation ne se présumant pas, l’existence d’un droit n’est pas subordonnée à la volonté de son créancier de s’en prévaloir. Si à cet égard donc, le projet mérite l’approbation, on peut être plus réservé sur d’autres points.

La difficulté principale tient à la nature de la sanction prévue en cas de méconnaissance du pacte de préférence ou de la promesse, les auteurs ayant fait le choix de la nullité plutôt que celui de l’inopposabilité. Or il importe de rappeler ici que la notion d’inopposabilité ne se confond pas à celle de nullité, même relative. Si cette dernière a vocation à sanctionner la violation d’une règle de droit objectif, en revanche, seule l’inopposabilité sanctionne l’acte passé en violation d’un droit subjectif. En soi en effet, la méconnaissance du droit d’un tiers ne constitue pas une cause de nullité des conventions. Et il n’en va pas autrement lorsqu’elle trouve son origine dans la collusion frauduleuse des parties à l’acte. Simplement, en ce dernier cas, il est permis au créancier lésé, et à lui seul, de tenir comme dépourvu d’effet à son égard l’acte conclu en fraude à ses droits.

C’est le régime qui a toujours prévalu, notamment, pour la fraude paulienne (v. par ex. 1re civ., 9 déc. 2010, n° 09-70.506), le projet d’ordonnance ne manquant d’ailleurs pas de conforter cette sanction à l’article 1331-2. C’est également la solution que le projet porté par Pierre Catala proposait de consacrer de la façon la plus générale (art. 1106, al. 3 ; art. 1106-1, al. 3, art. 1167, al. 2), et l’on peut seulement regretter que la jurisprudence n’ait pas toujours fait preuve pour sa part d’une grande rigueur terminologique en la matière (Ch. mixte, 26 mai 2006, préc.). C’est fort de ce principe que le Code civil du Québec adopté en 1991 a requalifié l’action paulienne d’« action en inopposabilité », en l’étendant à tout acte passé en fraude des droits d’un créancier (art. 1631 et s.). Le projet Terré reconnaît lui aussi que « l’inopposabilité est, en effet, la sanction traditionnelle de la fraude » (Pour une réforme du droit des contrats, dir. F. Terré, Dalloz, 2009, p. 142), si même il a préféré suivre la proposition de la Chambre du commerce et de l’industrie de Paris visant à remplacer cette inopposabilité par une nullité, que l’on imagine alors relative, « pour des raisons de sécurité juridique », au prétexte qu’un même acte rendu tout à la fois inopposable au créancier lésé et opposable aux autres tiers pourrait être à l’origine d’une situation d’une grande complexité. À l’analyse pourtant, cette crainte est sans fondement. Car de deux choses l’une en effet : soit le tiers lésé n’aura pas agi, et alors l’acte sera toujours opposable à ceux qui l’auront connu ; soit il aura obtenu que l’acte lui soit déclaré inopposable, et tout intéressé pourra alors se prévaloir de cette décision rendue au bénéfice du tiers lésé de sorte à établir que, du fait de cet inopposabilité, l’acte n’aura pas produit son principal effet.

Au-delà de la question de la sanction, le projet d’ordonnance imagine au dernier alinéa de l’article 1125 une première action interrogatoire – il en introduira d’autres par la suite (v. not. art. 1157 et 1183) – à l’effet de permettre au tiers candidat au contrat objet d’un pacte de préférence d’interpeller son bénéficiaire pour purger ainsi, par le silence de ce dernier, le droit de préemption contractuel qui lui avait été consenti. Emportée par le souci du détail, la disposition réserve néanmoins l’hypothèse dans laquelle le pacte de préférence contiendrait une clause de confidentialité, que l’on suppose devoir profiter alors au bénéficiaire de la préférence. Mais au fond, on n’est pas sûr de comprendre ce que les rédacteurs ont eu véritablement à l’esprit en ajoutant cette mention, l’obligation de confidentialité étant sans rapport apparent avec le point de savoir si un tiers peut conclure le contrat visé au pacte de préférence. Au demeurant, si le tiers a pu joindre le bénéficiaire, c’est bien que sa confidentialité n’a pas été respectée, ou qu’elle a en tout cas été inefficace. Et en cette occurrence, on ne voit pas pourquoi on privilégierait les intérêts du bénéficiaire sommé de se manifester sur ceux du tiers qui a légitimement escompté, en l’absence de toute réponse, pouvoir conclure le contrat envisagé.

On peut d’ailleurs s’interroger sur l’opportunité de réserver cette action interrogatoire au seul pacte de préférence. Il est vrai que l’on peut objecter que, la promesse étant nécessairement limitée dans le temps, il n’est aucune raison de permettre au tiers de contourner ce délai contractuel. Encore cela n’est-il tout à fait vrai que lorsque ce délai d’option est lui-même d’une durée raisonnable, ce que n’impose pas le projet en l’état. En tout cas, la faculté de substitution a assurément vocation à valoir aussi bien pour la promesse de contrat, considérant que le promettant peut tout aussi bien rompre son engagement en contractant directement avec un tiers.

En la forme enfin, mais ce n’est plus là qu’un détail, une formule telle que « se décider de contracter » (art. 1125, al. 1er) laisse franchement dubitatif : soit on décide de contracter, soit on se décide à contracter.

Il est donc proposé, au-delà de quelques corrections formelles, d’étendre les dispositions du projet aux promesses synallagmatiques, de conférer la même faculté de substitution aux bénéficiaires de promesses, de supprimer la réserve de confidentialité introduite au profit du bénéficiaire du pacte de préférence interpellé par le tiers cocontractant, et de rétablir l’inopposabilité pour seule sanction de la fraude aux droits des tiers. Pour ce faire, il serait utile d’envisager dans un même article les sanctions pour l’essentiel communes à la promesse et au pacte de préférence.

III. Proposition

Article 1124 :

« La promesse de contrat est une convention par laquelle le promettant consent à un bénéficiaire le droit, pendant un certain temps, d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire.

« Le pacte de préférence est une convention par laquelle une partie s’engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui pour le cas où elle déciderait de conclure un contrat déterminé. »

Article 1125 :

« La révocation unilatérale de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour lever son option n’empêche pas la formation du contrat promis. La révocation unilatérale du pacte de préférence est également dépourvue d’effet.

Le contrat conclu en violation de la promesse ou du pacte de préférence avec un tiers qui en connaissait l’existence est inopposable à son bénéficiaire.

Lorsque, en violation d’une promesse ou d’un pacte de préférence, un contrat a été conclu avec un tiers qui en connaissait l’existence, le bénéficiaire peut agir en inopposabilité, et obtenir à sa demande d’être substitué au tiers dans le contrat ainsi conclu. Il peut également obtenir la réparation de son préjudice.

Lorsque le tiers suspecte l’existence d’un pacte de préférence, il peut demander par écrit au bénéficiaire que celui-ci lui fasse connaître dans un délai raisonnable son intention de s’en prévaloir.

Cet écrit mentionne en termes apparents que, à défaut de réponse, le bénéficiaire du pacte de préférence ne pourra plus invoquer l’inopposabilité du contrat conclu avec le tiers ni solliciter sa substitution dans ce contrat. »

I. Présentation

Ces dispositions relatives aux contrats conclus par la voie électronique reprennent les actuels articles 1369-1 et suivants du Code civil, à l’exception des articles 1369-10 et 1369-11 qui font l’objet d’un paragraphe distinct du projet (art. 1174 à 1177).

II. Analyse

La cohérence chronologique paraît commander de placer les dispositions relatives au contrat conclu par voie électronique, qui tiennent simplement à une autre façon de conclure le contrat, directement après la sous-section relative à l’offre et à l’acceptation et avant celle qui a trait aux avant-contrats que sont la promesse et le pacte de préférence.

III. Proposition

Déplacement de ces dispositions sous la « sous-section 3 » (paragraphe 3), laquelle devient la « sous-section 4 » (paragraphe 4).

Section 2 – La validité [du contrat]
(art. 1127 à 1170)

Article 1127 : « Sont nécessaires à la validité d’un contrat :
1° Le consentement des parties ;
2° Leur capacité de contracter ;
3° Un contenu licite et certain.
 »

I. Présentation

En évoquant pour seule condition de validité des conventions, après le consentement et la capacité des parties, l’existence d’un « contenu licite et certain », l’article 1127 manifeste l’intention des auteurs du projet d’abolir tout à la fois les notions d’objet et de cause du contrat.

II. Analyse

Le projet d’ordonnance est vraisemblablement mû par la volonté de simplifier les conditions de validité des conventions en mêlant dans le seul et même concept de « contenu » les notions d’objet et de cause du contrat. Le contenu contractuel tel que le comprend le projet ne paraît pas pouvoir se confondre en effet au seul objet du contrat, puisque l’on trouve au sein de la sous-section concernée (art. 1161 et s.) des dispositions qui se rattachent aussi bien à l’objet qu’à la cause du contrat (v. infra). Or il est permis de penser que la méthode qui consiste en droit à fondre deux exigences en une seule a pour effet, non pas de simplifier, mais de compliquer les solutions, en les soumettant à une condition dont l’application est rendue d’autant plus incertaine que son degré de définition s’en trouve amoindri. Si l’on reproche à la notion de cause d’être trop vague et de laisser trop de liberté au juge, que faut-il penser d’une notion qui se donne pour ambition de conjuguer tout à la fois la cause et l’objet du contrat ?

Il semble assez vain d’imaginer à cet égard que l’adoption de règles propres à chaque cas d’application envisagé suffise à cantonner efficacement le pouvoir d’interprétation du juge. L’article 1131 du Code civil n’a jamais visé que « L’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite », sans que cela limite beaucoup l’œuvre créatrice de la jurisprudence.

Au fond, ce que l’on reproche à la cause, qui forge depuis Domat l’identité du droit français des contrats, c’est de s’être développée hors du domaine qu’on lui connaissait en 1804, c’est-à-dire, précisément, son utilité. Pourtant, si l’on estime un concept flou ou hypertrophié, alors qu’il est appliqué tous les jours en jurisprudence, ce n’est certainement pas son principe qu’il faut remettre en cause, mais son régime qu’il importe de détailler voire, le cas échéant, de circonscrire. La solution qui tiendrait dans une abrogation de la notion même de cause reviendrait à créer le vide, à provoquer la déformation des concepts voisins, et à désorganiser finalement le système. Or, à cet égard, les quelques dispositions particulières prévues par le projet pour suppléer la disparition de la cause sont très loin de répondre à l’ensemble de ses fonctions actuelles (v. art. 1167 et 1168, infra).

À quoi il convient d’ajouter que, si la cause participe au premier chef de l’identité du droit français des obligations, elle est loin de constituer pour autant, comme on l’a trop souvent présentée, une exception française qui nuirait à la réception de notre droit à l’étranger, ayant au contraire irradié dans bien d’autres pays à travers le monde. Outre la Belgique et le Luxembourg qui, soumis au même Code, n’ont pas jugé utile d’abroger ses articles 1131 à 1133, la notion de cause est connue en Italie (C. civ. italien, art. 1325 et art. 1343 à 1345) et en Espagne (C. civ. espagnol, art. 1261 et art. 1274 à 1277), ainsi qu’au Portugal, en Autriche, en Pologne, en Grèce, et dans nombre de pays d’Afrique, d’Amérique latine et du Proche-Orient. Elle a par ailleurs été reconduite au sein des nouveaux codes civils du Québec (art. 1371 et 1411) et de Roumanie (art. 1235 à 1239). De même, l’Espagne, qui travaille à réformer son droit des obligations, n’a pas estimé devoir supprimer la cause de son code civil (Propuesta para la modernización del Derecho de obligaciones y contratos, 2009). Et il a été démontré par les plus fins comparatistes que la consideration de common law, qui puise à la même source canonique, occupe en droits anglais et américain une position équivalente à celle de la cause en droit français, garantissant elle aussi la réalité de la contrepartie dans les contrats synallagmatiques. Le cas du droit allemand lui-même mériterait lui-même un meilleur examen car, à la faveur de la récente réforme de son droit des obligations, la notion de cause y a fait une entrée remarquable sous les traits du fondement contractuel du contrat (Geschäftsgrundlage), et plus spécifiquement encore du trouble du but contractuel (Zweckstörungen), d’après lequel le débiteur pourrait se trouver libéré si les convictions qui ont fondé son engagement se révèlent finalement inexactes (BGB, § 313 (2)). De sorte qu’il assez consternant d’observer que le droit français s’apprêterait à abandonner la notion de cause au moment précis où celle-ci pénètre le bastion de ses opposants historiques. On n’a sans doute pas assez entendu sur ce point les exhortations des juristes étrangers adressées à leurs homologues français (v. spéc. M. Pasquau Liaño, « L’abandon de la notion de « cause » en droit français : un service au droit européen des contrats ? », Rev. dr. Assas 2010, n° 1, p. 68).

Qu’on la disqualifie ou qu’on la taise, la cause demeure consubstantielle au droit français des contrats. En la maintenant, c’est celui-ci que l’on préserve. Si, donc, l’objectif est d’attraire les systèmes étrangers vers le nôtre, le moyen ne réside probablement pas dans une abrogation incontinente mais dans une explication dont le Code avait jusqu’alors fait l’économie. L’actuel projet s’attache déjà à détailler certaines des applications de la cause (art. 1161, 1167, 1168 et 1186). Il lui suffit de poursuivre cet effort on n’omettant pas ses autres usages (v. infra), et de ne pas dissimuler sous le concept substitué de « contenu » que toutes ces solutions se fondent en réalité sur la condition de cause de l’obligation ou du contrat (sur la question, v. aussi sur ce site : Le projet de réforme du droit des contrats, ou l’uniformisation sans sommation).

Quant à la notion d’objet, sa substitution par celle de « contenu » paraît assez incertaine puisque l’article 1162 rappelle que l’« objet » de l’obligation doit être possible et déterminable, et que de nombreuses autres dispositions du projet identifient encore les obligations en fonction de leur objet (art. 1173, 1197, 1203, 1304-6, 1323-2, 1325-1, 1341 et s.), l’obligation plurale se définissant elle-même par sa « pluralité d’objets » (art. 1306 et s.).

À la faveur de ces observations, il est proposé de conserver l’objet et la cause du contrat comme conditions de validité des conventions. Dans ce cadre, il serait utile de préciser que l’objet et la cause ne doivent pas seulement être certains et licites, mais également possibles, ainsi que le rappelle d’ailleurs l’article 1162 à l’égard de l’objet. Enfin, la rédaction gagnerait à mieux distinguer les conditions de validité du consentement de celles qui concernent le contrat lui-même.

III. Proposition

1) Nouvelle rédaction :

« La conclusion du contrat suppose le consentement des parties contractantes.

Le consentement est valable à la condition d’être donné par une personne capable de contracter et de n’être pas entaché d’un vice en altérant l’intégrité.

Le contrat ainsi formé est valable à la condition que son objet et sa cause soient certains, possibles et licites. »

2) Rédaction alternative :

« Quatre conditions sont nécessaires à la validité d’une convention :
1° Un consentement exempt de vice ;
2° La capacité de contracter ;
3° Un objet certain, possible et licite ;
4° Une cause certaine, possible et licite. »

« Sous-section 1 – Le consentement

§ 1 – L’existence du consentement

Art. 1128. – Pour consentir valablement, il faut être sain d’esprit.

§ 2 – Le devoir d’information

Art. 1129. – Celui des contractants qui connaît ou devrait connaître une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, ce dernier ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Le manquement à ce devoir d’information engage la responsabilité extracontractuelle de celui qui en était tenu. Lorsque ce manquement provoque un vice du consentement, le contrat peut être annulé.

§ 3 – Les vices du consentement »

I. Présentation

La sous-section relative au « consentement » est divisée en trois paragraphes. Le premier est intitulé « L’existence du consentement » et rappelle par un article unique que « Pour consentir valablement, il faut être sain d’esprit. » Le deuxième a trait au « devoir d’information », mais ne se rattache en réalité qu’à l’erreur et au dol. Enfin, un troisième paragraphe regroupe tous « Les vices du consentement » que sont l’erreur, le dol et la violence.

II. Analyse

Le rapprochement du texte de l’article 1128 avec l’intitulé du paragraphe dans lequel il s’insère manifeste une apparente confusion entre existence et validité du consentement. Le consentement donné par une personne atteinte d’un trouble mental existe bien, puisque l’on s’attache justement à en vérifier l’intégrité ; simplement, il n’est pas valablement donné s’il s’avère que le trouble a affecté le discernement de son auteur. Cette confusion entre existence et validité du consentement se rencontre à plusieurs autres endroits du projet (v. not. art. 1171 et 1186).

Au fond, le trouble mental constitue un vice du consentement au même titre que l’erreur, le dol ou la violence. Par ailleurs, le devoir d’information ne concernant en propre que le dol voire l’erreur, il mériterait de n’être évoqué qu’avec ces deux vices du consentement. En revanche, plusieurs autres dispositions concernent toute espèce de vice du consentement.

Pour la même raison, on intégrerait avantageusement l’incapacité (art. 1144 et s.) au sein des vices du consentement, en la détachant pour ce faire des questions de représentation (art. 1152 et s.), qui ne regardent pas fondamentalement la qualité du consentement donné, mais uniquement le point de savoir si un consentement a même simplement été  donné par celui à qui on l’oppose.

Il est donc proposé de réorganiser cette sous-section pour la subdiviser entre les principaux vices du consentement et y introduire un paragraphe liminaire commun à tous.

III. Proposition

1) Nouvelle rédaction :

« Sous-section 1 – Les vices du consentement »

«§ 1 – Dispositions générales »
[art. 1128, 1130 et 1143 proj.]

«§ 2 – La violence »
[art. 1139 à 1142 proj.]

«§ 3 – L’erreur et le dol »
[art. 1129 et 1131 à 1138 proj.]

«§ 4 – L’incapacité »
[art. 1144 à 1151-2 proj.]

2) Rédaction alternative :

« § 1 – Le trouble mental »

Article 1128 : « Pour consentir valablement, il faut être sain d’esprit. »

[La suite sans changement]

Article 1129 : « Celui des contractants qui connaît ou devrait connaître une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, ce dernier ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Le manquement à ce devoir d’information engage la responsabilité extracontractuelle de celui qui en était tenu. Lorsque ce manquement provoque un vice du consentement, le contrat peut être annulé. »

I. Présentation

L’article 1129 fait obligation à tout contractant de révéler à son cocontractant toute information déterminante de son consentement sous peine de dommages-intérêts ainsi que, le cas échéant, d’annulation du contrat pour vice du consentement, c’est-à-dire pour erreur ou pour dol.

II. Analyse

À la lettre, l’article 1129 obligerait tout vendeur à signaler à l’acquéreur que la chose vendue ne vaut pas son prix. C’est le principe même du marché qu’une telle règle remettrait en cause. Il est vrai que, en ce sens, l’article 1138 consacre l’idée généralement reçue selon laquelle le dol peut aussi bien porter sur la valeur de la chose ou de la prestation (v. infra). Mais l’article 1129 dépasse cette autre règle puisqu’il permet de sanctionner même la simple négligence.

Il conviendrait par conséquent de limiter la portée de l’article 1129, spécialement si l’on entend continuer, comme le fait le projet à l’article 1170, de tenir la main au principe selon lequel la lésion n’est pas une cause de rescision des conventions. Autrement, autant l’exprimer clairement : la lésion est une cause de rescision des conventions lorsqu’elle est connue de l’une des parties et ignorée de l’autre.

Il est donc proposé de préciser que l’obligation d’information ne porte pas sur la valeur de la chose ou de la prestation objet du contrat.

III. Proposition

Nouvelle rédaction : « Le contractant qui connaît ou devait connaître une information déterminante du consentement de l’autre partie doit la lui communiquer dès lors que l’ignorance du cocontractant est légitime et qu’elle ne concerne pas la valeur de la prestation convenue. »

[La suite sans changement]

Article 1134 : « L’erreur sur un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation due ou du cocontractant, n’est pas une cause de nullité, à moins que les parties n’en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement.

Néanmoins l’erreur sur le motif d’une libéralité, en l’absence duquel son auteur n’aurait pas disposé, est une cause de nullité. »

I. Présentation

Tout en renonçant par ailleurs à la notion de cause (v. art. 1127, supra), le projet d’ordonnance maintient néanmoins la jurisprudence en vertu de laquelle l’erreur sur le motif constitue une cause de nullité du contrat dès lors que les parties en ont fait expressément un élément déterminant de leur consentement.

II. Analyse

En sanctionnant l’absence de motif déterminant tout en laissant sans sanction l’absence de cause, le projet paraît vouloir entériner l’idée selon laquelle la cause du contrat serait autre chose qu’un motif déterminant du consentement convenu par les parties. Si cette vision peut se prévaloir des conceptions les plus classiques, elle avait cependant été considérablement voilée par l’évolution jurisprudentielle de ces dernières années, qui avait au contraire tendu à l’assimilation en sanctionnant de la même nullité relative l’une et l’autre de ces deux hypothèses.

Par ailleurs, le projet maintient au second alinéa de l’article 1134 la solution traditionnelle selon laquelle, en matière de libéralité, l’absence du motif que le gratifiant avait de s’engager suffit à justifier la nullité, même au cas d’ignorance de ce motif par le gratifié. Cette solution s’impose autant pour des raisons d’opportunité, par égard pour une intention libérale qui a toujours fait l’objet d’une protection particulière par le droit, que pour des considérations simplement pratiques, le gratifié songeant rarement à interroger son bienfaiteur sur les raisons qui l’ont déterminé. Il suffit pour s’en convaincre de penser au cas dans lequel la libéralité procède de la simple exécution d’une obligation naturelle, que supportait en conscience le gratifiant. Au demeurant, il serait bien difficile, s’il fallait avoir aussi égard à la connaissance du gratifié, de sanctionner le défaut de cause dans les libéralités testamentaires lorsque celui-ci entraîne leur caducité (C. civ., art. 476, dern. al.). Si le projet d’ordonnance innove ici, c’est pour cette seule raison que, sur ce point encore, il transfère la sanction tirée de l’absence de cause (v. par ex. Com., 8 avril 1976, Bull., IV, n° 109) à la seule erreur vice du consentement.

En revanche, l’article 1134 du projet cantonne cette solution dérogatoire aux seules libéralités, à l’exclusion des autres contrats unilatéraux que sont, par exemple, les engagements de caution. À cet égard également, le projet se rallie à la jurisprudence, qui après avoir un temps décidé le contraire (1re civ., 1er mars 1972, Bull., I, n° 70), exigeait depuis longtemps que l’erreur commise par le garant portât sur un motif déterminant connu des deux parties pour pouvoir être sanctionnée de nullité (Com., 6 déc. 1988, Bull., IV, n° 334).

Au total, ces solutions n’appellent donc pas de modifications.

III. Proposition

Sans changement.

Article 1138 : « L’erreur qui résulte d’un dol est toujours excusable ; elle est une cause de nullité relative alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat. »

I. Présentation

En une seule phrase, l’article 1138 pose trois règles distinctes. D’une part, il entérine la formule prétorienne selon laquelle l’erreur qui résulte d’un dol est toujours excusable. D’autre part, il consacre l’idée selon laquelle le dol sur la valeur est une cause de nullité des conventions. De troisième part, il pose la même solution lorsque le dol porte sur « un simple motif du contrat », c’est-à-dire, faut-il sans doute comprendre, sur le motif qu’avait le cocontractant de s’engager.

II. Analyse

Sur le premier point, il serait sans doute plus exact de dire que, dès lors que l’erreur est inexcusable, il ne peut pas y avoir de dol, pour cette simple raison que l’obligation d’information ne pèse plus en ce cas sur le cocontractant. De sorte que, à l’analyse, il est permis de douter, au-delà de son exactitude, de l’utilité même de la disposition.

Sur le deuxième point, il a été montré en doctrine que, pour être admissible, la solution qui consiste à faire du dol sur la valeur une cause de nullité ne peut concerner que le dol par manœuvre, à l’exclusion du simple dol par réticence. À défaut, cela impliquerait en effet, ainsi qu’il a été dit sous l’article 1129, de considérer que toute lésion donne lieu à rescision dès lors que connue de l’une seule des parties.

Quant à la troisième règle, si elle peut apparaître quelque peu imprécise en tant qu’elle vise « un simple motif du contrat », elle n’appelle pas sur le fond de critique particulière, à partir du moment où l’intention de tromper le cocontractant sur le motif que celui-ci avait de contracter établit suffisamment que l’auteur du dol avait nécessairement connaissance du caractère déterminant de ce motif. À noter que, avec les articles 1134 et 1138, le projet consacre une première fonction de la cause du contrat, visée à travers l’erreur ou le dol sur la cause.

Au total, il est préconisé de supprimer la proposition selon laquelle l’erreur provoquée par le dol est toujours excusable ; de préciser que le dol sur la valeur n’est une cause de nullité que pour autant qu’il procède d’une véritable manœuvre ; et de reformuler la règle selon laquelle le dol sur le motif est susceptible de vicier le consentement du cocontractant.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« Le dol qui porte sur le motif qu’avait l’autre partie de contracter est une cause de nullité de son consentement.

Il en est de même du dol sur la valeur de la chose ou de la prestation objet de la convention lorsqu’il résulte de manœuvres exclusives d’une simple réticence. »

Article 1142 : « Il y a également violence lorsqu’une partie abuse de l’état de nécessité ou de dépendance dans lequel se trouve l’autre partie pour obtenir un engagement que celle-ci n’aurait pas souscrit si elle ne s’était pas trouvée dans cette situation de faiblesse. »

I. Présentation

L’article 1142 consacrerait le vice de violence économique en droit français. Pour ce faire, il opte pour la formule de l’abus de faiblesse, désigné sous l’appellation d’« état de nécessité ou de dépendance », plutôt que pour celle de la lésion qualifiée, de sorte à permettre d’annuler des engagements même non objectivement lésionnaires.

II. Analyse

Le projet généralise ici une cause de nullité que le droit de la consommation réservait jusqu’alors à certains engagements déterminés (C. consom., art. L. 122-8 et s.). Ce faisant, il fixe aussi une jurisprudence restée difficilement saisissable sur la question. Contrairement aux avant-projets qui l’ont précédé, et au système de nos proches voisins (BGB, § 138 ; CO suisse, art. 21 ; C. civ. italien, art. 1448 ; C. cass. Belgique, 21 nov. 2012), le projet d’ordonnance n’exige pas que l’exploitation de l’état de faiblesse ait donné lieu à un « avantage manifestement excessif » : seul importe que le cocontractant vulnérable n’eût pas contracté en d’autres circonstances, même si, en définitive, le contrat ne lui est pas objectivement défavorable. Le choix a donc été clairement fait de se maintenir sur le terrain de la seule violence, sans déborder sur celui de la lésion (en ce sens égal. : NBW, art. 3:44 (4)). En cela au moins, on peut reconnaître à cette disposition le mérite de la simplicité et de la clarté. Au-delà cependant, son propre champ d’application demeure incertain.

En précisant que l’état de faiblesse tient dans « un état de nécessité ou de dépendance », le projet entend sans doute viser aussi bien la condition objectivement vulnérable d’une personne considérée dans son environnement – c’est l’état de nécessité – que l’état d’assujettissement qui résulte de sa relation particulière au cocontractant – c’est l’état de dépendance. Ainsi entendue, l’expression exclurait en revanche l’exploitation de l’état d’ignorance que protège également le Code de la consommation et le Code pénal. Il est vrai que cette autre cause de vulnérabilité ne se rattache pas directement à l’idée de violence économique. On peut néanmoins se demander dans quelle mesure l’exploitation abusive de l’état d’ignorance du cocontractant pourrait ne pas constituer une cause de nullité de la convention lorsqu’elle vient à faire l’objet d’une condamnation pénale. Mais ce comportement sera plus volontiers sanctionné alors sur le terrain du dol.

D’un autre côté, en visant tout « état de nécessité » et, plus encore, « de dépendance », le projet ne permet pas de cantonner le cadre de cette violence au seul domaine économique. Tant la nécessité que la dépendance, en effet, peuvent aussi bien être économiques que psychologiques. Or, dans ce dernier cas, la violence qui tient dans l’exploitation d’un état de dépendance psychologique ne se confond pas nécessairement à la violence traditionnelle du droit des contrats, puisqu’elle ne nécessite pas l’existence de menaces pour se manifester. Si bien que, en définitive, plutôt que d’introduire un nouveau cas de violence dans le Code civil, le projet paraît plus simplement œuvrer, à travers cette disposition, à étendre en le définissant le domaine traditionnel du vice de violence.

Mais alors, cette violence a vocation à répondre aux conditions générales posées par l’article 1130 du projet pour tous les vices du consentement, et pour toute violence singulièrement. Or, curieusement, alors que cet article liminaire indiquait que l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement chaque fois que, sans eux, la partie qui en a été victime n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes, l’article 1142 n’envisage plus que le cas où la partie vulnérable n’aurait pas contracté, sans évoquer l’hypothèse du contrat conclu à d’autres conditions. Certes, on peut bien penser que contracter à des conditions substantiellement différentes revient à ne pas conclure le même contrat, et donc finalement à ne pas conclure du tout le contrat en cause. Mais en ce cas, c’est la précision de l’article 1130 qui est inutile. Si bien que, en l’état d’un tel hiatus, l’interprète se trouve contraint, pour l’expliquer, de rechercher une différence qu’il n’était sans doute pas dans l’intention des auteurs de souligner.

Pour cette dernière raison au moins, une nouvelle rédaction s’impose. À cet égard, à partir du moment où l’article 1130 pose déjà les conditions d’existence de tout vice du consentement, et donc de toute violence, il est inutile de les rappeler à l’article 1142.

III. Proposition

Nouvelle rédaction : « Il y a également violence lorsqu’une partie exploite l’état de nécessité ou de dépendance de l’autre partie pour forcer son consentement. »

Article 1143 : « Le délai de l’action en nullité ne court dans les cas de violence que du jour où elle a cessé. Dans le cas d’erreur ou de dol, ce délai ne court que du jour où ils ont été découverts.

Néanmoins, l’action en nullité ne peut être exercée au–delà de vingt ans à compter du jour de la conclusion du contrat. »

I. Présentation

L’article 1143 reconduit des règles qui, tenant au point de départ de la prescription de l’action en nullité pour vice du consentement, figurent aujourd’hui aux articles 1304 et 2232 du Code civil.

II. Analyse

Tout comme l’actuel article 1304 du Code civil, le projet omet de mentionner le trouble mental parmi les vices susceptibles de fonder le report du point de départ de la prescription. Or, tout comme la contrainte, le trouble mental qui est assez constitué pour vicier le consentement est également de nature à empêcher le contractant d’agir immédiatement en annulation.

Il est donc proposé d’ajouter le trouble mental aux vices du consentement visés à cette disposition de sorte à reporter également le point de départ de la prescription pour le contractant qui a été privé un temps de son discernement.

III. Proposition

Nouvelle rédaction : « Le délai de prescription de l’action en nullité ne court dans les cas de violence ou de trouble mental que du jour où ils ont cessé. »

[La suite sans changement]

Article 1147 : « L’incapacité de contracter est une cause de nullité relative.

Pour les actes courants que la loi ou l’usage autorise au mineur, la simple lésion constitue une cause de nullité. Toutefois, la nullité n’est pas encourue lorsque la lésion résulte d’un événement imprévisible.

Il en est de même pour les contrats conclus par des majeurs protégés dans les cas prévus aux articles 435 et 465 du présent code.

La partie qui a bénéficié du contrat peut toujours proposer la revalorisation de sa prestation pour éviter l’annulation du contrat pour lésion. »

Article 1148 : « La simple déclaration de majorité, faite par le mineur, ne fait pas obstacle à la restitution.

Toutefois, le mineur ne peut se soustraire aux engagements qu’il a pris dans l’exercice de sa profession. »

Article 1149 : « Le contractant capable ne peut invoquer l’incapacité de la personne avec laquelle il a contracté.

Il peut faire obstacle à l’action en nullité engagée contre lui, en montrant que l’acte était utile à la personne protégée et exempt de lésion, ou qu’il a tourné à son profit.

Il peut aussi opposer à l’action en nullité la ratification de l’acte par le cocontractant devenu ou redevenu capable. »

I. Présentation

Le projet rappelle que la simple lésion donne droit à restitution au profit de la personne incapable. Il offre aussi plusieurs défenses au cocontractant pour éviter la nullité.

II. Analyse

Dans son dernier alinéa, l’article 1147 évoque un premier moyen de défense ouvert au cocontractant de l’incapable. En cela, la place de cette disposition se trouve plutôt au sein de l’article 1149, qui traite spécifiquement de ces moyens. Par ailleurs, la rédaction même de cette disposition apparaît défectueuse. On y lit en effet que « La partie qui a bénéficié du contrat peut toujours proposer la revalorisation de sa prestation pour éviter l’annulation du contrat pour lésion. » Or la formule tenant à « revaloriser sa prestation » est passablement ambiguë, pouvant aussi bien se traduire par une obligation à restitution que par un droit à obtenir un complément de valeur, ce qui serait évidemment aberrant. Il serait donc préférable de s’en tenir à une expression éprouvée en droit, selon laquelle la lésion peut être rachetée par le cocontractant.

Traitant plus spécialement des défenses du cocontractant, l’article 1149 souffre lui-même d’une rédaction approximative. En particulier, l’alinéa 2 dispose en l’état du projet que le contractant capable « peut faire obstacle à l’action en nullité engagée contre lui, en montrant que l’acte était utile à la personne protégée et exempt de lésion, ou qu’il a tourné à son profit. » Manifestement, une telle disposition opère un renversement de la charge de la preuve, puisqu’elle revient à présumer la lésion dans tous contrats conclus par une personne protégée. En outre, il est difficile de voir une différence entre l’hypothèse de l’acte utile et celle de l’acte ayant tourné au profit de l’incapable.

Il est donc proposé de supprimer le dernier alinéa de l’article 1147 et de reformuler le deuxième alinéa de l’article 1149 pour tenir compte de cette suppression.

III. Proposition

Article 1147 : « L’incapacité de contracter est une cause de nullité relative.

Pour les actes courants que la loi ou l’usage autorise au mineur, la simple lésion constitue une cause de nullité, à moins qu’elle résulte d’un événement imprévisible.

Il en est de même pour les contrats conclus par des majeurs protégés dans les cas prévus aux articles 435 et 465 du présent code. »

Article 1148 : sans changement.

Article 1149 : « Le contractant capable ne peut invoquer l’incapacité de la personne avec laquelle il a contracté pour se soustraire à son engagement.

Il peut faire obstacle à l’action en nullité engagée contre lui, soit en rachetant la lésion, soit en démontrant que l’acte a tourné au profit de la personne protégée.

Il peut aussi opposer à l’action en nullité la ratification de l’acte par le cocontractant devenu ou redevenu capable. »

I. Présentation

Le projet d’ordonnance fait l’effort de consacrer un ensemble de dispositions à la représentation quelle qu’en soit la source, légale, judiciaire ou conventionnelle.

II. Analyse

Il est peu de domaines dans lesquels le projet d’ordonnance fait preuve d’autant d’invention qu’en matière de représentation. Il est vrai que, en l’absence de toutes dispositions particulières dans le Code civil, les rédacteurs ont avancé ici sur un terrain mal défriché par les avant-projets de réforme, seul le projet Catala ayant proposé quelques règles à l’effet d’organiser un peu la matière. D’autres sources existent cependant, au niveau européen, puisque tant les Principes Lando que les droits allemand et suisse contiennent des dispositions traitant spécifiquement de la représentation.

Au-delà des questions évoquées par ce paragraphe du projet et qui seront examinées ci-après, un point retient d’emblée l’attention. Ainsi que certains auteurs l’ont déjà relevé en effet, le projet ne contient aucune précision sur le point de savoir comment et sur qui doit s’apprécier la bonne foi ou le vice du consentement en cas de représentation, alors qu’il s’agit là d’une difficulté récurrente en jurisprudence, à laquelle aucune solution certaine n’a jusqu’ici été apportée. Il est vrai que l’on peut hésiter à évoquer la question ici plutôt qu’avec les vices du consentement puisque, aussi bien, le projet précise à cet autre endroit que tant le dol que la violence peuvent émaner d’un tiers, notamment représentant. Mais lorsqu’il s’agit d’apprécier l’existence du vice plutôt que son origine, on sent bien que la question interroge plus directement les principes même de la représentation.

L’occasion de la réforme pourrait donc être aussi celle de préciser que tant la bonne foi que l’intégrité du consentement s’apprécie en principe en la personne du représentant, mais en cette qualité seulement, de sorte que le cocontractant soit mis en mesure d’établir que cette bonne foi ou ce vice du consentement n’existait cependant pas en la personne même du représenté. En revanche, le contractant qui a choisi de se faire représenter à l’acte ne peut s’affranchir de la mauvaise foi ou de l’intégrité du consentement de son représentant en tentant de démontrer qu’il était lui-même de bonne foi ou que son propre consentement aurait été vicié.

Il est donc proposé d’ajouter un article pour régler en ce sens la question de l’appréciation de la bonne foi et de l’intégrité du consentement donné à l’acte conclu par représentation.

III. Proposition

Article 1159-1 [nouveau] : « La bonne foi et l’intégrité du consentement du représenté s’apprécient en la personne de son représentant. Toutefois, le cocontractant peut démontrer que le représenté était lui-même de mauvaise foi ou que son propre consentement n’était affecté d’aucun vice. »

Article 1155 : « L’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté, sauf si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, en raison du comportement ou des déclarations du représenté.

Lorsqu’il ignorait que l’acte était accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs, le tiers contractant peut en invoquer la nullité.

L’inopposabilité comme la nullité de l’acte ne peuvent plus être invoquées dès lors que le représenté l’a ratifié. »

I. Présentation

Aux termes de l’article 1155 du projet, l’acte accompli par un représentant sans pouvoir serait inopposable à l’égard du représenté mais nul à l’égard du cocontractant partie à cet acte. Toutefois, cette nullité serait subordonnée à la condition que le cocontractant ait ignoré le défaut de pouvoir du représentant. En outre, la même disposition limite le jeu du mandat apparent au seul cas dans lequel l’apparence trouverait son origine dans le fait du représenté.

II. Analyse

Affirmer en premier lieu, comme le fait l’article 1155, que le défaut de pouvoir se traduit tout à la fois par une inopposabilité de l’acte à l’égard du représenté et par sa nullité à l’égard du cocontractant revient à poser de façon inédite qu’un même vice pourrait affecter un même acte de deux sanctions différentes selon celui qui s’en prévaut. Faut-il alors comprendre, pour éviter cette conséquence, que le contrat serait inopposable au représenté parce qu’il est justement entaché de nullité ? Le dernier alinéa parait s’opposer à cette interprétation puisqu’il prend la peine de préciser que « L’inopposabilité comme la nullité de l’acte ne peuvent plus être invoquées dès lors que le représenté l’a ratifié. »

En réalité, si aucun consentement n’a été donné par le représenté, le contrat est tout simplement inexistant. Dès lors, sa ratification postérieure consiste plus exactement à accepter une proposition restée jusque-là à l’état de pollicitation. L’idée d’inopposabilité à proprement parler ne peut être retenue que lorsque la représentation se fait imparfaite et qu’elle engage alors le représentant (art. 1153, al. 2), comme il en va en matière commerciale. Ce n’est qu’en ce cas que la ratification en est proprement une, puisque intervenant sur un contrat effectivement formé sur la tête du représentant.

Par ailleurs, il est difficile d’expliquer juridiquement pour quelle raison un contractant ne pourrait plus invoquer le défaut de pouvoir de son cocontractant lorsqu’il en a eu connaissance. Si l’on veut bien considérer qu’aucun consentement n’a en réalité été donné par le représenté, le cocontractant devrait évidemment pouvoir s’en prévaloir, sauf sa propre responsabilité, et à moins encore que le représenté ne décide de « ratifier » l’engagement. L’article 1157 pourrait fournir un instrument utile pour régler cette difficulté, en permettant au cocontractant qui a eu connaissance du défaut de pouvoir d’interroger le représenté sur ses intentions une fois le contrat conclu. Malheureusement, sa rédaction laisse à penser que l’intention des rédacteurs a été de limiter cette faculté au seul cas dans lequel le contrat n’aurait pas encore été souscrit par le cocontractant (v. infra).

Enfin, cette même disposition introduit subrepticement une importante limitation au jeu de la théorie du mandat apparent, en bornant son effet au seul cas dans lequel la croyance du cocontractant résulterait « du comportement ou des déclarations du représenté », sans qu’il soit permis de comprendre là encore ce qui justifie de poser un tel frein à la circulation des biens et au développement des échanges. Il est nombre de situations dans lesquelles le pouvoir apparent du représentant résulte d’une situation objective, ou du seul fait de celui qui se présente comme mandataire, et l’on ne voit pas pour quelle raison la croyance légitime du cocontractant ne mériterait plus d’être protégée en ce cas. En réalité, il est difficile de ne pas voir que la règle introduite ici par le projet procède d’une tendance régressive consistant à revenir de façon plus ou moins déclarée à un état du droit dépassé depuis plus de cinquante ans, à une époque où la jurisprudence n’avait pas encore détaché la théorie du mandat apparent du fondement tiré de la faute du mandant.

Par conséquent, il est proposé de réécrire entièrement les articles 1155 à 1157 de sorte à articuler un mécanisme plus cohérent. Dans cette perspective, l’article 1155 aurait pour objet de rappeler la sanction qui s’attache en principe au défaut de pouvoir, sachant néanmoins que, à partir du moment où le projet a pris le parti de formuler sur ce point des dispositions communes à la représentation parfaite et à la représentation imparfaite, on ne peut que s’en tenir ici à une formulation générale susceptible de valoir aussi bien pour l’inexistence qui s’attache au défaut de pouvoir de représentation parfaite (« au nom et pour le compte de ») que pour la simple inopposabilité qui sanctionne l’absence de pouvoir lorsque la représentation se fait imparfaite (« pour le compte de »).

III. Proposition

Nouvelle rédaction : « L’acte accompli par un représentant sans pouvoir est privé de tout effet à l’égard du représenté, sauf la décision de ce dernier de ratifier l’acte ainsi conclu en son nom ou pour son compte. »

Article 1156 : « Lorsque le représentant détourne ses pouvoirs au détriment du représenté, ce dernier peut invoquer la nullité de l’acte accompli si le tiers avait connaissance du détournement ou ne pouvait l’ignorer. »

I. Présentation

À la différence de ce qui valait précédemment pour le défaut de pouvoir, l’article 1156 prévoit que, lorsque l’irrégularité tient plus précisément en un détournement de pouvoir, le représenté pourrait à son tour se prévaloir de la nullité de l’acte ainsi conclu. Mais alors cette nullité est subordonnée à la connaissance ou à l’ignorance fautive de ce détournement par le tiers cocontractant.

II. Analyse

Curieusement, le projet entend dissocier ici le détournement du simple dépassement de pouvoir. Il est difficile de comprendre ce qui justifie cette différence de traitement entre deux situations essentiellement assimilables, le détournement ne constituant qu’un cas de défaut de pouvoir, au même titre que le dépassement de pouvoir.

Par ailleurs, la règle posée à l’article 1156 inverse le sens logique qui était celui de l’article 1155, alinéa 1er, et qui était seul conforme au mécanisme de la théorie de l’apparence. La croyance légitime du cocontractant n’empêche pas le représenté d’agir en « nullité », c’est-à-dire en inexistence, pour défaut de pouvoir. Simplement, elle lui oppose une exception à son action, que le cocontractant est parfaitement libre ne pas exercer s’il entend faire malgré tout prévaloir la réalité juridique sur sa croyance personnelle. Il serait pour le moins étonnant, à suivre cet article, que l’on fasse au contraire primer l’intérêt propre du cocontractant sur le jeu naturel de la règle de droit au point d’aller jusqu’à interdire au représenté de l’invoquer. Le représenté doit être recevable à se prévaloir en toute hypothèse du défaut de pouvoir de celui qui a contracté pour son compte, de même que, de son côté, le cocontractant de bonne foi doit pouvoir invoquer, s’il l’estime utile, l’exception de croyance légitime pour s’opposer à cette action.

Il est donc proposé de remplacer cet article, qui fait inutilement exception à l’article 1155, par une disposition relative au jeu de la théorie de l’apparence pour toute hypothèse de défaut de pouvoir, quelle qu’elle soit.

III. Proposition

Nouvelle rédaction : « Le contrat conclu par un représentant sans pouvoir produit néanmoins ses effets à l’égard du représenté si le tiers cocontractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant et qu’il entend se prévaloir de cette apparence. »

Article 1157 : « Lorsque le tiers doute de l’étendue du pouvoir du représentant conventionnel à l’occasion de la conclusion d’un acte, il peut demander par écrit au représenté de lui confirmer, dans un délai raisonnable, que le représentant est habilité à conclure cet acte.

L’écrit mentionne, en termes apparents, qu’à défaut de réponse le représentant est réputé habilité à conclure cet acte. »

I. Présentation

L’article 1157 permet au tiers cocontractant d’interroger le représenté sur l’étendue exacte des pouvoirs du représentant.

II. Analyse

Telle que la disposition est rédigée en son état, l’action interrogatoire du cocontractant paraît se limiter à une initiative préalable à toute conclusion du contrat. Or cette faculté conserverait la même utilité à pouvoir être exercée une fois le contrat formé, sachant qu’il n’est pas sûr que celle prévue à l’article 1183 soit applicable à ce cas.

En outre, la formulation du texte pourrait laisser comprendre que l’interrogation du représenté se bornerait au seul cas de dépassement de pouvoir, alors que l’hypothèse de l’absence totale de pouvoir pose les mêmes difficultés.

Il est donc proposé de reformuler l’article 1157 de sorte à permettre au tiers cocontractant d’interroger le représentant apparent même après la conclusion du contrat chaque fois qu’il doute de l’existence du pouvoir du mandataire, quelle qu’en soit la cause.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« Le tiers cocontractant peut interroger le représenté sur la réalité des pouvoirs de celui qui se présente comme son représentant.

Lorsque la demande est formulée par écrit et en termes apparents, le représentant est réputé, à l’expiration d’un délai raisonnable, avoir été régulièrement habilité.

La même demande peut être formulée dans les mêmes formes après la conclusion du contrat. En ce cas, le silence conservé par le représenté pendant un délai raisonnable vaut ratification de l’engagement conclu pour son compte. »

Article 1161 : « Le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par son contenu, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. »

I. Présentation

L’article 1161 prohibe les contrats contraires à l’ordre public, soit par leur « contenu », soit par leur « but ».

II. Analyse

La cause du contrat apparaît ici pour la première fois, à travers la notion de but contraire à l’ordre public. Pour autant, la présente règle est à la fois plus large et, sous un autre aspect, plus restreinte que la notion de cause illicite.

Plus large, puisque la nullité peut résulter d’un motif même resté inconnu de l’autre partie, conformément il est vrai à une jurisprudence qu’il était possible de ne pas maintenir à l’occasion de la réforme (1re civ., 7 oct. 1998, Bull., I, n° 285). Si un contractant ne supporte pas l’idée d’avoir aidé l’autre partie à poursuivre un but illicite, il devrait pouvoir agir en nullité relative pour erreur sur un élément déterminant de son consentement, sans qu’il soit pour autant utile d’ouvrir cette action en nullité à tous intéressés. En tant que de besoin, ceux-ci peuvent toujours poursuivre le cocontractant mal intentionné en vue de priver sa manœuvre de l’effet illicite recherché. Cette condition du consentement, consistant à ne pas pourvoir à un acte illicite, est toujours réputée déterminante, de sorte que le cocontractant malhonnête sera censé ne l’avoir pas ignorée.

D’un autre côté, la règle ainsi posée est peut-être aussi plus restreinte que l’idée de cause illicite, dans la mesure où il n’est pas sûr que tout comportement illicite procède nécessairement d’une atteinte à l’ordre public. En l’état, la rédaction laisserait donc la possibilité au juge de laisser sans sanction le contrat affecté d’un but illicite, dès lors que non attentatoire à l’ordre public.

Conformément à l’orientation précédemment indiquée sous l’article 1157 et visant à conserver les notions d’objet et de cause en droit des contrats, il est proposé de rappeler que l’illicéité, et non pas seulement l’atteinte à l’ordre public, entache la convention de nullité, qu’elle affecte son objet ou sa cause.

III. Proposition

Nouvelle rédaction : « L’illicéité de l’objet ou de la cause du contrat entraîne sa nullité. »

Article 1163 : « Dans les contrats cadre et les contrats à exécution successive, il peut être convenu que le prix de la prestation sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en justifier le montant en cas de contestation.

En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à voir réviser le prix en considération notamment des usages, des prix du marché ou des attentes légitimes des parties, ou à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat. »

I. Présentation

L’article 1163 consacre la possibilité pour les parties de prévoir que l’un élément de leur accord soit déterminé unilatéralement par l’une d’elles. Toutefois, le projet la maintient dans une double limite : d’une part, cette faculté ne concerne que les contrats-cadres ou les contrats à exécution successive ; d’autre part, elle ne s’applique qu’à la stipulation d’un prix.

II. Analyse

Autant le projet d’ordonnance peut sembler franchement aventureux sur nombre de ses dispositions, autant la solution qu’il retient en matière de détermination unilatérale apparaît bien peu audacieuse, s’en tenant scrupuleusement à l’état du droit positif tel que fixé il y a vingt ans par les arrêts d’Assemblée plénière du 1er décembre 1995.

En premier lieu, l’article 1163 limite la possibilité de détermination unilatérale à la seule stipulation du prix, à l’exception de toute autre obligation, alors que toute espèce de quotité, qu’elle soit ou non monétaire, aurait pu faire l’objet de la même faculté (v. en ce sens l’art. 60, al. 3, du projet Terré). En second lieu, en maintenant l’interdiction de toute détermination unilatérale pour les contrats à exécution instantanée, et donc notamment pour la vente, le projet n’opère pas la révolution que beaucoup appelaient de leurs vœux, et qu’un regard comparé sur nos proches voisins européens pouvait également inviter à réaliser (v. not. sur ce point la proposition de règlement UE (2011)635 du 11 octobre 2011 pour un droit commun européen de la vente, art. 74).

Il est donc proposé d’élargir la faculté de détermination unilatérale à la quotité de toute espèce d’obligation ainsi qu’à tout contrat, même à exécution instantanée.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« Il peut être convenu que la quotité d’une obligation sera déterminée par l’une seule des parties, à charge pour elle de justifier du montant retenu en cas de contestation.

En cas d’abus dans la détermination de cette quotité, le juge peut en réviser le montant en considération notamment des usages, du prix du marché et des attentes légitimes des parties, et allouer le cas échéant des dommages-intérêts au cocontractant.

En l’absence de révision, la résolution du contrat peut être prononcée dans les conditions prévues aux articles 1224 et suivants, sans préjudice de l’allocation de dommages-intérêts. »

Article 1164 : « Dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour celui-ci d’en justifier le montant. A défaut d’accord, le débiteur peut saisir le juge afin qu’il fixe le prix en considération notamment des usages, des prix du marché ou des attentes légitimes des parties. »

I. Présentation

Faisant suite à l’hypothèse des contrats-cadres et de contrats à exécution successive, l’article 1164 se penche sur la détermination du prix dans les contrats d’entreprise, qualifiés de contrats de prestation de service. Ce faisant, il introduit en droit commun une disposition ressortissant en son principe au droit spécial du contrat d’entreprise, il est vrai aujourd’hui très dégradé au vu des quelques articles du Code civil relatifs au louage d’ouvrage.

II. Analyse

Le projet d’ordonnance rappelle qu’il est de la nature du contrat d’entreprise, qualifié de contrat de prestation de service, de permettre au prestataire, en l’absence d’accord préalable des parties, de fixer le prix dû au terme de la prestation, au vu notamment de l’importance des diligences entreprises. À cet égard, l’article 1164 consacre donc une solution bien acquise en droit positif, sans aller jusqu’à autoriser le juge à réviser le prix convenu a priori, alors que la jurisprudence semble avoir abouti à cette solution (1re civ., 5 mai 1998, Bull., I, n° 168 ; 23 nov. 2011, Bull., I, n° 206). Rapproché des autres dispositions du projet, il faut semble-t-il en conclure que, pour les contrats d’entreprise, l’office du juge consisterait, soit à fixer le prix quand il ne l’a pas été par les parties, soit même à le réviser lorsque, convenu a priori, le contrat a fait l’objet d’une inexécution partielle (v. art. 1223, infra). Ce pouvoir ne s’étendrait donc plus à celui de réviser, au vu de l’importance de la prestation effectivement réalisée, le forfait initialement arrêté par les parties, si aucun manquement ne peut être imputé au prestataire. C’est la conséquence qui paraît devoir s’inférer de la précision selon laquelle ce pouvoir de fixation judiciaire ne s’applique qu’« À défaut d’accord » des parties avant l’exécution.

Sur ce dernier point d’ailleurs, il conviendrait de ne pas répéter deux fois la même expression pour viser apparemment deux situations différentes, sous peine de créer la confusion. Une amélioration formelle peut donc être proposée en ce sens.

III. Proposition

Nouvelle rédaction : « Dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour celui-ci d’en justifier le montant. En cas de différend, le débiteur peut saisir le juge afin qu’il fixe le prix en considération notamment des usages, des prix du marché ou des attentes légitimes des parties. »

Article 1167 : « Un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire. »

Article 1168 : « Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. »

I. Présentation

Après l’erreur ou le dol sur la cause (art. 1134 et 1138), et le but contraire à l’ordre public de l’article 1161, le projet reprend deux autres fonctions de la cause à travers la nullité du contrat pour absence de contrepartie ou pour contrepartie dérisoire, d’une part (art. 1167), et l’éviction de la clause contraire à une obligation essentielle, d’autre part (art. 1168).

II. Analyse

Au-delà de ces quatre applications de la cause, le projet accueille également la caducité des ensembles contractuels pour disparition de l’un des contrats constitutifs en se fondant notamment sur la notion d’intérêt (art. 1186). Pour autant, ces cinq règles sont loin de couvrir la totalité des fonctions de la cause en droit positif.

Quid par exemple de l’illicéité qui tient, non pas dans le but de l’opération, ni dans l’objet de la prestation, mais précisément dans son rapport à sa contrepartie ? La vente d’organe combine deux obligations réciproques qui, prises indépendamment l’une de l’autre, n’ont rien d’illicites. S’il est possible d’annuler néanmoins l’opération, c’est précisément au moyen de l’illicéité de la cause, comprise ici comme contrepartie. Or l’article 1161 du projet n’envisage la cause illicite – ou plutôt contraire à l’ordre public – qu’en tant que but de l’opération contractuelle.

Quid également lorsque la contrepartie attendue n’est ni inexistante ni dérisoire, mais impossible, que ce soit matériellement ou même juridiquement ? Comme son caractère dérisoire, l’impossibilité d’une prestation peut ne se révéler que confrontée à sa contrepartie, et donc dans ce rapport de causalité que la seule notion d’objet ne suffit pas à traduire. Et la même question se pose lorsque l’impossibilité affecte, non la contrepartie, mais le but conjointement poursuivi par les parties, voire par le gratifiant seulement dans les libéralités. L’article 1134 du projet ne vise que l’erreur sur ce motif, ce qui n’est pas nécessairement la même chose, les parties ayant pu volontairement poursuivre un but qu’elles savaient impossible. Le silence du projet sur ce point est d’autant plus surprenant que l’idée de but impossible ou dépourvu d’intérêt est précisément l’hypothèse qui fonde la disparition des ensembles contractuels (art. 1186, al. 2). Pourquoi, dans ces conditions, cette cause de nullité ou de caducité ne pourrait-elle pas valoir aussi bien lorsque le but recherché ne tient pas à l’existence d’un autre contrat ?

Par ailleurs, il existe un autre type de cause, dite efficiente, qui, à la différence de la cause finale, tient non pas dans le but poursuivi mais dans l’existence d’une situation préalable qui justifie la conclusion du contrat. Or cette autre cause est totalement ignorée du projet alors qu’elle fonde pourtant nombre de solutions du droit positif, ainsi que quelques exemples tirés de la jurisprudence suffisent à le faire voir.

Le défaut d’aléa dans les contrats conçus comme aléatoires est traditionnellement sanctionné de nullité pour absence de cause, pour cette raison que l’existence d’un aléa conditionnait aux yeux des parties la formation de leur engagement (v. par ex. 1re civ., 3 mai 1995, Bull., I, n° 184, pour le contrat d’assurance, ou 1re civ., 16 avril 1996, Bull., I, n° 184, pour le contrat de rente viagère). Or en l’absence de toute disposition du projet pour régler la difficulté, on peut craindre que les juges se retrouvent à cours de moyens juridiques pour justifier désormais l’annulation de ces contrats.

Une observation du même ordre s’impose à l’égard des contrats de révélation de succession, qui nourrissent aujourd’hui un contentieux abondant, que permet ici encore de régler la nullité pour absence de cause chaque fois qu’il est établi que la vocation successorale du contractant aurait de toute façon été découverte sans l’intervention du généalogiste. Or ici encore, en l’état du projet, on ne voit pas quelle disposition permettrait de fonder l’annulation.

La reconnaissance de dette effectuée sur la base d’une obligation en réalité inexistante encourt également l’annulation pour absence de cause (v. par ex. 1re civ., 6 oct. 1981, Bull., I, n° 273 ; 7 avril 1992, Bull., I, n° 115 ; 3 juill. 2013, Bull., I, n° 145). Le même raisonnement est généralement tenu pour le cautionnement, en l’absence d’obligation principale, ou pour la transaction, en l’absence de situation litigieuse. Or, sur ce point à nouveau, le projet, qui se propose d’abroger la notion de cause, ne contient aucune disposition pour combler le vide créé par cette abrogation.

Comment justifierait-on enfin, pour dernier exemple, de mettre fin à des pratiques aussi peu admissibles que celle des dates de valeur lorsque celles-ci ne sont pas justifiées par les délais de compensation (depuis Com., 6 avril 1993, Bull., IV, n° 138 ; Rapp., p. 302) ? Ce n’est pas en ce cas en effet une question d’absence de contrepartie, mais bien d’inexistence du fondement invoqué par les banques pour justifier du délai d’inscription en compte à l’origine des intérêts supplémentaires prélevés sur leurs clients.

Pour l’ensemble de ces raisons, comme pour celles déjà évoquées plus haut sous l’article 1127, il importe de rétablir l’exigence d’une cause licite et possible comme condition de validité des conventions, et d’en détailler le régime pour préciser que la cause peut tenir aussi bien dans la contrepartie de l’obligation, que dans le but de l’opération, ou encore dans la situation de fait ou de droit qui en est à son origine.

III. Proposition

« § 1 – Dispositions générales »

Articles 1161 : « L’illicéité de l’objet ou de la cause du contrat entraîne sa nullité.» [v. supra]

« § 2 – L’objet du contrat »

Articles 1162 à 1166 : sans changement, sauf les propositions formulées plus haut pour les articles 1163 et 1164.

«§ 3 – La cause du contrat »

Article 1167 : « Un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie due à l’une des parties est illusoire ou dérisoire. »

Article 1168 : « Toute clause qui prive de sa substance une obligation essentielle du contrat est réputée non avenue. »

Article 1169 [nouveau] : « L’absence ou l’impossibilité de la cause qu’avaient les parties de s’engager entraîne la nullité du contrat. »

Article 1170 : sans changement.

Article 1169 : « Une clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat peut être supprimée par le juge à la demande du contractant au détriment duquel elle est stipulée.

L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur la définition de l’objet du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation. »

I. Présentation

L’article 1169 introduit la clause abusive en droit commun des contrats de sorte à permettre au juge, sans lui en faire d’ailleurs l’obligation, de supprimer du contrat les clauses créant un « déséquilibre significatif » dans les droits et obligations des parties.

II. Analyse

Cette disposition incarne sans doute l’innovation la plus grave du projet. Non seulement il est question d’étendre au droit commun une disposition emblématique du droit de la consommation, et de priver ce faisant de tout intérêt la protection que ce dernier offre sur ce point aux consommateurs, mais on le fait sur la base de critères plus incertains encore que ceux qui valent dans le Code de la consommation : d’une part, il n’est ici prévu d’établir aucune liste de clauses qui soit susceptible de borner la liberté du juge ; d’autre part, cette liberté s’étendrait jusqu’au prononcé même d’une sanction qui se présente, selon le texte, comme purement facultative.

Par ailleurs, la disposition n’apparaît nullement contenue dans le projet aux seuls contrats d’adhésion ou aux contrats non négociés, alors que cette limite bornait jusqu’alors tous les avant-projets de réforme, et que c’est également celle qui a guidé la réforme du droit allemand intervenue en 2001. La clause abusive concernerait donc désormais toute convention sans exception, et autoriserait tout un chacun à remettre en cause les équilibres contractuels laborieusement obtenus au terme d’âpres négociations, sans que l’on comprenne ce qui justifie, en l’absence de tout déséquilibre structurel entre les parties, de revenir ainsi sur la loi qu’elles se sont librement donnée. À la rigueur, rien n’empêche le professionnel, sur la base d’une telle disposition, d’invoquer ce texte pour réclamer à son tour la suppression d’une stipulation du contrat qu’il a soumis aux consommateurs. Même la proposition de règlement UE (2011)635 du 11 octobre 2011 relatif un droit commun européen de la vente, qui étend la sanction des clauses abusives aux contrats conclus entre professionnels, prend soin de préciser qu’elle ne concerne que les clauses non négociées (art. 86).

À elle seule, l’article 1169 du projet suffit à rendre inopérants tous les efforts conduits pour assurer minutieusement le juste équilibre des intérêts des parties, puisque, quelles que soient la multitude et la subtilité des règles posées par ailleurs, il sera toujours loisible au juge de modifier le contrat en supprimant telle ou telle de ses clauses s’il estime qu’elles sont de nature à créer un « déséquilibre significatif » entre les parties. La méthode paraît bien éloignée de celle qui a présidé à la patiente élaboration des conditions de validité propres à chaque type de clauses (clause résolutoire, clause pénale, clause limitative de responsabilité, clause de non-concurrence, clause compromissoire, clause attributive de juridiction, pacte commissoire, clause de célibat, etc.), et dont il n’est pas sûr qu’elle survive à cette introduction de la clause abusive en droit commun.

À quoi il convient d’ajouter que, d’un point de vue purement pragmatique, on se demandera si une telle source d’aléa contractuel est de nature à rendre véritablement notre droit plus attractif – puisque là est l’argument – pour ceux qui cherchent avant tout à sécuriser leurs échanges lorsqu’ils se choisissent une loi d’autonomie. Ce que l’on peut craindre en réalité, c’est que les opérateurs français eux-mêmes en viennent à se détourner d’un système juridique qui ne leur garantit plus le minimum de prévision nécessaire à l’exercice de leur activité. Une récente étude de droit comparé a montré à cet égard que l’introduction d’une disposition similaire en droit allemand, bien que pourtant limitée aux seuls contrats non négociés, a fait figure d’épouvantail pour les grandes entreprises d’outre-Rhin, qui optent majoritairement depuis lors pour l’application du droit suisse.

Si bien qu’en définitive, il n’est pas exagéré d’affirmer que cette seule disposition, par l’importance qu’elle accorde à l’idée d’équilibre contractuel et par la souveraine liberté qu’elle confère au juge dans le prononcé de la sanction, contient en elle la négation même du droit des contrats. Que vaut encore dans ces conditions le pieux rappel, par l’article 1102, du principe de la liberté contractuelle ?

III. Proposition

Suppression de l’article 1169.

Section 3 – La forme du contrat
(art. 1171 à 1177)

Article 1171 : « Le contrat est parfait par le seul échange des consentements des parties.

Par exception, la validité d’un contrat peut être subordonnée à l’observation de formalités déterminées par la loi ou par les parties, ou à la remise d’une chose. »

I. Présentation

L’article 1171 rappelle l’existence du principe du consensualisme en indiquant tout à la fois que le contrat est parfait par le seul échange des consentements et que sa validité n’est soumise à aucune condition de forme, qualifiée ici de « formalité ».

II. Analyse

Contrairement à ce que la rédaction de l’article 1171 laisse entendre, l’existence du contrat, conclu par le seul échange des consentements, et la validité de ce contrat, exceptionnellement soumise à des conditions de forme, sont deux choses bien distinctes au sein de la formation du contrat. La séparation des sections 1 et 2 du chapitre III, relatives respectivement à la conclusion et à la validité du contrat, traduisait mieux cette distinction.

C’est sans doute d’ailleurs parce que l’article 1171 mêle tout à la fois existence (al. 1er) et validité du contrat (al. 2) que les auteurs du projet ont traité de la forme du contrat dans une section distincte de sa conclusion (sect. 1) et de sa validité (sect. 2). Pourtant, dans la mesure où le reste de l’article et des dispositions qui suivent concernent pour l’essentiel la validité du contrat, le projet gagnerait peut-être à supprimer ce premier alinéa, quitte à le réintégrer dans la section relative à la conclusion du contrat où il trouve sa place, de sorte à faire de la forme du contrat une sous-section de la validité (sous-sect. 4), au même titre que le contenu du contrat (sous-sect. 3), auquel elle répond naturellement. Et puisque l’on a proposé plus haut de déclasser en paragraphe la sous-section 2 relative à la capacité (v. art. 1128 et s., supra), c’est ici une sous-section 3 qu’il s’agit de faire apparaître.

III. Proposition

1) Nouvelle rédaction :

« Sous-section 3 – La forme du contrat

Article 1171 – En l’absence de disposition ou de stipulation contraire, la validité du contrat n’est subordonnée à aucune condition de forme. »

2) Rédaction alternative :

« Section 3 – La forme du contrat

Article 1171 – Le contrat est parfait par le seul échange des consentements.

En l’absence de disposition ou de stipulation contraire, sa validité n’est subordonnée à aucune condition de forme. »

Article 1173 : « Les contrats qui ont pour objet de modifier un contrat antérieur ou d’y mettre fin sont soumis aux mêmes règles de forme que celui–ci, à moins qu’il n’en soit autrement disposé ou convenu. »

I. Présentation

Le projet érige le parallélisme des formes en règle de droit en soumettant les accords extinctifs ou modificatifs de droits aux mêmes conditions de forme que celles ayant présidé à la conclusion du contrat éteint ou modifié.

II. Analyse

Le parallélisme des formes exprime une réalité qui, pour être parfois exacte, ne l’est pas toujours. Les raisons que le législateur ou les contractants eux-mêmes ont eu d’imposer certaines contraintes à la formation d’un engagement peuvent ne plus exister lorsqu’il s’agit au contraire d’y mettre fin, ou même simplement de le modifier, spécialement si cette modification n’intervient qu’à la marge. Au demeurant, l’examen du droit positif révèle que, lorsque des conditions ont été posées tant pour la formation que pour la dissolution d’un contrat, les dernières ne répondent que très rarement aux premières (v. par ex. la révocation des donations notariées, le remboursement anticipé d’un crédit conclu après offre préalable et délai de réflexion, etc.). De sorte qu’à énoncer ainsi le parallélisme des formes en règle de droit, même supplétive, le projet prend le risque de susciter nombre de difficultés lorsque, comme souvent, rien n’aura été prévu ni par le législateur ni par les parties. Est-il bien raisonnable, en un tel cas, de ne prêter aucun effet au mutuus dissensus des parties, alors même que leur intention demeure hors de doute, sous prétexte que ce nouvel accord n’aura pas été conclu dans les mêmes formes que le contrat originaire ? Quant à soutenir, pour éviter cette conséquence, que l’on pourrait déduire du simple silence des parties à la rupture leur volonté tacite de déroger aux conditions de forme normalement applicables, cela revient à priver de toute portée la disposition de l’article 1173. Si bien que, sous quelque angle qu’on l’envisage, il semble préférable de ne pas introduire une règle qui s’avère au mieux inutile, et au pire dangereuse.

III. Proposition

Suppression de l’article 1173.

I. Présentation

Après avoir évoqué les règles relatives à la forme des contrats dans un premier paragraphe « Dispositions générales », le projet évoque sous les articles 1174 à 1177 les règles propres aux contrats conclus sous la forme électronique. Toutefois, l’intitulé de ce second paragraphe est formulé de la façon suivante : « Dispositions propres au contrat conclu par voie électronique ».

II. Analyse

Les contrats conclus par voie électronique ont déjà été étudiés dans le cadre de la section relative à la conclusion du contrat. S’agissant ici d’examiner les conditions de forme des conventions, cela vise les contrats conclus, non pas par la voie électronique, mais sous la forme électronique. Ainsi, la teneur des dispositions figurant aux articles 1174 et suivants permet de comprendre qu’il est question de dresser, en la forme électronique, un intrumentum à un contrat qui a déjà été conclu, sans l’avoir nécessairement été par la voie électronique. Au demeurant, toutes ces dispositions parlent de « forme électronique » et non pas de « voie électronique ».

Il convient donc de corriger ce qui apparaît comme une erreur de rédaction.

III. Proposition

Nouvel intitulé : « Le contrat conclu en la forme électronique »

Section 4 – Les sanctions
(art. 1178 à 1187)

Article 1178 : « Un contrat qui ne remplit pas les conditions nécessaires à sa validité est nul. La nullité doit être prononcée par le juge, à moins que les parties ne la constatent d’un commun accord.

Les prestations exécutées donnent lieu à restitution dans les conditions prévues au chapitre V du titre IV.

Indépendamment de l’annulation du contrat, la victime peut demander réparation du dommage subi dans les conditions du droit commun de la responsabilité extracontractuelle. »

I. Présentation

Les auteurs du projet ont souhaité poser dans cet article liminaire quelques règles touchant à la nature de toute nullité. Il y est notamment indiqué la façon dont la nullité produit ses effets sur l’acte qu’elle affecte, et les rapports qu’elle est susceptible d’entretenir avec les règles de la responsabilité.

II. Analyse

En affirmant que la nullité doit être prononcée par le juge, le premier alinéa de l’article 1178 laisse entendre que sa décision n’aurait jamais qu’un effet constitutif de droit. Cette interprétation est d’ailleurs largement impliquée par l’exception qui suit, selon laquelle les parties pourraient pour leur part « constater » la nullité.

Or, il y a tout lieu de penser que, au fond, les solutions sont exactement inverses. Le juge, qui intervient par hypothèse bien après la formation du contrat, va décider si celui-ci s’est valablement formé ou non. En cela, et sauf hypothèses exceptionnelles, sa décision est purement déclarative, le juge constatant une nullité qui affecte l’acte juridique et qui préexiste à sa décision. Au contraire, il n’appartient pas aux parties à l’acte de décider si celui-ci a été formé conformément aux conditions de validité imposées par le droit objectif. Tout ce qu’elles peuvent faire, c’est résoudre rétroactivement leur accord, et sous la réserve encore des droits acquis par les tiers sur la base de cet acte. Les contractants peuvent bien ajouter ab initio des conditions de validité à leur accord, mais une fois conclu conformément à ces conditions, le contrat existe et est valable, toute modification ultérieure consistant nécessairement à ajouter ou à retrancher à cet acte.

Il ne s’agit pas là que d’une question de mots. Admettre que les parties puissent annuler d’elles-mêmes leur contrat reviendrait à leur permettre d’échapper aux effets légaux qui s’attachent à leurs actes. Un simple exemple suffit à faire comprendre le genre de difficultés qu’une telle disposition serait de nature à engendrer. On sait que, s’il est au pouvoir des parties de révoquer par nouvel accord une donation entre vifs, l’administration fiscale analyse cette résolution comme une nouvelle libéralité, soumise à ce titre à la perception de nouveaux droits. Permettre aux contractants de prononcer – et même de « constater » – en ce cas la nullité de la donation leur offrirait un moyen un peu trop commode de se soustraire à l’impôt.

À moins naturellement que l’on veuille dire par là que les parties peuvent s’entendre pour renoncer à saisir le juge d’une action visant à voir constater la nullité qui affecte effectivement leur acte. Mais en ce cas, on ne voit pas bien l’intérêt de préciser spécialement ce point à cet endroit, une telle renonciation pouvant intervenir en toute matière où les parties ont la libre disposition de leurs droits. À la rigueur, il est même permis de penser que leurs droits sont plutôt moins disponibles qu’ailleurs lorsqu’il est question comme ici de juger de la conformité d’un acte juridique aux règles impératives de validité des conventions.

Quant au dernier alinéa, sa rédaction pourrait être améliorée. Si l’on estime utile de préciser que la nullité est susceptible de constituer un préjudice, et que celui-ci peut naturellement donner lieu à réparation en cas de faute du cocontractant, sur le fondement alors de la responsabilité délictuelle, il conviendrait en ce cas de le dire. Car, en l’état, l’expression « Indépendamment de l’annulation du contrat » pourrait laisser entendre que le préjudice résultant de cette annulation ne peut pas être réparé, ce qui est le contraire de ce que l’on cherche à exprimer.

Par conséquent, il est proposé de supprimer la mention relative aux conditions dans lesquelles la nullité peut être prononcée ou constatée par le juge ou par les parties, et d’améliorer en outre la rédaction du dernier alinéa (étant précisé que, du fait de la réorganisation proposée du titre IV, le chapitre relatif aux restitutions auquel il est renvoyé devient le chapitre IV de ce même titre : v. obs. gén., in limine, supra).

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« Un contrat qui ne remplit pas les conditions nécessaires à sa validité est nul.

 Les prestations exécutées donnent lieu à restitution dans les conditions prévues au chapitre IV du titre IV.

La victime de l’annulation peut demander réparation du dommage qui en résulte pour elle dans les conditions du droit commun de la responsabilité extracontractuelle. »

Article 1179 : « La nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l’intérêt général.

Elle est relative lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde d’un intérêt privé. »

I. Présentation

Le projet adopte le critère de l’intérêt protégé comme fondement de la distinction entre nullité absolue et nullité relative, selon que la règle méconnue avait pour objet de sauvegarder l’intérêt général ou l’intérêt privé.

II. Analyse

Telle que la disposition est rédigée, la nullité absolue ne pourrait plus concerner que l’hypothèse du contrat illicite. Et encore, nombre d’illicéités pourraient elles aussi échapper à cette nullité si la règle méconnue relevait de l’ordre public de protection, puisque, en soi, celui-ci ne se donne pas pour objet de sauvegarder l’intérêt général.

Ainsi, ne donnerait plus lieu qu’à une nullité relative l’illicéité tenant dans la méconnaissance des règles impératives protégeant les intérêts du salarié, de l’assuré, du locataire, du donataire, etc. Et il pourrait en aller de même de la violation par le contrat d’une liberté fondamentale : si l’article 1102 prohibe de tels engagements, il paraît aussi distinguer cette situation de l’atteinte à l’ordre public, qui seule justifie la nullité absolue en application combinée des articles 1161 et 1179. Par conséquent, si telle n’est pas l’intention des auteurs du projet, il conviendrait de modifier la rédaction actuelle de ces deux dispositions (v. déjà art. 1161, supra).

Au-delà, le critère pris de l’intérêt protégé révèle de toute façon son insuffisance lorsque l’intérêt privé en cause n’est pas celui des contractants. Une règle de droit objectif édictée dans l’intérêt d’un tiers au contrat, se traduisant par exemple par l’obligation de solliciter une autorisation, peut être intentionnellement ignorée par les contractants au moyen d’un accord ayant précisément pour objet de neutraliser cette protection. Selon toute vraisemblance, la sanction d’un tel contrat réside dans sa nullité, et non seulement dans une inopposabilité, puisque c’est son objet même qui apparaît illicite. Peut-on malgré tout se borner à le frapper d’une simple nullité relative, au prétexte de l’intérêt privé protégé par la règle méconnue, et réserver alors l’action au tiers au contrat dont le droit a été ainsi contourné ? Un tel régime est totalement étranger à la théorie des nullités, qui réserve l’action en nullité relative à l’une des parties au contrat. Mais il est vrai que, à la lettre, l’article 1181 ne permet pas d’exclure tout à fait que telle soit la solution envisagée par les auteurs du projet.

Au fond, il est tout à penser que l’introduction du critère de l’intérêt dans la théorie des nullités s’est opérée à la faveur d’une confusion progressive avec celui qui conditionne la recevabilité de l’action en justice. On sait que, en application des principes gouvernant la procédure, l’action en justice est normalement ouverte à tout intéressé, sous la seule réserve donc que celui-ci puisse faire valoir un intérêt légitime à agir. Il s’agit là d’une exigence intimement liée à la nécessité de garantir le libre accès à la justice. Au contraire, et pour la même raison, les actions attitrées, qui sont réservées à certaines personnes désignées en fonction de leur qualité, demeurent l’exception (C. proc. civ., art. 30). Il s’agit toujours alors d’actions intimement liées à la personne (rectification d’état civil, établissement ou contestation de filiation, divorce, action successorale, etc.). Or, l’action en nullité relative est elle-même une action attitrée, puisque réservée au seul contractant protégé. En tant que telle, elle avait donc vocation à être maintenue dans sa nature exceptionnelle, son caractère attitré pouvant lui-même se justifier par le fait que la nullité relative ne regardait traditionnellement que l’intégrité du consentement donné, et que son auteur doit en rester seul maître. De son côté, l’action en nullité absolue, parce qu’elle est ouverte à tout intéressé, correspond pour sa part au droit commun de l’action en justice.

C’est sans doute parce que, à une époque récente, les tribunaux se sont trouvés menacés d’engorgement par le flux grossissant des litiges qu’ils ont trouvé dans le critère de l’intérêt protégé un moyen parmi d’autre de lutter contre cet encombrement de leur rôle. En étendant le domaine de la nullité relative aux dépens de celui de la nullité absolue, ils ont multiplié par là-même les cas d’irrecevabilité des actions en nullité dont ils étaient saisis, que ce soit hier par l’acquisition du délai abrégé de prescription, ou aujourd’hui encore pour défaut de qualité à agir du demandeur à l’action.

Plutôt que d’amplifier un mouvement aussi mal fondé pour réduire à rien le domaine de la nullité absolue, il importe de saisir l’opportunité de la réforme pour mettre au contraire un frein à cette évolution et pour restituer à la nullité absolue le domaine qui est le sien en tant qu’action de droit commun sanctionnant les conditions de validité des contrats. Rien ne justifie d’empêcher tout un chacun de critiquer l’illégalité d’un contrat qui lui fait grief : la recevabilité de l’action doit simplement être vérifiée in concreto, au regard de la légitimité de l’intérêt excipé par le demandeur, et non a priori, au moyen d’une règle fermant l’action sans distinction pour la réserver à un seul titulaire autorisé.

Il est donc proposé de rétablir les domaines respectifs de la nullité absolue et de la nullité relative au moyen, non pas du critère tiré de l’intérêt protégé, qui porte trop manifestement vers la nullité relative, mais de celui fonction de l’objet affecté par l’irrégularité concernée.

III. Proposition

Nouvelle rédaction : « La nullité est absolue lorsqu’elle sanctionne un vice du contrat. Elle est relative lorsqu’elle sanctionne un vice du consentement. »

Article 1180 : « La nullité absolue peut être invoquée par toute personne justifiant d’un intérêt, ainsi que par le ministère public.

Elle ne peut être couverte par la confirmation du contrat. »

I. Présentation

Tout en rappelant que l’action en nullité absolue appartient à tout intéressé, le projet associe par principe le ministère public aux titulaires de l’action, suivant en cela une proposition du projet Catala (art. 1129-2).

II. Analyse

Si toute nullité absolue peut être invoquée par le ministère public, cela revient à dire que toute nullité absolue concerne l’ordre public. Cette interprétation est sans doute conforme à l’article précédent, qui définit la nullité absolue comme la sanction de la règle ayant pour objet la sauvegarde de l’intérêt général, mais elle devient en revanche contestable si l’on veut bien restituer à la nullité absolue le domaine naturel qui est le sien (v. art. 1179, supra). À moins de comprendre que l’article 1180 ne fait que rappeler que le ministère public a la possibilité d’agir en nullité d’un contrat s’il estime, et à cette condition seulement, que l’ordre public se trouve menacé. La précision mériterait d’être apportée car, selon l’une ou l’autre interprétation, le représentant du ministère public aurait l’obligation (C. proc. civ., art. 422) ou la simple faculté (art. 423) d’agir en annulation, et la communication de l’affaire au ministère public s’en trouverait, en fonction, rendue ou non obligatoire, sachant que cette dernière exigence est prescrite à peine de nullité des décisions de justice (art. 425).

Pour obvier à ces difficultés, il est proposé de ne pas évoquer la question de l’intervention du ministère public, de sorte à s’en tenir au droit positif tel qu’il figure dans le Code de procédure civile. Si une précision devait néanmoins être apportée, il conviendrait de s’en tenir à la règle selon laquelle la nullité absolue peut être invoquée par tout intéressé, tandis que le ministère public peut lui-même agir lorsqu’il estime que l’ordre public est menacé.

III. Proposition

1) Nouvelle rédaction :

« La nullité absolue peut être invoquée par toute personne justifiant d’un intérêt légitime à agir.

Elle ne peut être couverte par la confirmation du contrat. »

2) Rédaction alternative :

« La nullité absolue peut être invoquée par toute personne justifiant d’un intérêt légitime à agir, ainsi que par le ministère public lorsque celui-ci estime que le contrat menace l’ordre public.

Elle ne peut être couverte par la confirmation du contrat. »

Article 1183 : « Une partie peut demander par écrit à celle qui pourrait se prévaloir de la nullité soit de confirmer le contrat, soit d’agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion.

Elle peut aussi proposer à la victime de l’erreur d’opter pour l’exécution du contrat dans les termes qu’elle avait compris lors de sa conclusion.

La demande n’a d’effet que si la cause de la nullité a cessé et si elle mentionne en termes apparents qu’à défaut d’action en nullité exercée avant l’expiration du délai de six mois, le contrat sera réputé confirmé. »

I. Présentation

Le projet ouvre une action provocatoire au contractant à l’effet de réduire le délai d’action en nullité à une période de six mois.

II. Analyse

Dans sa rédaction actuelle, qui est proche de celle des avant-projets académiques (projet Catala, art. 1129-5, et projet Terré, art. 83), l’article 1183 du projet d’ordonnance vise toute nullité sans distinction, alors que cette faculté d’interroger le cocontractant ne paraît devoir concerner que la nullité relative, étant difficilement imaginable que la renonciation à agir en nullité absolue puisse être ainsi présumée, si tant est qu’elle puisse même être efficace. Au demeurant, plusieurs passages de cette disposition laissent entendre que seule la nullité relative serait concernée. Par souci de clarté et de sécurité, il conviendrait de lever ce doute.

Quant à la structure de l’article, il conviendrait d’intervertir les alinéas 2 et 3, ce dernier ne s’appliquant selon toute vraisemblance qu’à la faculté prévue à l’alinéa 1er.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« Une partie peut demander par écrit à celle qui pourrait se prévaloir de la nullité relative soit de confirmer son engagement, soit d’agir en annulation dans un délai de six mois à peine de forclusion.

La demande n’a d’effet que si la cause de la nullité a cessé et si elle mentionne en termes apparents qu’à défaut d’action en nullité exercée avant l’expiration du délai de six mois, le contrat sera réputé confirmé.

Le contractant peut aussi proposer à la victime de l’erreur d’opter pour l’exécution du contrat dans les termes qu’elle avait compris lors de sa conclusion. »

Article 1185 : « Lorsque la cause de nullité n’affecte qu’une ou plusieurs clauses du contrat, elle n’emporte nullité de l’acte tout entier que si cette ou ces clauses ont constitué un élément déterminant de l’engagement des parties ou de l’une d’elles. »

I. Présentation

L’article 1185 pose un principe de nullité partielle du contrat lorsque la cause de nullité n’affecte que l’une de ses stipulations.

II. Analyse

La précision apportée sur ce point par le projet est sans doute bienvenue. Toutefois, le critère retenu pour étendre la nullité à l’ensemble du contrat pose difficulté. Il est ici indiqué que la nullité d’une clause entraîne celle du contrat lorsque cette clause était déterminante, non seulement pour l’ensemble des parties, mais également pour l’une d’elles seulement. Une telle solution se conçoit pourtant difficilement si les autres parties ignoraient tout du caractère déterminant de cette clause pour le cocontractant. Il serait donc utile d’ajouter à l’article 1185 que le caractère déterminant pour l’une seule des parties doit au moins avoir été connu des autres contractants. À défaut, on entrerait ici en contradiction avec l’article 1134 du projet, qui rappelait que l’erreur n’est cause de nullité que pour autant qu’elle porte sur un élément déterminant du consentement de toutes les parties et non pas d’une seule, ou encore avec l’article 1186, qui conditionne la caducité du contrat compris dans un ensemble contractuel à la connaissance de cette intégration par l’ensemble des parties au contrat.

Il est donc proposé de préciser que le caractère déterminant de la clause entachée de nullité doit avoir été connu de l’ensemble des parties pour que cette nullité puisse entraîner celle de la totalité de l’acte.

III. Proposition

Nouvelle rédaction : « Lorsque la cause de nullité n’affecte qu’une ou plusieurs clauses du contrat, elle n’entraîne la nullité de l’acte tout entier que si cette ou ces clauses ont constitué un élément déterminant du consentement d’un ou plusieurs contractants et que ce caractère déterminant était connu de l’ensemble des parties. »

Article 1186 : « Un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments constitutifs disparaît. Il en va de même lorsque vient à faire défaut un élément extérieur au contrat mais nécessaire à son efficacité.

Il en va encore ainsi lorsque des contrats ont été conclus en vue d’une opération d’ensemble et que la disparition de l’un d’eux rend impossible ou sans intérêt l’exécution d’un autre. La caducité de ce dernier n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement. »

I. Présentation

L’article 1186 s’attache à définir les causes de caducité d’un contrat ou d’un ensemble de contrats.

II. Analyse

L’article 1186 du projet d’ordonnance use dans son premier alinéa d’une périphrase qui, empruntée au projet Catala (art. 1131) et passée telle quelle dans le projet Terré (art. 89), pourrait être évitée s’il était remployé à cet endroit la distinction faite aux sections 1 et 2 du présent chapitre entre conditions d’existence et conditions de validité du contrat.

Quant au second alinéa, il importe de souligner que l’on y trouve une autre des fonctions traditionnelles de la notion de cause du contrat, que le projet réserve cependant curieusement aux seuls ensembles contractuels.

Il est proposé de simplifier la rédaction du premier alinéa.

III. Proposition

Nouvelle rédaction : « Le contrat devient caduc si l’une de ses conditions d’existence ou l’une de ses conditions de validité vient à disparaître. »

[La suite sans changement]

Article 1187 : « La caducité met fin au contrat entre les parties.

Elle peut donner lieu à restitution dans les conditions prévues au chapitre V du titre IV. »

I. Présentation

Il est précisé que la caducité « met fin au contrat entre les parties » et qu’« elle peut donner lieu à restitution ».

II. Analyse

L’indication selon laquelle la caducité « met fin au contrat entre les parties » laisse entendre que cet effet ne se produirait jamais qu’inter partes, ce qui est contraire à l’effet naturel de la caducité qui, comme la nullité, opère erga omnes.

S’agissant par ailleurs de son effet temporel, il aurait été préférable, plutôt que de laisser la disposition dans le flou d’un pouvoir qui renvoie d’ordinaire à celui du juge et au caractère facultatif de la sanction, d’indiquer que la caducité ne donne lieu à restitution que pour autant que le contrat a fait l’objet d’une exécution après la date à laquelle a disparu sa condition d’existence ou de validité.

Il est donc proposé de supprimer la première mention et de d’expliquer dans quelle hypothèse la caducité donne lieu à restitution.

III. Proposition

Nouvelle rédaction : « La caducité met fin au contrat. Elle donne lieu à restitution si le contrat a fait l’objet d’une exécution après la date à laquelle a disparu sa condition d’existence ou de validité. »

Chapitre III – L’interprétation du contrat
(art. 1188 à 1193)

Article 1188 : « Un contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt que d’après le sens littéral des termes.

Lorsque la commune intention des parties ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation. »

Article 1189 : « On ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation. »

Article 1190 : « Dans le doute, une obligation s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur. »

Article 1191 : « Toutes les clauses d’un contrat s’interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l’acte tout entier.

Lorsque, dans l’intention des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s’interprètent en fonction de celle–ci. »

Article 1192 : « Lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, celui qui lui confère un effet l’emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun. »

Article 1193 : « En cas d’ambiguïté, les clauses d’un contrat d’adhésion s’interprètent à l’encontre de la partie qui les a proposées. »

I. Présentation

Alors que la loi d’habilitation promulguée le 16 février 2015 donnait mission au Gouvernement de « clarifier les dispositions relatives à l’interprétation du contrat », le projet d’ordonnance reconduit pour l’essentiel les directives d’interprétation des conventions telles qu’elles figurent aujourd’hui aux articles 1156 et suivants du Code civil.

II. Analyse

On sait que la portée normative des articles 1156 et suivants du Code civil a été de longue date neutralisée par la Cour de cassation, de sorte à couper court à la multiplication des pourvois fondés sur une méconnaissance de ces règles d’interprétation. Fort de ce précédent, quel peut être le sens du maintien de ces dispositions dans le Code civil ? S’agit-il de faire dorénavant obligation à la Cour de cassation de connaître de l’interprétation retenue par les juges du fond de la volonté des parties, et de la rendre ainsi juge du fait interprété ? L’article 1189 du projet, selon lequel « On ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation », pourrait le faire craindre, puisqu’il s’agit précisément là de la seule règle sanctionnée par la Cour de cassation en matière d’interprétation des conventions selon le droit commun. Mais alors, ce nouveau cas d’ouverture à cassation, pour violation des règles d’interprétation, ne manquerait pas de poser de graves difficultés dans le traitement du flot des pourvois (à moins évidemment que la Cour de cassation ait adopté d’ici là un mode de filtrage à l’anglo-saxonne, puisque cela est à présent sérieusement envisagé au sein de l’institution). S’agit-il au contraire de reconduire de simples directives, dépourvues de toute portée normative ? Mais c’est en ce cas la constitutionnalité même de ces dispositions qui deviendrait contestable. Une solution intermédiaire pourrait consister alors à cantonner le contrôle de la Cour de cassation au seul cas dans lequel les juges du fond auraient ouvertement affirmé retenir une méthode d’interprétation étrangère aux directives fixées par le Code civil. En ce cas, il conviendrait d’apporter cette précision dans le projet d’ordonnance car, en l’état, il y a tout lieu de penser que ces dispositions ne sont pas de nature à modifier l’état du droit positif.

Au vu de son absence probable de portée normative, il est proposé de supprimer ce chapitre. Si l’on entend malgré tout le maintenir, il conviendrait de conférer une valeur obligatoire à ces règles d’interprétation en indiquant que leur respect s’impose aux tribunaux.

III. Proposition

1) Suppression du chapitre.

2) Proposition alternative :

Articles 1188 et 1189 : sans changement.

Article 1190 : « Lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, on doit privilégier celui qui lui confère un effet sur celui qui ne lui en fait produire aucun. »

Article 1191 : « Toutes les clauses d’un contrat s’interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respectent la cohérence de l’acte tout entier.

Lorsque, dans l’intention des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s’interprètent en fonction de celle-ci. »

Article 1192 : « En cas d’ambiguïté, les clauses d’un contrat d’adhésion s’interprètent contre la partie qui les a stipulées.

Dans le doute, une obligation s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur. »

Article 1193 : « Les règles d’interprétation des conventions s’imposent aux juges appelés à se prononcer sur la teneur de la volonté des contractants. »

Chapitre IV – Les effets du contrat

La subdivision d’une section tient d’ordinaire dans le paragraphe et non dans la sous-section, laquelle n’est jamais employée que pour introduire une subdivision supplémentaire entre la section et le paragraphe. Or toutes les sections du chapitre IV sont divisées en sous-sections en l’absence même de tout paragraphe. Il conviendrait donc de remplacer ces sous-sections par des paragraphes.

Section 1 – Les effets du contrat entre les parties
(art. 1194 à 1199)

Article 1196 : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent demander d’un commun accord au juge de procéder à l’adaptation du contrat. A défaut, une partie peut demander au juge d’y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

I. Présentation

Mettant un terme à la jurisprudence Canal de Craponne, l’article 1196 du projet d’ordonnance introduit la théorie de l’imprévision en droit privé français.

II. Analyse

Alors que la condition si fides servetur, qui était alors sous-entendue pour justifier la résolution pour inexécution, disparaît du Code civil (v. art. 1224, infra), le projet la remplace par cette autre stipulation canonique qu’était la condition rebus sic stantibus, de sorte à poser en principe que les parties ne sont réputées avoir accepté de s’engager que pour autant que les choses restent en l’état. S’agissant également là d’une condition résolutoire, la disposition se borne à permettre au débiteur d’obtenir la résiliation judiciaire de la convention en cas de changement imprévisible rendant l’exécution excessivement onéreuse pour le débiteur. Sur ce point au moins, le projet Catala (art. 1135-1 et s.) a donc été préféré au projet Terré (art. 92). Cette solution, qui ne verse ni dans le rejet pur et simple de la théorie de l’imprévision, ni dans l’excès inverse qui consisterait à permettre en ce cas la révision judiciaire du contrat, est sans doute la plus équilibrée (pour la démonstration, v. sur ce site : Le projet de réforme du droit des contrats, ou l’uniformisation sans sommation). Au fond, une telle prudence étonne même lorsqu’on la compare à d’autres dispositions du projet, qui se font moins de scrupule à conférer au juge la plus grande latitude pour refaire la convention des parties (v. not. art. 1169).

Quant à son domaine, l’article 1196 ne paraît pas se cantonner aux seuls contrats à exécution successive, de sorte qu’un contrat à exécution instantanée, spécialement s’il est affecté d’un terme suspensif, pourrait faire également l’objet d’une procédure de renégociation pour imprévision. Dans ses modalités, il est prévu que le débiteur qui réclame la renégociation du contrat continue à s’exécuter pendant la procédure. Il en résulte que, sauf volonté contraire arrêtée par les parties au cours de la renégociation, cette faculté ouverte au débiteur ne devrait pas lui permettre d’échapper aux conséquences de son inexécution passée. Tout au plus pourra-t-il exciper pour celle-ci du bénéfice du nouvel article 1221 à l’effet d’échapper à une obligation d’exécution en nature devenue excessivement onéreuse (v. infra).

Enfin, s’agissant de la sanction, le projet pourrait être plus précis, puisqu’il se borne en l’état à prévoir qu’« une partie peut demander au juge d’y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. » Il est vrai que cette imprécision est celle dont le projet fait également preuve à l’égard de la résolution pour inexécution (art. 1228 et 1229, infra). Mais dès lors que l’on fera l’effort de mieux circonscrire les pouvoirs du juge saisi d’une demande de résolution, il serait possible de renvoyer ici à ces autres dispositions. Plus encore d’ailleurs que lorsque la résolution se fonde sur l’inexécution du débiteur, il est de toute première instance d’assurer cette sécurité minimale lorsqu’il est question de mettre fin au contrat pour des raisons tenant à des circonstances imprévues. À défaut, il ne sert pas à grand-chose d’agiter le spectre de l’insécurité juridique pour rejeter toute idée de révision judiciaire, si l’on accorde au juge des pouvoirs à peu près aussi vastes dans les conséquences à tirer de la résiliation qu’il prononce.

Il est donc simplement suggéré de renvoyer ici, au moins par analogie, aux conditions de la résolution prévues aux articles 1229 et 1230 modifiés du projet.

III. Proposition

Article 1196, alinéa 1er : sans changement.

Alinéa 2 : « En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent demander d’un commun accord au juge de procéder à l’adaptation du contrat. À défaut, une partie peut demander au juge de prononcer sa résolution, dans les conditions prévues aux articles 1229 et 1230. »

Article 1199 : « Lorsque deux acquéreurs successifs d’un même meuble corporel tiennent leur droit d’une même personne, celui qui a pris possession de ce meuble en premier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu’il soit de bonne foi. »

I. Présentation

L’article 1199 reprend en substance la disposition figurant à l’actuel article 1141 du Code civil pour régler le conflit entre deux acquéreurs successifs d’un même auteur.

II. Analyse

L’article 1141 du Code de 1804 tient compte du jour de la mise en possession, « pourvu toutefois que la possession soit de bonne foi ». La jurisprudence en a déduit que la bonne foi de l’acquéreur mis en possession doit exister, non seulement au jour de son acquisition, mais également au jour ultérieur de son entrée en possession (1re civ., 27 nov. 2001, Bull., I, n° 295). Or le projet d’ordonnance se borne sur ce point à cette seule formulation : « à condition qu’il soit de bonne foi ». En l’état, il n’est donc pas possible de savoir si la bonne foi doit exister seulement au jour de l’acquisition ou si elle doit persister également jusqu’au jour de la mise en possession.

Il est donc proposé d’adopter une rédaction plus précise, soit que l’on s’en tienne à la solution du droit positif, soit même que l’on préfère assouplir l’exigence de bonne foi pour la limiter au seul jour de l’acquisition. Sachant néanmoins que, en ce dernier cas, on encourage les comportements consistant pour les acquéreurs apprenant par la suite l’existence d’une autre vente à prendre possession du bien par la force.

III. Proposition

1) Nouvelle rédaction : « Lorsque deux acquéreurs successifs d’un même meuble corporel tiennent leur droit d’un même auteur, celui qui a pris possession de ce meuble en premier en devient seul propriétaire, même si son titre est postérieur, pour autant que son acquisition et son entrée en possession soient intervenues de bonne foi. »

2) Rédaction alternative : « Lorsque deux acquéreurs successifs d’un même meuble corporel tiennent leur droit d’un même auteur, celui qui a pris possession de ce meuble en premier en devient seul propriétaire, même si son titre est postérieur, pour autant que son acquisition soit intervenue de bonne foi. »

Section 2 – Les effets du contrat à l’égard des tiers
(art. 1200 à 1210)

Article 1200 : « Le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties contractantes.

Les tiers ne peuvent ni demander l’exécution du contrat ni se voir contraints de l’exécuter, sous réserve des dispositions de la présente section. »

Article 1201 : « Les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat.

Ils peuvent s’en prévaloir notamment pour apporter la preuve d’un fait.

[Le transfert de la propriété immobilière et des autres droits réels immobiliers est opposable aux tiers dans les conditions fixées par les lois sur la publicité foncière. Des lois particulières règlent l’opposabilité aux tiers du transfert de la propriété de certains meubles.]

Article 1202 : « Lorsque les parties ont conclu un contrat apparent qui dissimule un contrat occulte, ce dernier, appelé aussi contre-lettre, produit effet entre les parties. Il n’est pas opposable aux tiers, qui peuvent néanmoins s’en prévaloir. »

Article 1203 : « Est nulle toute contre-lettre ayant pour objet une augmentation du prix stipulé dans le traité de cession d’un office ministériel.

Est également nul tout contrat ayant pour but de dissimuler une partie du prix, lorsqu’elle porte sur une vente d’immeubles, une cession de fonds de commerce ou de clientèle, une cession d’un droit à un bail, ou le bénéfice d’une promesse de bail portant sur tout ou partie d’un immeuble et tout ou partie de la soulte d’un échange ou d’un partage comprenant des biens immeubles, un fonds de commerce ou une clientèle. »

I. Présentation

Le projet consacre les solutions du droit positif valant en matière d’effet relatif (art. 1200) et d’opposabilité des conventions (art. 1201).

II. Analyse

Le projet prend soin de poser pour principe que les tiers ne peuvent demander l’exécution d’un contrat auquel ils ne sont pas parties, ce dont certaines décisions avaient pu faire douter (3e civ., 13 juill. 2010, Bull., III, n° 146).

En revanche, il ne contient aucune disposition relative à la situation née du préjudice causé à un tiers par un manquement contractuel, que ce soit dans cette sous-section, ou dans celle relative à « La réparation du préjudice causé par l’inexécution contractuelle », où elle aurait pourtant eu toute sa place. Cette omission peut donner lieu à deux interprétations. Soit les auteurs du projet n’ont pas voulu trancher cette question, alors qu’il leur appartenait évidemment de le faire dans le cadre de la réforme, s’agissant là aujourd’hui d’une des questions les plus importantes et les plus controversées en droit des obligations. Soit cette lacune apparente du projet traduit en réalité une véritable prise de position, consistant à reléguer la question dans la réforme à venir du droit de la responsabilité délictuelle. Si telle est la signification de ce silence, elle tout aussi regrettable.

Il a été montré en effet en doctrine que le meilleur moyen de régler cette situation sans saper les prévisions des contractants consistait à rendre le débiteur contractuellement responsable à l’égard des tiers, de sorte à lui permettre de leur opposer toutes les conditions ordinaires de prévisibilité qui régissent la responsabilité contractuelle, les victimes restant par ailleurs recevables à exciper d’une faute délictuelle pour engager la responsabilité extracontractuelle du contractant. C’était précisément la solution que retenait le projet Catala à son article 1342. Ainsi, la nature de la responsabilité dépendrait avant tout de celle de l’obligation méconnue, et non de la qualité de la victime.

S’agissant par ailleurs de la règle selon laquelle les tiers ne peuvent être tenus d’exécuter les obligations nées d’un contrat auquel ils ne sont pas parties, on ne voit aucune disposition de la présente section qui y fasse exception, contrairement à ce que laisse entendre la réserve posée au texte. Le tiers ratifiant une stipulation pour autrui qui, exceptionnellement, ferait peser une obligation sur sa tête devient partie au contrat. Quant au porte-fort, il n’est jamais tenu, quelle que soit la nature de son engagement, d’exécuter lui-même l’obligation principale. En réalité, si un tiers peut être tenu d’exécuter l’obligation d’un contrat qu’il n’a pas souscrit, c’est au nom des règles qui figurent, non dans la présente section, mais dans le titre relatif aux sûretés personnelles.

Il est donc proposé de modifier la rédaction de l’article 1200 et d’insérer un nouvel article à sa suite à l’effet, d’une part, d’indiquer que le principe de l’effet relatif des conventions ne connaît d’exception que si le tiers s’est personnellement engagé en ce sens et, d’autre part, de préciser que, si les tiers ne peuvent exiger l’exécution du contrat, ils peuvent néanmoins engager la responsabilité contractuelle du débiteur en cas de violation d’une obligation spécialement souscrite à leur profit.

III. Proposition

Nouvelle rédaction de l’article 1200 :

« Le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties contractantes.

Ceux qui n’y sont pas parties ne peuvent être contraints d’exécuter les obligations qu’il renferme, sauf engagement pris spécialement en ce sens. »

Article 1201 [nouveau] :

« Les tiers ne peuvent demander l’exécution du contrat à leur profit.

Toutefois, la violation de l’obligation contractée spécialement au bénéfice d’un tiers engage la responsabilité contractuelle du débiteur à son égard. »

I. Présentation

En détaillant les dispositions relatives à la stipulation pour autrui et au porte-fort, le projet d’ordonnance prend aussi l’initiative d’abroger l’article 1122 du Code civil.

II. Analyse

La règle translative posée à l’article 1122 du Code civil, selon laquelle on est réputé avoir stipulé pour ses ayants cause, fonde nombre de solutions du droit positif, dont la nature contractuelle des actions dans les chaînes de contrats, l’action directe du sous-acquéreur contre le vendeur initial, les clauses de substitution de contractants dans les conventions, la transmission des obligations contractuelles aux héritiers ou aux repreneurs, la reprise des actions en justice par les ayants cause, etc. Or, pour une raison que l’on ignore, les auteurs du projet ont pris le parti de ne pas reconduire cette disposition dans le nouveau titre III du Code civil. Lorsqu’on lit cependant les commentaires du projet Terré, qui seul avait adopté ce même parti, on croit comprendre que l’explication s’en trouverait dans une lecture passablement datée de l’article 1122, selon laquelle celui-ci ne concernerait que les ayants cause à titre universel, de sorte que cette transmission se trouverait déjà réglée par le droit des successions. À s’en tenir là, rien n’expliquerait donc la transmission des obligations contractuelles aux ayants cause à titre particulier. Si l’on a peine à imaginer que cette suppression puisse suffire à remettre en cause toutes ces solutions, on peut aussi estimer préférable de ne pas effacer du Code la règle qui les fonde.

Par ailleurs, en reproduisant à cet endroit la lettre de l’actuel article 1119 du Code civil, l’article 1204 du projet pose une règle générale qui ressortit en réalité au paragraphe (« sous-section ») qui précède. Au-delà, on peut s’interroger sur l’intérêt de reprendre une disposition qui contredit directement l’exception prétendue tenant dans la stipulation pour autrui. L’article 1119 avait un sens en 1804, lorsque la stipulation pour autrui n’était possible que « lorsque telle est la condition d’une stipulation que l’on fait pour soi-même ou d’une donation que l’on fait à un autre » (art. 1121). Il n’en a plus aucun à présent que l’on peut librement stipuler pour le compte d’autrui sous la seule réserve de la ratification de ce dernier, ainsi que l’admet le projet lui-même à l’article 1106. Au demeurant, tel est précisément l’objet de la représentation imparfaite qui est à l’œuvre, par exemple, dans le contrat de commission, et consacrée elle aussi à l’article 1153, alinéa 2, du projet d’ordonnance. En toute hypothèse, le texte de l’article 1204 n’ajoute rien à celui de l’article 1200 du projet, selon lequel « Le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties contractantes. »

Il est donc proposé de supprimer le rappel fait de l’article 1119 du Code civil à l’article 1204 du projet, et de le substituer par celui de la règle consignée à l’article 1122 du même Code, tout en remontant cette disposition générale dans la sous-section, devenue paragraphe, qui précède.

III. Proposition

Article 1204 : suppression.

Rétablissement de l’actuel article 1122 du Code civil : « On est censé avoir stipulé pour soi et pour ses ayants cause, à moins que le contraire ne soit exprimé ou ne résulte de la nature de la convention. »

I. Présentation

Les articles 1207 et 1208 règlent les conditions d’acceptation et de révocation de la stipulation pour autrui.

II. Analyse

La formulation de l’article 1207 pose difficulté, notamment dans son deuxième alinéa, ainsi rédigé : « Pourvu qu’elle intervienne avant la révocation, l’acceptation rend la stipulation irrévocable dès que son auteur ou le promettant en a eu connaissance. » En réalité, la précision liminaire paraît sans objet : à partir du moment où il est question d’accepter la stipulation, c’est nécessairement que l’acceptation intervient avant la révocation. Il n’est donc pas besoin de préciser qu’elle reste sans effet si elle intervient trop tard. À quoi il convient d’ajouter que, si la question est de savoir si la stipulation peut encore être révoquée, on imagine bien que cette révocation n’a pas encore été donnée et que, par conséquent, l’acceptation est intervenue avant la révocation. Par ailleurs, le troisième alinéa de l’article 1207 mériterait lui-même d’être reformulé, la proposition « qui est censé l’avoir eu dès sa constitution » n’étant pas très heureuse.

Sur le fond, ces deux articles optent à leur tour pour la théorie de la réception, que le projet a fait le choix d’introduire dans la formation du contrat (v. art. 1122, supra), mais en l’appliquant ici tant à l’acceptation de la stipulation qu’à sa révocation. Or, au-delà des objections déjà formulées contre cette théorie, cette double application pose de toute façon une nouvelle difficulté : si l’acceptation ne produit son effet que quand le stipulant en a pris connaissance et que la révocation ne produit elle-même son effet que du jour où le bénéficiaire en a lui-même pris connaissance, que faut-il décider dans le cas où l’acceptation et la révocation viendraient à se croiser ? Est-il bien raisonnable de privilégier en ce cas la notification parvenue la première à son destinataire, quand même elle aurait été seconde en date, et de faire ainsi dépendre le droit des parties des délais d’acheminement de leur messages, et plus généralement d’un aléa en tout point étranger à leur volonté ? La théorie de l’émission, outre ses autres avantages déjà évoqués sous l’article 1122, a aussi celui de régler simplement cette situation en ayant égard à la seule date de la déclaration.

Il est donc proposé de reformuler les articles 1207 et 1208 du projet en supprimant toute référence à la date de réception de l’acceptation ou de la révocation.

III. Proposition

Article 1207 : « Tant que le bénéficiaire de la stipulation ne l’a pas acceptée, le stipulant peut librement la révoquer.

L’acceptation rend la stipulation irrévocable. Elle investit le bénéficiaire, du jour de la stipulation, du droit d’agir directement contre le promettant en exécution de l’engagement. »

Article 1208 : « La révocation ne peut émaner que du stipulant ou, après son décès, de ses héritiers. Ceux-ci ne peuvent y procéder qu’à l’expiration d’un délai de trois mois à compter du jour où ils ont mis le bénéficiaire en demeure de l’accepter.

Lorsqu’elle est faite par testament, elle prend effet au moment du décès. Si elle n’est pas assortie de la désignation d’un nouveau bénéficiaire, la révocation profite, selon le cas, au stipulant ou à ses héritiers. Le tiers initialement désigné est censé n’avoir jamais bénéficié de la stipulation faite à son profit. »

Section 3 – La durée du contrat
(art. 1211 à 1216)

Article 1211 : « Les engagements perpétuels sont prohibés. »

I. Présentation

L’article 1211 consacre le principe de prohibition des engagements perpétuels.

II. Analyse

Si la consécration de cette prohibition par le projet d’ordonnance doit sans doute être approuvée en son principe, le laconisme de la rédaction adoptée suscite deux difficultés.

La première a trait à la définition même de la perpétuité en matière contractuelle. Doit-on l’entendre dans son sens le plus strict, pour ne viser que les engagements transmissibles aux ayants cause, ou s’en tenir à l’obligation stipulée pour la vie du débiteur ? Faut-il sinon retenir, entre ces deux solutions, la durée de 99 ans que la loi fixe d’ordinaire comme durée maximale des engagements conventionnels (v. par ex. 1re civ., 19 mars 2002, n° 99-21209) ? Une autre solution pourrait consister, si l’on doit retenir une acception large de la perpétuité, à y assimiler les engagements stipulés pour un temps tellement long qu’ils portent une atteinte excessive à la liberté individuelle du contractant, de nature à priver cette liberté de sa substance même. C’est là en effet le fondement traditionnellement invoqué en jurisprudence pour étendre aux durées excessives la prohibition des engagements perpétuels (v. par ex.1re civ., 27 avril 1978, Bull., I, n° 161, et 18 janv. 2000, Bull., I, n° 16, qui annulent, pour contrariété à la liberté individuelle de l’associé, la clause statutaire d’une coopérative fixant à cinquante ans ou même à trente-six ans la durée de l’engagement de l’exploitant agricole dans la société). À partir du moment où l’article 1102 du projet d’ordonnance pose en ce sens, pour principe liminaire, que la liberté contractuelle trouve sa propre limite dans l’atteinte aux droits et libertés fondamentaux des personnes privées, cette même précision trouverait toute sa place en matière de prohibition des engagements perpétuels.

La seconde difficulté concerne la sanction de cette prohibition. On sait sur ce point qu’après avoir longtemps décidé que la nullité affectait nécessairement la totalité de l’acte, la jurisprudence a fini par assouplir cette solution à partir des années 1980, la Cour de cassation n’hésitant plus désormais à limiter l’étendue de la nullité à la seule stipulation de perpétuité, de façon à laisser le contrat sans durée déterminée, et de le rendre ainsi librement résiliable (v. ainsi 3e civ., 19 févr. 1992, Bull., III, n° 46 ; 1re civ., 19 mars 2002, préc. ; 1re civ., 7 mars 2006, Bull., I, n° 132). Cette sanction est à rapprocher de celle qui consiste, lorsque la loi fixe une durée maximale à une obligation, à annuler la seule stipulation fixant une durée plus importante, de sorte à appliquer la limite légale à titre supplétif (v. par ex. Com., 1er déc. 1982, Bull., IV, n° 423, en cas de clause d’exclusivité stipulée pour une durée supérieure à la période de dix ans fixée par l’art. L. 330-1 du Code de commerce). Il pourrait être ainsi saisi l’opportunité de la réforme pour rappeler que le principe de nullité partielle posé à l’article 1185 a également vocation à valoir en cas d’engagement perpétuel.

Il est donc proposé de donner une définition à la perpétuité affectant la validité de l’engagement et de limiter sa sanction à une nullité partielle cantonnée à la seule stipulation de perpétuité (étant précisé que, du fait de la suppression de l’article 1173 du projet, supra, le renvoi à l’article 1185 se fait désormais à l’article 1184).

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« Les engagements perpétuels sont prohibés.

Un engagement est perpétuel lorsque sa durée est telle qu’elle porte une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle du contractant, de nature à priver cette liberté de sa substance même.

En ce cas, la nullité n’affecte que la stipulation de perpétuité, à moins que, conformément à l’article 1184, cette stipulation ait été déterminante de la convention des parties. »

Section 4 – L’inexécution du contrat
(art. 1217 à 1231-7)

Article 1217 : « La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :

– suspendre l’exécution de sa propre obligation ;

– poursuivre l’exécution forcée en nature de l’engagement ;

– solliciter une réduction du prix ;

– provoquer la résolution du contrat ;

– demander la réparation des conséquences de l’inexécution sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

Les remèdes qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulés ; les dommages et intérêts peuvent s’ajouter à tous les autres remèdes. »

I. Présentation

L’article 1217 du projet d’ordonnance énumère les différents « remèdes » qu’il est offert au créancier de mettre en œuvre en cas d’inexécution de la prestation qui lui est due.

II. Analyse

On peut s’étonner, à titre liminaire, de ce que, cédant sans doute à la vogue des terminologies lénifiantes, une expression aussi doctrinale et aussi peu normative que celle de « remèdes » à l’inexécution du contrat soit employée en lieu et place de celle de sanction, qui seule a sa place dans un texte de loi.

S’agissant de leur articulation, le projet fait le choix du cumul des sanctions, sous la seule réserve d’une incompatibilité qu’il appartiendra au juge de définir, c’est-à-dire, on l’espère, à la Cour de cassation. Le projet croit utile d’y ajouter l’allocation de dommages-intérêts alors pourtant qu’il est difficile d’y voir autre chose que « la réparation des conséquences de l’inexécution sur le fondement de la responsabilité contractuelle » visée à l’alinéa qui précède.

Il est simplement suggéré, en substance, de supprimer la référence redondante et confondante à l’allocation complémentaire de dommages-intérêts.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou ne l’a été que partiellement, peut, dans les conditions qui suivent :

– suspendre l’exécution de sa propre obligation ;

– poursuivre l’exécution forcée en nature de l’engagement ;

– solliciter une réduction de la contrepartie ;

– provoquer la résolution du contrat ;

– demander la réparation des conséquences de l’inexécution sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

Ces sanctions peuvent être cumulées dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles. »

Article 1218 : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

Si l’inexécution n’est pas irrémédiable, le contrat peut être suspendu. Si l’inexécution est irrémédiable, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1328 et 1328-1. »

I. Présentation

Le projet fait de la force majeure une cause de résolution de plein droit du contrat.

II. Analyse

La force majeure est une cause exonératoire de responsabilité et n’a pas grand-chose à faire dans la question de l’extinction de l’obligation, dont traite en réalité l’article 1218. Il conviendrait plutôt de l’évoquer avec la responsabilité contractuelle (art. 1231 et s.), ce que ne fait pas le projet en l’état, sauf incidemment à l’article 1231-1.

Ce que vise en réalité l’article 1218, c’est le cas de l’exécution devenue impossible. Or dans un tel cas, l’extinction de l’obligation ne s’appuie pas sur l’idée de « résolution de plein droit », laquelle se fonde toujours sur la volonté des contractants, mais sur celle de caducité, précisément pour objet devenu impossible. Cela résulte clairement de la lettre de l’article 1186 du projet, et l’on peut regretter que le lien avec cette sanction n’ait pas été fait à cet endroit du projet.

Une fois le principe de la caducité acquis, c’est une autre question de savoir si le débiteur peut en être tenu ou non responsable. Et ce n’est qu’à ce stade du raisonnement qu’il y aura lieu de s’interroger sur la cause de l’impossibilité, et sur le point de savoir si le débiteur pouvait la prévenir d’une manière ou d’une autre.

En conséquence de ce qui précède, il est proposé de déplacer le premier alinéa de l’article 1218 sous les articles 1231 et suivants, et de modifier la rédaction du second alinéa. D’un point de vue purement formel, il semblerait en outre logique de créer, comme ailleurs dans le projet, un premier paragraphe pour regrouper ces dispositions liminaires, à caractère général, telles qu’elles figurent aux articles 1217 et 1218 du projet.

III. Proposition

Nouvelle rédaction : « L’inexécution devenue irrémédiablement impossible entraîne la caducité du contrat. Si l’impossibilité n’est pas irrémédiable, l’exigibilité de l’obligation peut être suspendue. »

Article 1219 : « Une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. »

Article 1220 : « Une partie peut suspendre l’exécution de sa prestation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais. »

I. Présentation

Ces deux articles reconnaissent le principe de l’exception d’inexécution en permettant au contractant de retenir son paiement pour le cas où l’autre partie n’exécuterait pas sa propre obligation.

II. Analyse

Il conviendrait sans doute de limiter le jeu de l’exception d’inexécution aux seuls contrats synallagmatiques, c’est-à-dire à l’hypothèse dans laquelle l’obligation d’une partie trouve sa contrepartie dans l’exécution de l’obligation du cocontractant. De cette façon, il pourrait être précisé que le manquement du cocontractant autorise l’autre partie à retenir son paiement pour autant seulement qu’il concerne l’obligation qui lui servait de contrepartie, ce qui permettrait de ne pas faire usage de critères aussi vagues que celui d’« inexécution suffisamment grave ».

Cette introduction de l’exception d’inexécution dans le Code civil pourrait être l’occasion d’en révéler un peu mieux les ressorts, et de préciser en particulier que le contractant ne peut opposer cette exception que pour autant qu’il s’est lui-même pour partie exécuté (ou qu’il bénéficie d’un préalable légal ou conventionnel dans l’ordre des paiements, mais il n’est plus besoin en cette autre hypothèse d’opposer l’exception d’inexécution pour régler la difficulté). À défaut de cette précision, l’actuelle rédaction ne permet pas d’éviter la situation de blocage qui pourrait naître de deux contractants prétendant chacun se prévaloir de l’absence de paiement réciproque pour retenir son propre paiement.

Il est donc proposé de préciser que l’exception d’inexécution ne peut jouer qu’entre prestations réciproques, et qu’elle ne profite qu’au débiteur d’une obligation à exécution successive, sauf le cas dans lequel elle intervient à titre préventif.

III. Proposition

Article 1219 : « Le débiteur d’une obligation à exécution successive peut refuser de continuer à exécuter son obligation si son cocontractant n’exécute pas la prestation qui en constitue la contrepartie. »

Article 1220 : « Une partie peut suspendre l’exécution de sa prestation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant n’exécutera pas à l’échéance prévue l’obligation qui en constitue la contrepartie. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais. »

Article 1221 : « Le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou si son coût est manifestement déraisonnable. »

I. Présentation

Le projet consacre le droit du créancier à obtenir l’exécution en nature tout en y apportant une limite tenant notamment au coût déraisonnable de cette exécution. C’est là une proposition qui avait été faite par le projet Terré (art. 105). Il ne réserve pas spécialement en revanche le cas dans lequel l’exécution forcée heurterait une liberté fondamentale du débiteur, s’éloignant sur ce point du projet Catala (art. 1154).

II. Analyse

En ne prévoyant qu’un droit à exécution en nature, à l’exclusion de toute exécution par équivalent, le projet d’ordonnance paraît renvoyer cette dernière à la seule allocation de dommages-intérêts, alors qu’une distinction était possible, en particulier lorsque l’exécution en nature est rendue impossible ou excessivement onéreuse. En ce cas en effet, l’exécution par équivalent permet au juge de condamner le débiteur à s’exécuter en une autre espèce, qui peut ne pas être monétaire. Et même lorsque l’équivalent est monétaire, sa valeur est fixée en fonction de celle de la prestation attendue, et non du préjudice effectivement subi, lequel n’a en outre pas à être démontré. Il faut donc semble-t-il en conclure que cette possibilité d’exécution par équivalent ne survivra pas au projet de réforme. On perdra sans doute en justice ce que l’on gagnera en sécurité.

La limite apportée par le projet au droit d’exécution en nature sera sans doute critiquée, mais elle est seule de nature à préserver un juste équilibre entre les intérêts antagonistes des contractants. Elle est d’ailleurs conforme au principe de prévisibilité qui régit les obligations nées du contrat, à partir du moment où le projet prend le parti de l’étendre au-delà de la seule responsabilité contractuelle, notamment en introduisant la théorie de l’imprévision (art. 1196, supra). Tout au plus serait-il utile de fonder le raisonnable bornant le droit à exécution sur la volonté des parties, de sorte à préciser que la raison en cause est bien ici celle des contractants.

La question peut justement se poser alors de son articulation avec la théorie de l’imprévision (art. 1196, supra), chaque fois que le manquement du débiteur se fondera sur le caractère excessivement onéreux de l’exécution attendue. En une telle occurrence, le débiteur aura donc le choix, soit de se borner à défendre à l’action en exécution forcée du créancier, mais au risque de supporter la charge de dommages-intérêts, soit de prendre les devants en demandant la renégociation du contrat. Toutefois, cette initiative pourrait rester sans effet pour l’inexécution passée, de sorte que, pour celle-ci au moins, le moyen de défense tirée de l’article 1221 conserve tout son intérêt.

Cet article ajoute encore que le créancier ne peut non plus réclamer l’exécution forcée en nature si celle-ci est impossible. Mais, à partir du moment où le projet n’évoque que le droit à l’exécution forcée en nature, écartant ainsi toute idée d’exécution forcée par équivalent, et donc en valeur (v. égal. art. 1217 proj.), la précision tient du truisme : on ne peut évidemment pas poursuivre l’exécution d’une obligation si cette exécution est en réalité impossible. Et c’est encore une autre tautologie que de parler de « créancier de l’obligation ». S’il s’agit de comprendre à travers cette condition de possibilité que se trouveraient en réalité visés les cas d’atteinte aux libertés fondamentales du débiteur (v. Pour une réforme du droit des contrats, Dalloz, 2009, p. 264), il serait préférable de le dire clairement, comme le faisait le projet Catala.

Il conviendrait donc de reprendre cet article en la forme pour supprimer les redondances qui l’affectent, et de préciser sur le fond que l’atteinte aux libertés fondamentales du débiteur constitue une autre exception au principe d’exécution forcée.

III. Proposition

Nouvelle rédaction : « Le créancier peut, après mise en demeure, poursuivre l’exécution en nature, sauf si celle-ci porte atteinte à une liberté fondamentale du débiteur ou si son coût est devenue manifestement déraisonnable au regard des prévisions initiales des parties. »

Article 1223 : « Le créancier peut accepter une exécution imparfaite du contrat et réduire proportionnellement le prix.

S’il n’a pas encore payé, le créancier notifie sa décision dans les meilleurs délais. »

I. Présentation

Il est reconnu une nouvelle faculté au créancier : celle d’obtenir la réduction du prix en cas d’exécution seulement partielle de la prestation attendue.

II. Analyse

Suivant en cela l’exemple de nombreux autres instruments (PDEC, art. 9:401 ; proj. Acad. privatistes Pavie, art. 113, al. 1er ; DCFR, III, 3:601 ; projet Terré, art. 107), le projet d’ordonnance généralise une faculté qui existe déjà dans nombre de situations en droit français, qu’il s’agisse notamment de l’action estimatoire pour vice caché (C. civ., art. 1644), des actions en réduction pour défaut de contenance ou de mesure (art. 1617 et 1619), ou encore du défaut de conformité dans la vente au consommateur (C. consom., art. L. 211-10). C’est déjà au demeurant une sanction de principe pour les ventes commerciales (Com., 15 déc. 1992, Bull., IV, n° 421), ou pour la vente internationale de marchandise (CVIM, art. 50), mais aussi en matière de mandat ou de contrat d’entreprise (Com., 2 mars 1993, Bull., IV, n° 83 ; 1re civ., 21 févr. 1995, n° 93-11.204 ; 3 mars 1998, Bull., I, n° 85 ; 3e civ., 20 janv. 2015, n° 13-22.619). Sous ce dernier aspect d’ailleurs, la réduction du prix pour inexécution partielle peut passer pour une application particulière de la règle prétorienne selon laquelle, dorénavant, le prix d’un marché, même stipulé à forfait, pourrait toujours être révisé en cas de fixation excessive au regard du service effectivement rendu (1re civ., 5 mai 1998, Bull., I, n° 168 ; 23 nov. 2011, Bull., I, n° 206), sans qu’il soit possible de s’assurer que, en disposant comme ils l’ont fait, les auteurs du projet aient entendu revenir sur cette jurisprudence pour cantonner le pouvoir de révision judiciaire au seul cas d’inexécution partielle. En toute hypothèse, le prix d’un contrat d’entreprise pourrait toujours être déterminé par le juge, que ce soit en amont, avant tout accord des parties (art. 1164 proj.), ou même en aval, après leur accord (art. 1223), la seule question étant de savoir, en ce dernier cas, sur quel critère la réduction peut désormais intervenir : au cas d’inexécution partielle seulement, seule hypothèse envisagée par l’article 1223 du projet, ou pour toute fixation excessive du prix au regard de la prestation effectivement accomplie, comme l’y autorise le droit positif ? Le rapprochement avec l’article 1164 du projet invite à retenir plutôt la première de ces deux interprétations (v. supra).

Si généralisation il y a, elle ne consiste donc au fond qu’à étendre cette faculté de réduction à toute espèce de contrat, même de vente, et à toute espèce d’inexécution, sans égard pour la nature du vice ni pour la qualité des parties. Quitte d’ailleurs à œuvrer en ce sens, il aurait été possible de ne pas limiter la solution à la seule stipulation d’un prix, et de l’appliquer à toute quotité, sans la réserver aux sommes d’argent. Évidemment, cette faculté nouvelle porte en elle le germe d’un important contentieux. Mais en conférant cette faculté au créancier, c’est au fond une sanction supplémentaire que l’on offre au juge appelé à trancher le litige né de l’inexécution partielle du contrat.

Notons qu’il s’agit bien là d’une sanction distincte de la responsabilité contractuelle, puisqu’il n’est pas exigé du créancier de faire la preuve d’un préjudice, que la réduction intervient à proportion de l’inexécution et non de ce préjudice, et que, surtout, la force majeure, qui excuserait le débiteur, ne paraît pas faire obstacle à la réduction du prix par son cocontractant.

Il est simplement proposé d’améliorer en la forme la rédaction de cette disposition et d’ajouter qu’elle s’applique plus généralement à toute quotité. Par suite, l’intitulé « réduction du prix » doit être remplacé par celui plus générique de « réduction », sachant que cette sous-section devrait en réalité constituer un paragraphe (v. chap. IV, obs. gén., supra), lequel doit être renuméroté § 4 du fait de la création d’un nouveau paragraphe liminaire (v. art. 1218, supra).

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« § 4 – La réduction »

Article 1223 : «Le créancier peut accepter une exécution partielle et réduire à due proportion le prix ou la quotité qu’il doit en contrepartie de cette exécution.

S’il n’a pas encore payé, le créancier notifie sa décision dans les meilleurs délais. »

Article 1224 : « La résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire, soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice. »

I. Présentation

L’article liminaire de la sous-section relative à la résolution présente les différentes formes de la résolution pour inexécution, selon qu’elle repose ou non sur l’existence d’une clause résolutoire, et selon qu’elle est ou non de nature judiciaire.

II. Analyse

Le projet d’ordonnance détache la résolution pour inexécution de la condition résolutoire, dont il n’est plus fait mention pour expliquer le mécanisme de cette cause d’anéantissement des conventions. Par ailleurs, en supprimant une mention qui figurait jusqu’alors à l’article 1184 du Code civil, la rédaction de l’article 1224 permet d’étendre le jeu de la résolution pour inexécution à toute convention, même non synallagmatique, suivant en cela une proposition du projet Terré.

S’agissant du critère retenu pour justifier la résolution pour inexécution, il aurait été possible de faire mieux que d’exiger que le manquement soit « suffisamment grave ». Quitte à s’inspirer très largement des solutions du droit allemand, c’était ici l’occasion de puiser utilement à cette source, la jurisprudence outre-rhénane ayant depuis longtemps précisé que l’inexécution ne fonde la résolution que si elle fait disparaître l’intérêt du contrat pour le créancier (solution entérinée en 2001 au § 323 (5) du BGB ; v. égal. à propos de la « contravention essentielle » justifiant la résolution de la vente selon la Convention de Vienne : BGH, 24 sept. 2014, VIII ZR 394/12). Au vu du choix qui a été fait de généraliser la résolution extrajudiciaire par simple notification, la précision du critère paraît d’autant plus déterminante que la décision du créancier dépend tout entière de cette condition : menacé de dommages-intérêts en cas d’erreur d’appréciation, il doit être mis en situation de juger par lui-même du bien-fondé de sa position sur la base d’une règle assez claire pour cantonner l’incertitude judiciaire à sa juste mesure. En ce sens, le rapport de présentation de la première version du projet de réforme établie en juillet 2008 prenait la peine de préciser que la résolution unilatérale « suppose une perte d’intérêt au contrat », et l’on peut regretter que cette indication ne figure plus dans l’actuel projet.

En revanche, la proposition de résolution anticipée pour inexécution future et certaine, que l’on trouvait dans le projet Terré (art. 111), semble ne pas avoir été retenue par le projet d’ordonnance, en l’absence de toute disposition spéciale en ce sens, alors qu’elle est pourtant connue aussi bien des droits germaniques que des systèmes de common law, qu’elle est consacrée dans la plupart des instruments internationaux (not. CVIM, art. 72 ; Principes Unidroit, art. 7.3.3 ; PDEC, art. 9:304), et qu’elle avait d’ailleurs été évoquée par le premier projet de la Chancellerie. Au demeurant, il est difficile de comprendre pour quelle raison l’inexécution anticipée pourrait justifier la suspension de l’exécution réciproque (art. 1220, supra), et ne pas justifier la résolution lorsque son occurrence est certaine ou d’emblée annoncée par le débiteur.

Il est donc suggéré de reconnaître un droit de résolution pour inexécution future et certaine. De façon plus générale, il est également proposé de préciser le critère de la résolution pour inexécution en indiquant que le manquement contractuel ne justifie de mettre fin à la convention des parties que s’il prive celle-ci de son intérêt, ou de sa raison d’être, pour le créancier.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« La résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire, soit d’une inexécution suffisamment grave pour priver le contrat de sa raison d’être pour le contractant qui l’invoque.

Une inexécution future et certaine justifie la résolution dans les mêmes conditions.

Lorsqu’elle se fonde sur l’inexécution du contrat, la résolution intervient soit par notification du créancier au débiteur, soit par décision de justice. »

Article 1225 : « La clause résolutoire désigne les engagements dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat.

La résolution est subordonnée à une mise en demeure infructueuse, s’il n’a pas été convenu que celle–ci résulterait du seul fait de l’inexécution. La mise en demeure mentionne de manière apparente la clause résolutoire.

La résolution prend effet par la notification qui en est faite au débiteur et à la date de sa réception. »

I. Présentation

L’article 1225 détaille le régime de la résolution fondée sur l’existence d’une clause résolutoire.

II. Analyse

En indiquant que la résolution prend effet au moyen de la notification qui en est faite, le texte paraît exiger une seconde notification après la mise en demeure préalable. De fait, cette solution était celle préconisée tant par le projet Catala (art. 1159) que par le projet Terré (art. 112). Une telle exigence semble pourtant bien incongrue lorsque l’on sait qu’elle n’est pas même exigée du bailleur délivrant congé à son locataire sur le fondement d’une clause résolutoire. Il pourrait être précisé pour couper court à cette interprétation que la résolution prend effet à l’expiration du délai imparti par le créancier dans sa mise en demeure, et que la solution posée par le dernier alinéa ne vaut que lorsque, par exception, la mise en demeure opère de plein droit, du seul fait de l’inexécution.

Par ailleurs, le projet entreprend à nouveau ici d’appliquer la théorie de la réception à la notification de la résolution, prenant à cet égard le contrepied tant de la jurisprudence (Com., 3 juin 1997, Bull., IV, n° 168), que de la tradition rappelée plus haut sous l’article 1122 du projet (v. supra). Il se fait même particulièrement insistant, puisque la précision figure encore sous l’article 1229.

Il est donc proposé de distinguer les conditions d’acquisition de la clause résolutoire selon que la mise en demeure préalable est intervenue ou non par voie de notification, et de supprimer en revanche la précision selon laquelle la résolution ne prendrait effet qu’au jour de la réception de sa notification.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« La clause résolutoire vise les obligations dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat.

La résolution fondée sur la clause résolutoire est subordonnée à une mise en demeure préalable restée infructueuse, à moins que l’inexécution soit irrémédiable ou qu’il ait été convenu que la mise en demeure résulterait du seul fait de l’inexécution.

La mise en demeure vise de manière apparente l’existence de la clause résolutoire et précise le délai au terme duquel celle-ci sera réputée acquise. La clause résolutoire n’est acquise qu’à l’expiration d’un délai suffisant pour permettre au débiteur d’exécuter son obligation.

En cas de mise en demeure résultant du seul fait de l’inexécution, la résolution prend effet par la notification qui en est faite au débiteur. »

Article 1226 : « Le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.

La mise en demeure mentionne de manière apparente qu’à défaut pour le débiteur de satisfaire à son engagement, le créancier sera en droit de résoudre le contrat.

Lorsque l’inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent.

Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l’inexécution. »

I. Présentation

L’article 1226 généralise la résolution pour inexécution intervenant sur notification du créancier en l’absence de clause résolutoire.

II. Analyse

Si le projet d’ordonnance entérine la faculté reconnue au créancier par la jurisprudence de résoudre le contrat par simple notification, il l’autorise en toute circonstance, en supprimant toute condition d’urgence ou de particulière gravité. En contrepartie, il la subordonne à une double formalité : celle de la mise en demeure préalable d’abord (quoique celle-ci ne soit pas une véritable exigence puisque la mise en demeure est systématique en cas d’inexécution), puis, au terme du délai fixé par le créancier, qui doit être raisonnable, c’est la notification de la résolution elle-même qui intervient, et qui doit indiquer les motifs de la rupture.

La disposition ne tient toutefois pas compte de l’hypothèse, prévue précédemment en cas de clause résolutoire, dans laquelle la mise en demeure résulterait de la seule inexécution du débiteur. En ce cas, la formalité de la mise en demeure préalable semble parfaitement inutile, soit que le débiteur est déjà en demeure, soit que l’inexécution est devenue irrémédiable. Il conviendrait donc de préciser pour cette situation que la résolution prend effet dès sa notification par le créancier, sans formalité préalable. Rien n’est dit non plus des suites de l’action en justice selon que la notification de la résolution est jugée bien ou mal fondée, ce qui mériterait de faire l’objet d’un autre alinéa.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« Le créancier peut prendre l’initiative de résoudre le contrat à ses risques et périls par voie de notification. En ce cas, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable, à moins que l’inexécution soit définitivement acquise ou qu’il ait été convenu que la mise en demeure résulterait du seul fait de l’inexécution.

La mise en demeure indique de manière apparente que, à défaut pour le débiteur de satisfaire à son engagement, le créancier sera en droit de résoudre le contrat.

Lorsque l’inexécution persiste ou qu’elle est devenue irrémédiable, le créancier peut notifier au débiteur la résolution du contrat. La notification de la résolution doit indiquer les raisons qui la motivent.

L’une ou l’autre partie peut à tout moment saisir le juge pour contester ou démontrer le bien-fondé de la résolution. Il appartient en ce cas au créancier d’établir la gravité de l’inexécution justifiant la résolution.

Si le juge déclare la résolution bien fondée, celle-ci prend effet au jour de sa notification. Si la résolution est jugée mal fondée, elle ne produit aucun effet, et le cocontractant peut demander au juge de prononcer la résolution aux torts de la partie qui en avait pris l’initiative si les conditions d’une résolution judiciaire sont réunies, ainsi que de lui allouer des dommages-intérêts en réparation de son préjudice. »

Article 1227 : « La résolution peut toujours être demandée en justice. »

Article 1228 : « Le juge peut, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l’exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur. »

I. Présentation

L’article 1227 rappelle que la résolution peut toujours être judiciaire, et l’article suivant fixe les pouvoirs du juge de la résolution.

II. Analyse

En réalité, tel qu’il est formulé, l’article 1228 ne fixe rien du tout : il laisse tout pouvoir au juge pour décider, « selon les circonstances », s’il convient de constater la résolution, de la prononcer, ou encore de d’ordonner l’exécution. Si l’on peut comprendre que l’accueil ou le rejet par le juge de la demande de résolution dépende en effet des circonstances, c’est-à-dire pour l’essentiel de la gravité de l’inexécution invoquée et du comportement de l’une et l’autre parties, il aurait été possible de se montrer un peu plus précis s’agissant des sanctions susceptibles d’être prononcées. À cet égard, et en premier lieu, il est difficile de penser que le juge saisi d’une demande en résolution puisse ordonner l’exécution du contrat si cette autre demande ne lui a pas été faite, en dépit de l’affirmation contraire d’une décision isolée et déjà ancienne (Com., 24 avril 1972, Bull., IV, n° 117). En revanche, il peut effectivement accorder un délai s’il estime que l’exécution est encore possible et qu’elle présente toujours un intérêt répondant à la volonté initiale des parties. En second lieu, la question même de savoir si la résolution doit être constatée ou prononcée dépend du point de savoir si le jugement doit avoir un effet déclaratif ou constitutif de droits. Or, si la résolution est judiciaire, c’est bien qu’elle prononcée par le juge, puisqu’elle résulte précisément de sa décision. C’est alors une autre question de savoir à quelle date cette résolution judiciaire doit produire son effet. Si bien que l’on finit par se demander à ce degré d’incertitude si l’article 1228 se situe bien au fond dans le cadre de la résolution judiciaire, ou s’il ne vise pas indifféremment l’une ou l’autre des trois formes de résolution. En toute hypothèse, son imprécision le rend inutile.

Il est donc proposé de supprimer l’article 1228. Une autre solution consisterait à l’intégrer sous une autre rédaction à l’article 1227.

III. Proposition

1) Suppression de l’article 1228.

2) Suppression de l’article 1228 et nouvelle rédaction de l’article 1227 :

« La résolution peut toujours être demandée en justice.

En ce cas, le juge prononce la résolution s’il estime que la gravité du manquement a privé le contrat de sa raison d’être pour le créancier.

Il peut être accordé au débiteur un délai si l’exécution est encore possible et qu’elle présente un intérêt conforme à la volonté initiale des contractants. »

Article 1229 : « La résolution met fin au contrat.

La résolution prend effet, selon les cas, soit dans les conditions prévues par la clause résolutoire, soit à la date de la réception par le débiteur de la notification faite par le créancier, soit à la date fixée par le juge ou, à défaut, au jour de l’assignation en justice.

Elle oblige à restituer les prestations échangées lorsque leur exécution n’a pas été conforme aux obligations respectives des parties ou lorsque l’économie du contrat le commande.

Les restitutions ont alors lieu dans les conditions prévues au chapitre V du titre IV. »

I. Présentation

L’article 1229 du projet règle les conséquences de la résolution en faisant varier sa date de prise d’effet en fonction de sa nature judiciaire ou extrajudiciaire.

II. Analyse

La date d’effet de la résolution ne dépend pas du jour où elle est prononcée mais du jour de l’inexécution qui la fonde, quel que soit le mode de résolution utilisé. On ne voit pas en effet ce qui justifierait de retarder les effets de la résolution à la date de son prononcé dans tous les cas où, comme souvent, le créancier se prévaut d’une inexécution qui a pu l’entraîner à satisfaire plus que son cocontractant aux obligations nées du contrat. Ne pas résoudre le contrat aussi pour cette période reviendrait à entériner les déséquilibres passés. Or la solution consistant à fixer la date des effets de la résolution à sa notification ou même au jour de l’assignation revient bien à la faire dépendre pour l’essentiel de son prononcé, au moins par le créancier. Au demeurant, le projet ne paraît pas ignorer la difficulté puisque, de façon apparemment contradictoire, son troisième alinéa permet néanmoins de faire rétroagir la résolution à une époque antérieure. Mais il est vrai qu’il est difficile de définir avec exactitude le champ de cette apparente exception sachant qu’il est prévu d’en faire application « lorsque leur exécution [celle des prestations] n’a pas été conforme aux obligations respectives des parties ou lorsque l’économie du contrat le commande ». On ne trouvera aucun éclaircissement à cet égard dans le projet Terré, qui proposait, de façon plutôt radicale, de renoncer à toute rétroactivité de la résolution, même donc pour les contrats à exécution instantanée, tout en permettant, sans crainte du paradoxe, d’ordonner néanmoins des restitutions en ce cas (art. 115 et 116).

Il n’en va pas différemment pour la résolution judiciaire, dont l’effet n’est pas lié, même à titre supplétif, à la date d’assignation. La jurisprudence rappelle avec constance que la résolution judiciaire prend effet pour toute la période à partir de laquelle l’un des contractants n’a pas rempli ses obligations (3e civ., 30 avril 2003, Bull., III, n° 87 ; 3e civ., 1er oct. 2008, n° 07-15338 ; Com., 20 nov. 2009, n° 08-19990). Elle n’opère du jour de son prononcé, sans rétroactivité, que dans l’hypothèse où il est établi que l’exécution du contrat s’est poursuivie jusqu’à cette date (1re civ., 27 janv. 1998, Bull., I, n° 29 ; Soc., 31 mai 2011, n° 09-65680). En toute hypothèse, la date d’assignation ne pourrait constituer un critère pertinent que si l’on rattachait l’effet de toute résolution à la date de sa notification, ce qui, encore une fois, est sans fondement.

C’est en application de ces principes qu’il est bien acquis depuis toujours que la résolution du contrat opère rétroactivement jusqu’au jour de sa formation lorsqu’elle concerne un contrat à exécution instantanée (v. égal. en ce sens projet Catala, art. 1160-1). L’existence de cette catégorie de contrats étant reconnue et définie à l’article 1110 du projet, il serait utile d’en faire enfin ici application, plutôt que d’abandonner la question à la discrétion des juges, seulement guidée par des notions aussi vague que « l’économie du contrat ».

Il est donc suggéré de réécrire l’article 1229 du projet en précisant que la résolution opère du jour de l’inexécution qui la fonde, et que cette règle implique que la rétroactivité soit totale pour les contrats à exécution instantanée (étant précisé que, du fait de la réorganisation proposée du titre IV, le chapitre relatif aux restitutions auquel il est renvoyé devient le chapitre IV de ce même titre : v. obs. gén., in limine, supra).

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« La résolution met fin au contrat du jour de l’inexécution qui la fonde.

Elle donne lieu à restitution depuis cette date, dans les conditions prévues au chapitre IV du titre IV.

Dans les contrats à exécution instantanée, la résolution prend effet du jour de la formation du contrat et donne lieu à restitution depuis cette date. »

Article 1230 : « La résolution n’affecte ni les clauses relatives au règlement des différends, ni celles destinées à produire effet même en cas de résolution, telles les clauses de confidentialité et de non-concurrence. »

I. Présentation

Il est précisé à l’article 1230 que la résolution du contrat ne concerne pas les clauses dont l’objet est précisément de produire leur effet en cette circonstance.

II. Analyse

Les clauses visées à ce titre par le projet d’ordonnance sont toutes les clauses de règlement de différends, ainsi que, notamment, les clauses de confidentialité et de non-concurrence. On pourrait y adjoindre d’autres stipulations, telles celles relatives à la responsabilité qui s’attache à cette inexécution. Mais il est vrai que celles-ci peuvent aussi bien s’analyser comme des clauses relatives au règlement d’un différend.

Les auteurs du projet ne sont toutefois pas allés jusqu’à reconnaître au-delà un domaine propre à la résolution partielle, comme le proposaient tout ensemble les projets Catala et Terré, alors que l’admission d’un principe de nullité partielle a semble-t-il posé moins de difficultés (art. 1185 proj., supra). Mais il est vrai que la cause de l’anéantissement n’est pas la même : à partir du moment où l’on exige pour justifier la résolution que l’inexécution soit « suffisamment grave », ou qu’elle prive le contrat de sa raison d’être, toute idée d’exécution divise du contrat est rendue d’appréciation délicate.

III. Proposition

Sans changement.

I. Présentation

Traitant de la responsabilité contractuelle, la sous-section 5 s’intitule dans le projet « La réparation du préjudice causé par l’inexécution contractuelle ». Elle reprend dans son contenu l’essentiel des règles du droit positif.

II. Analyse

Préférant sans doute ne pas entrer dans la discussion relative à la pertinence du concept de responsabilité contractuelle, le projet d’ordonnance se propose de retenir pour intitulé de la présente sous-section « La réparation du préjudice causé par l’inexécution contractuelle ». Pourtant, cette périphrase n’est pas de nature à contourner ces débats, puisque réparer un préjudice causé par une inexécution correspond précisément à la définition de la responsabilité. La discussion doctrinale porte en réalité sur un autre terrain, consistant à savoir s’il s’agit bien, en un tel cas, de réparer un préjudice plutôt que d’exécuter la prestation attendue. À partir du moment où le projet tranche la question en adoptant le premier point de vue, il doit en tirer les conséquences terminologiques quant à l’intitulé de la présente sous-section.

Étant précisé qu’il ne s’agit pas non plus de traduire par cette expression la situation dans laquelle l’inexécution contractuelle causerait un préjudice à un tiers au contrat, de sorte à éviter de se prononcer sur la nature contractuelle ou délictuelle de la responsabilité alors encourue, puisque cette question n’est pas plus évoquée dans la présente sous-section qu’elle ne l’était précédemment dans celle relative aux effets du contrat à l’égard des tiers. Il y a d’ailleurs là une lacune du projet qu’il importe de combler si l’on ne veut pas voir la question tranchée dans le mauvais sens une fois reléguée dans la réforme restant à intervenir de la responsabilité délictuelle (v. art. 1200 et s., supra).

Par ailleurs, il importe ici de rappeler que la subdivision naturelle de la section se trouve dans le paragraphe et non dans la sous-section, laquelle n’est jamais employée que pour introduire une subdivision supplémentaire entre la section et le paragraphe. De sorte que cette sous-section comme les précédentes devrait être requalifiée de paragraphe.

Pour ce qui est des présentes dispositions, il pourrait être utile de revoir la formulation de la plupart d’entre elles, qui, tirée du Code de 1804, apparaît ici particulièrement datée (par ex. la redondance de l’article 1231-3 : « lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée »).

III. Proposition

Article 1231 : « Les dommages-intérêts ne sont dus que du jour où le débiteur a été mis en demeure de remplir son obligation, excepté lorsque la prestation qu’il s’était obligé à fournir ne pouvait être exécutée que dans un certain temps qu’il a laissé passer. »

Article 1231-1 : « Le débiteur est tenu de réparer le préjudice qui résulte, soit de l’inexécution de son obligation, soit du retard dans l’exécution, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère. »

Article 1231-2 : « Les dommages-intérêts sont de la perte subie et du gain manqué par le créancier, sous réserve des dispositions qui suivent. »

Article 1231-3 : « Le débiteur n’est tenu que des dommages-intérêts qui ont été prévus ou que l’on a pu prévoir lors de la conclusion du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation a été méconnue. »

Article 1231-4 : « Dans le cas même où l’inexécution résulte du dol du débiteur, les dommages-intérêts ne réparent que la suite immédiate et directe de l’inexécution. »

Article 1231-5 : « Lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte, ni moindre.

Néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

Lorsque l’engagement a été exécuté en partie, la sanction convenue peut, même d’office, être diminuée par le juge à proportion de l’intérêt que l’exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l’application de l’alinéa précédent.

Toute stipulation contraire aux deux alinéas précédents est réputée non écrite.

Sauf clause contraire, la peine n’est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure. »

I. Présentation

L’article 1231-5 du projet reprend pour l’essentiel l’actuel article 1152 du Code civil qui confère au juge le pouvoir de réviser les clauses pénales manifestement excessives ou dérisoires.

II. Analyse

En reconduisant la rédaction de l’actuelle article 1152 du Code civil, le projet d’ordonnance paraît entériner une interprétation qui a vu la jurisprudence opérer une distinction assez incertaine entre clauses de responsabilité et clauses pénales, fondée sur l’intention comminatoire des contractants, pour limiter à ces dernières le pouvoir de révision du juge. Cette interprétation était d’ailleurs ouvertement contraire à la volonté qui avait présidé à l’adoption de la loi du 9 juillet 1975, puisque celle-ci avait pris soin d’introduire ce pouvoir de révision, non pas seulement sous l’article 1231, propre à la clause pénale, mais sous l’article 1152, relatif à toute stipulation de dommages-intérêts. En réalité, la seule justification véritable de cette jurisprudence tient dans l’hypothèse où les dommages-intérêts fixés forfaitairement s’avéreraient très insuffisants, rien ne justifiant alors de les augmenter si les parties ont entendu stipuler une clause limitative de responsabilité. Mais il suffirait de poser une solution propre à la clause limitative de responsabilité, plus facilement identifiable que la clause pénale, pour régler cette hypothèse.

Quant à l’indication, introduite par la loi du 11 octobre 1985, selon laquelle le juge dispose du pouvoir de réviser la clause pénale « même d’office », elle ne mérite peut-être pas d’être maintenue tant elle heurte ensemble l’autonomie de la volonté et le principe dispositif du procès. Ce qui est recherché, au fond, c’est que le juge puisse se fonder d’office sur l’article 1152 du Code civil si une contestation s’élève, comme ce sera généralement le cas, sur le principe ou le montant des dommages-intérêts réclamés en exécution du contrat. Or cette faculté est déjà celle que lui reconnaissent les principes de la procédure, le cas échéant en usant de la théorie des demandes implicites. En réalité, telle que elle est rédigée, cette disposition permettrait au juge d’aller bien plus loin, en s’autorisant à réviser de son propre chef la convention des parties, sans avoir été saisie d’aucune contestation sur ce point. Ce que l’on peut à la rigueur admettre en droit de la consommation, lorsqu’il est question d’écarter du contrat une clause abusive qui n’y avait objectivement pas sa place, devient tout à fait exorbitant lorsqu’il s’agit, en droit commun, de modifier de son propre chef la teneur des obligations que se sont données les parties. Il conviendrait donc de supprimer une mention tout à la fois inutile et dangereuse.

Par ailleurs, le troisième alinéa reprend l’actuel article 1231 du Code civil qui étend le pouvoir de révision judiciaire au cas dans lequel l’inexécution n’aurait été que partielle, sans prévoir toutefois que cette révision se trouve soumise à la même condition d’excès manifeste. Il est pourtant difficile d’admettre que ce pouvoir de révision puisse être rendu inconditionnel lorsque l’inexécution n’est que partielle alors qu’il était strictement encadré lorsque l’inexécution était totale. En l’état, la solution du droit positif revient à postuler que les contractants n’auraient envisagé que le cas de l’inexécution totale, de sorte qu’il conviendrait de moduler le forfait convenu à raison de la partie de l’obligation exécutée, alors que rien ne justifie de poser a priori une telle présomption. Par conséquent, il pourrait être utile d’indiquer que le pouvoir de révision en cas d’inexécution partielle est soumis aux mêmes conditions d’excès que celui qui vaut en cas d’inexécution totale.

Il est ainsi proposé de préciser que le pouvoir de révision judiciaire en cas d’excès s’applique à toute stipulation de dommages-intérêts, même en cas d’inexécution partielle, à moins qu’il soit établi que l’intention des parties aient été de limiter la réparation du préjudice.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« Lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre.

Néanmoins, le juge peut modérer ou augmenter les dommages-intérêts qui avait été convenus si ceux-ci s’avèrent manifestement excessifs ou dérisoires au regard du préjudice effectivement subi.

Lorsque l’engagement a été exécuté pour partie, la sanction convenue peut également, dans les mêmes conditions, être diminuée par le juge en fonction de l’intérêt que l’exécution partielle a procuré au créancier.

Les dispositions qui précèdent sont d’ordre public. Elles ne sont pas applicables aux clauses limitatives de responsabilité.

Sauf clause contraire, les dommages-intérêts ne sont dus que lorsque le débiteur a été mis en demeure. »

Article 1231-6 : « Dans les obligations qui se bornent au paiement d’une certaine somme, les dommages et intérêts résultant du retard dans l’exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement.

Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d’aucune perte.

Ils ne sont dus que du jour de la mise en demeure, excepté dans le cas où la loi les fait courir de plein droit.

Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance. »

I. Présentation

L’article 1231-6 traite du principe des intérêts moratoires en cas de retard dans l’exécution en reprenant les solutions figurant à l’article 1153 du Code civil.

II. Analyse

De même que l’actuel article 1153, alinéa 4, du Code civil, l’article 1231-6 du projet précise en son dernier alinéa que le préjudice causé par le retard doit résulter de la mauvaise foi du débiteur. Cette précision n’apparaît pourtant guère utile, puisque la mauvaise foi du débiteur est en principe constituée du fait même de sa mise en demeure. Si bien qu’elle a poussé les juges à l’entendre dans une acception plus stricte, confinant au dol, et à exiger que la preuve en soit faite par le créancier pour que celui-ci puisse obtenir réparation. On ne voit pourtant pas ce qui autorise à conditionner ainsi le droit du créancier à obtenir réparation de son préjudice, dès lors que celui-ci est causé par la faute du débiteur, fût-elle de simple négligence. Au fond, cette disposition procède comme si le préjudice distinct du simple retard était nécessairement imprévisible pour le débiteur, ce qui est tout à fait discutable.

Par contre, en subordonnant les intérêts moratoires à la mise en demeure, l’alinéa qui précède omet de réserver le cas dans lequel, conformément à l’article 1231 du projet, et 1146 du Code civil, la prestation ne pouvait être exécutée que pendant un certain temps.

Il est donc proposé pour l’essentiel de reformuler le dernier alinéa de l’article 1231-6 en remplaçant la condition de mauvaise foi par celle de prévisibilité du dommage, et de préciser à l’alinéa précédent que la mise en demeure ne conditionne le cours des dommages-intérêts moratoires que pour autant qu’elle était requise.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

«Dans les obligations qui se bornent au paiement d’une somme d’argent, les dommages-intérêts résultant du retard dans l’exécution ne consistent que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement.

Ces dommages-intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d’aucune perte.

Ils ne sont dus que du jour de la mise en demeure lorsque celle-ci est requise, excepté le cas dans lequel la loi les fait courir de plein droit.

Le créancier auquel le débiteur en demeure a causé un préjudice distinct du retard et qui était prévisible a droit à réparation de ce préjudice au-delà des seuls intérêts moratoires qui lui sont dus. »

Article 1231-7 : « En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n’en décide autrement.

En cas de confirmation pure et simple par le juge d’appel d’une décision allouant une indemnité en réparation d’un dommage, celle–ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l’indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d’appel. Le juge d’appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa. »

I. Présentation

L’article 1231-7 du projet reconduit l’actuel article 1153-1 du Code civil relatif au taux d’intérêt applicable aux condamnations judiciaires.

II. Analyse

On reste dubitatif devant la formule, figurant au second alinéa de l’article 1231-7, et reprise de l’actuel article 1153-1 du Code civil, selon laquelle « En cas de confirmation pure et simple par le juge d’appel d’une décision allouant une indemnité en réparation d’un dommage… ». Il convient de rappeler en effet que, dans la pratique judiciaire, la réformation du dispositif d’un jugement se fait en principe chef par chef. Un arrêt d’appel peut ainsi confirmer la disposition du jugement allouant des dommages-intérêts sans pour autant confirmer le reste de son dispositif, et l’on ne voit pas pour quelle raison la règle de l’article 1231-7 ne trouverait pas à s’appliquer en ce cas.

Il est donc proposé de reformuler le second alinéa pour adopter une rédaction plus conforme à la pratique judiciaire.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge en décide autrement.

En cas de confirmation par le juge d’appel de la disposition allouant des dommages-intérêts, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l’indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d’appel. Le juge d’appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa. »

Sous-titre II – La responsabilité extracontractuelle
(art. 1232 et s.)

Si l’on comprend bien que le projet d’ordonnance anticipe une future réforme de la responsabilité délictuelle, laisser autant que 74 articles pour en traiter ne fait-il pas courir le risque que nombre d’entre eux demeurent non attribués même après la réforme à intervenir ? Un tel choix paraît d’autant plus contestable que les auteurs de l’actuel projet n’ont pas hésité à multiplier les numérotations à indices s’agissant des règles relatives aux contrats, aux quasi-contrats ou au régime de l’obligation.

De façon plus fondamentale, on peut se demander si la responsabilité extracontractuelle constitue bien une source d’obligation au même titre que le contrat ou les « quasi-contrats ». La source de l’obligation de réparation tient moins en effet dans la faute ou le préjudice que dans l’obligation légale ou réglementaire qui lui préexiste et qui a été méconnue, de la même manière que l’obligation contractuelle est la source de la responsabilité contractuelle, ainsi qu’il résulte du sous-titre I du projet.

Une autre solution aurait été possible, qui aurait consisté à traiter dans un sous-titre intitulé « La responsabilité » tout à la fois de la responsabilité contractuelle, aux termes d’un premier chapitre ayant vocation à recueillir les articles 1231 à 1231-7 de l’actuel projet, et de la responsabilité extracontractuelle, dans un second chapitre. Par souci d’exactitude, ces deux intitulés seraient d’ailleurs avantageusement remplacés par les suivants, de sorte à englober la responsabilité découlant d’un engagement par volonté unilatérale, pour le premier, et celle découlant du quasi-contrat, pour le second (étant entendu que, contrairement à ce qui est énoncé à l’article 1371 du Code civil, l’engagement quasi-contractuel n’est pas de nature volontaire, v. infra) :

« Chap. I – La responsabilité née d’un engagement volontaire
   Chap. II – La responsabilité née d’une obligation légale ou réglementaire »

Sous-titre III – Les autres sources d’obligations
(art. 1300 à 1303-4)

Le projet d’ordonnance fait le choix d’une formulation résiduelle pour le sous-titre III, sous l’intitulé « Les autres sources d’obligations ». Deux explications auraient pu le justifier. Malheureusement, ni l’une ni l’autre ne se vérifient. La première pouvait consister à viser sous cet intitulé plusieurs sources d’obligation, c’est-à-dire en particulier l’engagement par volonté unilatérale, d’une part, et le quasi-contrat, d’autre part. Mais le projet n’y situe en réalité que le quasi-contrat, ne faisant aucune allusion, ni à cet endroit ni ailleurs, à l’engagement par volonté unilatérale. Une seconde explication aurait alors pu tenir dans la volonté de renoncer à la qualification très critiquée de « quasi-contrat », sans pour autant lui en trouver de meilleure. Mais cette autre justification doit à son tour être repoussée, puisque l’article 1300 du projet, qui maintient à peu près l’actuel article 1371, reconduit par là-même la qualification de quasi-contrat qui y figure.

Au-delà de la seule question de l’intitulé adopté, l’impossibilité de retenir l’une ou l’autre de ces deux explications trahit en réalité des choix discutables sur le fond même du projet. Sur le premier point, on peut regretter qu’il ne soit fait nulle part mention de l’engagement par volonté unilatérale parmi les sources d’obligation, alors que celui-ci a aujourd’hui conquis un espace propre en droit positif, dans lequel il s’exprime sous de multiples formes (engagements unilatéraux de l’employeur, lettres d’intention, réitération d’une obligation naturelle, acceptation d’une succession, promesses de récompense, engagements du repreneur d’une entreprise en redressement, constitution d’une société unipersonnelle, etc.), sans même évoquer les cas nombreux dans lesquels la volonté unilatérale permet à l’inverse de rompre l’engagement et se trouve alors à la source d’autres obligations (congés, licenciements, et toute espèce de résiliation unilatérale). Ce silence est d’autant plus problématique qu’il favorise le développement d’une casuistique jurisprudentielle, d’où ont émergé des applications clairement dévoyées de l’engagement par volonté unilatérale. L’occasion de la réforme aurait donc pu être saisie pour reconnaître cette source distincte d’obligation en droit français, quitte à renvoyer pour l’essentiel au régime des obligations contractuelles (v. en ce sens l’art. 1101-1, al. 5, du projet Catala). De cette façon, il aurait pu être posé pour principe que chacun est libre, plutôt que de soumettre l’existence de son engagement à l’acceptation de son bénéficiaire, de préciser, de volonté expresse, que son obligation est constituée dès le jour de la déclaration, de sorte notamment à la rendre transmissible et irrévocable. Le bénéficiaire, pour sa part, ne se verrait imposer aucun droit contre son gré. Simplement, en ce cas, son accord tiendra lieu de ratification d’un acte juridique préexistant, et non d’acceptation constitutive de l’engagement.

La question des quasi-contrats aurait elle-même mérité un meilleur traitement que celui consistant à rester au milieu du gué, sans pouvoir trancher entre une tradition renvoyant au quasi-contrat et une modernité qui tend à adopter l’idée d’enrichissement sans cause ou injustifié pour fondement commun. Si en effet la gestion d’affaire et le paiement indu peuvent toujours être qualifiés de quasi-contrats, pour cette raison qu’ils produisent des effets susceptibles d’être assimilés à ceux d’un contrat de mandat pour l’un (ou plutôt de l’ancien contrat de gestion d’affaire que connaissait le droit romain), et au contrat de dépôt pour l’autre (ou plutôt de prêt), le régime général de l’enrichissement sans cause ne renvoie pour sa part à aucun contrat connu, de sorte que la qualification de quasi-contrat lui est totalement inadaptée.

En réalité, en tirant la notion d’enrichissement sans cause de l’article 1371 du Code civil, la jurisprudence de la fin du XIXe siècle a mis en évidence, non pas l’existence d’un nouveau quasi-contrat, mais le véritable fondement des quasi-contrats déjà existants. Par suite, en reconnaissant un effet direct à cette source d’obligation, les juges ont relégué la gestion d’affaire et le paiement indu à tenir lieu de régimes spéciaux d’enrichissement sans cause. Cette perspective est au demeurant celle adoptée par la totalité des autres systèmes juridiques, qui tous englobent les situations relevant de la gestion d’affaire et du paiement indu sous la qualification plus générale d’enrichissement injustifié. Si bien qu’en persistant à faire de l’enrichissement sans cause un troisième type de quasi-contrat, le projet d’ordonnance accentue seulement un peu plus l’isolement du droit français, à l’encontre des intentions affichées par les auteurs. Et ce n’est pas dissimulant cette situation derrière la façade « Les autres sources d’obligations » que l’on remédiera au désordre interne de la matière. Au moins le projet Terré, dont l’actuel projet d’ordonnance a fait plus que s’inspirer, avait-il pris soin de supprimer toute référence au quasi-contrat.

Au vu de ces observations, et de celles précédemment formulées dans le cadre du sous-titre II, un autre plan pourrait être préféré pour le titre III du livre III, qui est au demeurant celui du nouveau droit roumain des obligations (C. civ. 2011) :

« Sous-titre I – Le contrat
   Sous-titre II – L’engagement par volonté unilatérale
   Sous-titre III – L’enrichissement injustifié aux dépens d’autrui
      Chap. I – Règles générales
      Chap. II – Le paiement indu
      Chap. III – La gestion d’affaire
   Sous-titre IV – La responsabilité
      Chap. I – La responsabilité née d’un engagement volontaire [art. 1231 à 1231-7 proj.]
      Chap. II – La responsabilité née d’une obligation légale ou réglementaire »

Article 1300 : « Les quasi–contrats sont des faits purement volontaires dont il résulte un engagement de celui qui en profite sans y avoir droit, et parfois un engagement de leur auteur envers autrui.

Les quasi–contrats régis par le présent sous-titre sont la gestion d’affaire, le paiement de l’indu et l’enrichissement injustifié. »

I. Présentation

L’article liminaire reprend pour l’essentiel la disposition de l’actuel article 1371 du Code civil tout en tentant de lui apporter certaines améliorations.

II. Analyse

D’un point de vue téléologique, l’article 1300 du projet ne manque pas d’intérêt. Alors que l’article 1371 du Code civil est critiqué depuis toujours comme recelant une profonde inexactitude, les auteurs du projet s’attachent à en améliorer la rédaction tout en maintenant intact l’objet de ces critiques.

Si les rédacteurs du Code de 1804 ont entendu préciser à l’article 1371 que les quasi-contrats sont des « faits purement volontaires », c’était à seule fin de distinguer cette source d’obligations de celles qui naissent directement « de l’autorité seule de la loi » (art. 1370). Ce faisant, il leur a été reproché de n’avoir pas vu que le critère retenu était susceptible de renvoyer directement à la source des engagements contractuels. Cette conséquence a échappé aux codificateurs pour cette simple raison que, à leurs yeux, la volonté en cause n’était pas celle de créer une obligation mais seulement celle d’adopter un certain comportement. Leur intention se révèle mieux à cet égard à l’article 1370, qui fait reposer le quasi-contrat sur l’existence d’un « fait personnel ». Au demeurant, il suffit d’évoquer le cas du paiement indu pour comprendre qu’il n’y a aucun sens à exiger qu’il procède d’une volonté du solvens, puisque ce serait là au contraire une cause de rejet de la répétition. En maintenant cette rédaction, le projet d’ordonnance maintient donc aussi la confusion et l’insécurité qui s’y attachent.

En outre, l’article 1300 présente le tort de conserver la qualification de quasi-contrat alors que, si celle-ci trouvait une raison d’être en 1804, elle est en revanche devenue totalement inadaptée depuis que l’enrichissement sans cause a été consacré comme source autonome d’obligation (v. obs. gén., supra). Cela fait d’ailleurs plus d’un siècle qu’elle a disparu de tous les autres systèmes juridiques. On lui reconnaîtra en revanche pour intérêt de préciser que le quasi-contrat suppose que l’une des parties profite sans droit du comportement de l’autre, puisque tel est justement le point de départ de toute espèce d’enrichissement sans cause, lui-même à l’origine, on l’a dit, de tous les quasi-contrats. Mais sur ce point, le projet Catala, tout en étant plus simple, était aussi plus précis, en définissant en son article 1101-2 le quasi-contrat comme « Le fait qui procure à autrui un avantage auquel il n’a pas droit ». C’est bien en effet l’avantage procuré sans justification qui est à la base de l’obligation quasi-contractuelle, et non pas évidemment l’« engagement de celui qui en profite », qui n’en est que l’effet. On ne définit pas une notion en fonction des conséquences que l’on veut lui faire produire.

Enfin, il est permis de s’interroger sur la portée normative de cette disposition, dont le caractère obligatoire ne se laisse pas immédiatement saisir. Au fond, son maintien dans le Code civil ne paraît avoir qu’un objet : en posant une définition générale puis en indiquant que « les quasi-contrats régis par le présent titre » sont au nombre de trois, le projet d’ordonnance paraît vouloir conforter le pouvoir que s’est reconnu le juge d’inventer de nouveaux quasi-contrats pour servir de fondement controuvé à des solutions qui n’en avaient pas (v. récemment Com. 26 oct. 1999, Bull., IV, n° 193, pour l’offre de rachat d’une entreprise ; Ch. mixte, 6 sept. 2002, Bull., CM, n° 4, pour la promesse de gain ; Com., 9 oct. 2007, n° 05-14118, pour la rupture de contrat). Il y a pourtant là une cause de grave insécurité juridique. Il ne sert pas à grand-chose de régler les différentes sources d’obligation avec force détail le long de deux cents articles si, au terme de ce corpus, on introduite une disposition permettant au juge de s’affranchir des règles qui précèdent en inventant lui-même de nouvelles causes d’obligation. De ce point de vue, on peut craindre que l’article 1300 du projet porte en lui une charge aussi subversive que son article 1169 en introduisant la clause abusive en droit commun. Au moins la rédaction de l’article 1371 du Code civil ne s’était-elle pas faite, il y a deux cents ans, dans une telle perspective.

En conséquence, il est proposé de supprimer l’article 1300 du projet.

III. Proposition

Suppression de l’article 1300.

Article 1301 : « Celui qui, sans y être tenu, gère sciemment l’affaire d’autrui, à l’insu ou sans opposition du maître de cette affaire, est soumis, dans l’accomplissement des actes juridiques et matériels de sa gestion, à toutes les obligations d’un mandataire. »

Article 1301-1 : « Il est tenu d’apporter à la gestion de l’affaire tous les soins d’une personne raisonnable ; il doit poursuivre la gestion jusqu’à ce que le maître de l’affaire ou son successeur soit en état d’y pourvoir.

Le juge peut, selon les circonstances, modérer l’indemnité due au maître de l’affaire en raison des fautes ou de la négligence du gérant. »

Article 1301-2 : « Celui dont l’affaire a été utilement gérée doit remplir les engagements contractés dans son intérêt par le gérant.

Il rembourse au gérant les dépenses faites dans son intérêt et l’indemnise des dommages qu’il a subis en raison de sa gestion.

Les sommes avancées par le gérant portent intérêt du jour du paiement. »

Article 1301-3 : « La ratification de la gestion par le maître vaut mandat. »

Article 1301-4 : « L’intérêt personnel du gérant à se charger de l’affaire d’autrui n’exclut pas l’application des règles de la gestion d’affaires.

Dans ce cas, la charge des engagements, des dépenses et des dommages se répartit à proportion des intérêts de chacun dans l’affaire commune. »

Article 1301-5 : « Si l’action du gérant ne répond pas aux conditions de la gestion d’affaires mais tourne néanmoins au profit du maître de cette affaire, celui–ci doit indemniser le gérant selon les règles de l’enrichissement injustifié. »

I. Présentation

Les articles 1301 à 1301-5 du projet traitent de la gestion d’affaire en apportant quelques précisions au régime actuel tel qu’il figure aux articles 1372 à 1375 du Code civil. Notamment, il est prévu de moduler les obligations des parties en fonction de l’intérêt que chacun pouvait avoir à la gestion (art. 1301-4). Surtout, le projet entend marque la distinction entre gestion volontaire et gestion involontaire à l’effet de limiter à la première l’application du régime de la gestion d’affaire.

II. Analyse

À titre liminaire, il convient d’observer que le projet n’est pas d’une parfaite cohérence quant à la terminologie employée puisque, s’il opte pour le pluriel dans l’intitulé du chapitre I, il s’en tient cependant au singulier dans le corps des articles, suivant en cela la tradition. De fait, il n’est sans doute pas inutile de rappeler, au vu de l’évolution que l’on observe aujourd’hui dans l’usage, que cette source d’obligation consiste à gérer, non pas « les affaires » d’autrui, ce qui renverrait à une acception purement matérielle, mais, de façon plus générale, son affaire, c’est-à-dire autant son patrimoine que, le cas échéant, sa propre personne. Ainsi, lorsque le gérant se jette à l’eau, c’est pour sauver de la noyade la personne même du géré, et non pas ses effets. En cela, il s’occupe donc de son affaire, et non pas de ses affaires… (mais il est vrai que cela suppose de ne pas systématiquement appliquer à cette situation la qualification de convention d’assistance bénévole).

Plus fondamentalement, le projet d’ordonnance paraît vouloir consacrer une distinction contestable consistant à réserver les règles de la gestion d’affaire à la seule gestion effectuée en connaissance de cause (art. 1301), pour appliquer à la gestion involontaire les règles de l’enrichissement sans cause ou injustifié (art. 1301-5). La distinction est contestable parce qu’elle revient, lorsque l’intéressé n’a pas conscience de gérer la chose d’autrui (ce qui vise typiquement celui qui s’en croit à tort propriétaire), à lui faire supporter la charge des dépenses qui n’auront pas tourné au profit du propriétaire, alors même que ce dernier aurait agi de la même manière s’il avait été en possession de son bien. Or il est difficile de comprendre pour quelle raison celui qui n’a pas conscience d’agir pour le compte d’autrui devrait être moins bien traité que celui qui sait agir pour un autre que lui. Une solution plus juste consisterait à renoncer à vouloir faire de la gestion d’affaire une gestion nécessairement intentionnelle, étant rappelé que le critère tiré de la volonté de l’auteur est par nature étranger à la matière des quasi-contrats, et plus généralement à celle des enrichissements sans cause légitime. Tout au plus conviendrait-il de réserver alors les obligations du gérant dans sa gestion au seul cas où celle-ci est volontaire.

Il est donc proposé de supprimer l’article 1301-5 et de préciser que la gestion d’affaire peut être également involontaire, auquel cas le maître de l’affaire demeure tenu d’indemniser le gérant.

III. Proposition

Article 1301 [nouveau] : « La gestion d’affaire peut être volontaire ou involontaire. »

Articles 1301-1 : fusion des articles 1301 et 1301-1 du projet.

Articles 1301-2 : « Celui dont l’affaire a été utilement gérée, sciemment ou non, doit remplir les engagements contractés dans son intérêt par le gérant.

Il rembourse au gérant les dépenses faites dans son intérêt et l’indemnise des dommages qu’il a subis en raison de sa gestion.

Les sommes avancées par le gérant portent intérêt du jour du paiement. »

Articles 1301-3 et 1301-4 : sans changement.

Article 1301-5 proj. : suppression.

Article 1302 : « Tout paiement suppose une dette ; ce qui a été fourni sans être dû est sujet à répétition.

La répétition n’est pas admise à l’égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées. »

Article 1302-1 : « Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu. »

Article 1302-2 : « Celui qui par erreur ou sous la contrainte a acquitté la dette d’autrui dispose d’un droit à répétition contre le créancier. Néanmoins ce droit cesse dans le cas où le créancier, par suite du paiement, a détruit son titre ou abandonné les sûretés qui garantissaient sa créance.

Le remboursement peut aussi être demandé à celui dont la dette a été acquittée par erreur. »

Article 1302-3 : « La répétition est soumise aux règles des restitutions fixées au chapitre V du titre IV.

La restitution peut être réduite si le paiement fait par erreur procède d’une faute. »

I. Présentation

Les articles 1302 à 1302-3 du projet traitent du paiement indu en tant que cause de répétition.

II. Analyse

À partir du moment où le projet qualifie de « gestion d’affaire(s) » et d’« enrichissement injustifié » les deux autres sources résiduelles d’obligation, on ne voit pas pour quelle raison il prend ici le parti de parler de « paiement de l’indu », plutôt que, plus simplement, de « paiement indu ». Si l’on parle bien de « répétition de l’indu », dès lors que la répétition n’a pour sa part rien d’indue, cet usage n’a pas lieu de s’imposer s’agissant du paiement qui, précisément, est indu. Strictement d’ailleurs, si un paiement peut être indu, on ne voit pas en revanche qu’un indu puisse être payé, sinon justement en le restituant.

Sur le fond, les dispositions prévues par le projet d’ordonnance étant dans leur ensemble conformes aux solutions de la jurisprudence en matière de paiement indu, lesquelles garantissent elles-mêmes un système plutôt équilibré, elles n’appellent pas de remarques particulières. On peut néanmoins faire observer que la disposition selon laquelle « La restitution peut être réduite si le paiement fait par erreur procède d’une faute » pèche sans doute par manque de précision. La jurisprudence distingue en effet deux questions bien distinctes, que sont l’ouverture du droit à indemnité, d’abord, puis, ce préalable étant acquis, son éventuelle compensation avec des dommages-intérêts dus à l’accipiens, pour autant que la faute du solvens lui ait causé un préjudice distinct du seul remboursement. Or, sur le premier point, il était traditionnellement admis (Com., 23 avril 1976, Bull., IV, n° 134 ; 22 nov. 1977, Bull., IV, n° 275 ; 26 nov. 1985, Bull., IV, n° 281 ; 12 janv. 1988, Bull., IV, n° 22 ; 30 oct. 2000, Bull., IV, n° 169), en dépit d’un arrêt contraire récent (1re civ., 17 févr. 2010, Bull., I, n° 41), que la faute de celui qui a payé fait obstacle à toute répétition lorsque celui qui a reçu le paiement était bien créancier. En un tel cas en effet, la restitution de son dû constitue un préjudice propre pour le créancier. Si bien qu’il serait possible de préciser, d’une part, que la faute de celui qui a fait le paiement met obstacle à l’action en restitution contre le créancier et, d’autre part, que, dans les autres cas, le droit à restitution n’est réduit qu’à hauteur du préjudice distinct que la faute a causé à celui qui doit restitution. En l’état, la formule adoptée par le projet revient à abandonner purement et simplement la question à l’équité des juges, ce qui n’est sans doute pas de meilleure méthode lorsque l’on aspire à la sécurité juridique.

C’est encore un manque de précision que l’on peut reprocher au second alinéa de l’article 1302-2, lequel se borne à indiquer que celui qui a payé peut demander son remboursement au débiteur, sans mentionner la nature de ce recours. En l’état du droit positif, cette action se fonde sur l’enrichissement sans cause (1re civ., 4 avril 2001, Bull., I, n° 105), ou parfois sur la gestion d’affaire (1re civ., 12 janv. 2012, Bull., I, n° 4). Mais en l’état du projet, il serait possible, si l’on en croit l’article 1324, que ce recours se fasse subrogatoire, ce qui pourrait occasionner quelques difficultés (v. art. 1324 et s., infra). Si l’on veut bien renoncer à cette généralisation de la subrogation, il conviendrait de préciser que le recours du solvens contre le débiteur ne procède que d’une action qui lui est personnelle.

Il est donc proposé de modifier la rédaction des articles 1302-2 et 1302-3 pour limiter sous ce double aspect le droit à répétition en cas de faute du solvens (étant rappelé que, du fait de la réorganisation proposée du titre suivant, le chapitre relatif aux restitutions se trouve déplacé au chapitre IV).

III. Proposition

Articles 1302 et 1302-1 : sans changement.

Article 1302-2 :

« Celui qui par erreur ou sous la contrainte a acquitté la dette d’autrui dispose d’un droit à répétition contre le créancier. Néanmoins ce droit cesse dans le cas où le créancier, par suite du paiement, a détruit son titre ou abandonné les sûretés qui garantissaient sa créance. Il cesse également lorsque le paiement procède d’une faute de son auteur.

Ce recours personnel peut également s’exercer, sans subrogation, contre celui dont la dette a été ainsi acquittée. »

Article 1302-3 :

« La répétition est soumise aux règles gouvernant les restitutions, telles que fixées au chapitre IV du titre IV.

Si le paiement indu procède d’une faute de son auteur, la restitution peut être réduite à hauteur du préjudice que cette faute a causé à celui qui doit répétition. La seule obligation de remboursement ne constitue pas un préjudice réparable. »

Article 1303 : « En dehors des cas de paiement de l’indu, celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement. »

Article 1303-1 : « L’enrichissement est injustifié lorsqu’il ne procède ni de l’accomplissement par l’appauvri d’une obligation ni de son intention libérale. »

Article 1303-2 : « Il n’y a pas lieu à indemnisation si l’appauvrissement procède d’un acte accompli par l’appauvri en vue d’un profit personnel.

L’indemnisation peut être modérée par le juge si l’appauvrissement procède d’une faute de l’appauvri. »

Article 1303-3 : « Il n’y a pas lieu à indemnisation lorsqu’une autre action est ouverte à l’appauvri, ou lorsque cette action se heurte à un obstacle de droit, tel que la prescription. »

Article 1303-4 : « L’appauvrissement constaté dans le patrimoine au jour de la dépense, et l’enrichissement tel qu’il subsiste au jour de la demande, sont évalués au jour du jugement. En cas de mauvaise foi de l’enrichi, l’indemnité due est égale à la plus forte de ces deux valeurs. »

I. Présentation

Les articles 1303 à 1303-4 détaillent le régime de l’enrichissement sans cause, qualifié d’« enrichissement injustifié », en consacrant la plupart des règles issues de la jurisprudence.

II. Analyse

On comprend bien que le projet d’ordonnance préfère la qualification d’« enrichissement injustifié » à celle d’« enrichissement sans cause » à partir du moment où il a pris le parti d’évincer la notion de cause du droit des contrats. Il apparaîtrait en effet paradoxal que l’existence d’une cause puisse conditionner la validité du paiement quand elle ne conditionne plus celle de l’obligation qui le fonde. Par ailleurs, la qualification d’enrichissement sans cause pouvait paraître elle-même imprécise dans la mesure où c’est en réalité l’absence de cause légitime à l’enrichissement qui fonde le droit à indemnité de l’appauvri. Mais justement, le choix de cette expression traduit assez exactement l’idée qu’il suffit pour l’appauvri de mettre en évidence l’absence de cause apparente au transfert de valeur pour en obtenir l’indemnisation, cette preuve suffisant à faire présumer l’absence de cause légitime ou, pour mieux dire, le caractère injustifié de cet enrichissement. En usant par conséquent de l’expression d’« enrichissement injustifié », le projet d’ordonnance pourrait remettre en cause cette répartition de la charge de la preuve, en faisant obligation à l’appauvri, non plus seulement d’établir l’absence de cause apparente, mais d’identifier la cause de son appauvrissement et de démontrer son caractère illégitime. C’est bien au demeurant en ce sens que le droit anglais et le droit allemand emploient tous deux l’expression d’« enrichissement injustifié » en lieu de celle d’« enrichissement sans cause ». Il conviendrait donc, si l’on tient à adopter cette terminologie, de préciser que celle-ci ne change rien aux règles de preuve traditionnelles en la matière.

Par ailleurs, comme pour le paiement indu, la question de la faute de l’appauvri est abandonnée par le projet à la lumière des juges (art. 1303-2, al. 2), alors qu’il est possible, au vu de la jurisprudence, de poser ici aussi quelques règles simples. Il a longtemps été admis en effet, jusqu’à un récent arrêt de la Première chambre civile (1re civ., 19 mars 2015, n° 14-10.075, publié au Bull.), que la simple négligence de l’appauvri ne faisait pas obstacle à son droit à indemnité (1re civ., 11 mars 1997, Bull., I, n° 88 ; 3 juin 1997, Bull., I, n° 182 ; 2e civ., 2 déc. 1998, Bull., II, n° 289 ; 3e civ., 4 déc. 2002, Bull., III, n° 247 ; 1re civ., 13 juillet 2004, Bull., I, n° 208; 19 déc. 2006, Bull., I, n° 557 ; 18 févr. 2009, n° 07-18.984), seule une faute aggravée en une quelconque mesure empêchant l’action de in rem verso (ce qui pourrait expliquer l’arrêt du 19 mars 2015, rendu au préjudice d’une banque, tenue comme telle à une obligation particulière de vigilance ; rappr. déjà 1re civ., 14 oct. 2010, n° 09-69.563). La solution se justifiait facilement par le fait que la simple négligence de celui qui ne doit rien ne constitue pas une juste cause de son appauvrissement et de l’enrichissement corrélatif de celui à qui il n’est rien dû. Il serait donc utile de saisir l’opportunité de la réforme pour fixer définitivement les solutions sur ce point.

De même, le principe de subsidiarité de l’action de in rem verso, tel que consacré à l’article 1303-3, mériterait d’être précisé de façon à souligner que l’existence d’une autre action ne fait obstacle à l’action de in rem verso que pour autant qu’elle permet de recouvrer la totalité de l’indemnité due sur le fondement de l’enrichissement injustifié.

Enfin, les règles d’évaluation de l’indemnité sont certes bienvenues (art. 1303-4), mais elles présentent une apparente anomalie en cas de mauvaise foi de l’enrichi, étant difficile de comprendre pour quelle raison son enrichissement ne devrait être évalué qu’en fonction de celui qui subsiste dans son patrimoine au jour de la demande de l’appauvri, au risque de l’encourager à procéder dans l’intervalle à sa dissipation. Il conviendrait donc de faire remonter cette date au jour où le défendeur a pris connaissance de son enrichissement et de son caractère injustifié. C’est au demeurant une solution de cet ordre que pose l’actuel article 1378 du Code civil en matière de paiement indu.

Au total, il est proposé de modifier la définition de l’enrichissement injustifié en y intégrant une règle de preuve, d’apporter pour précision que la simple faute de l’appauvri ne fait pas obstacle à son droit à indemnité, d’indiquer que le principe de subsidiarité de l’action de in rem verso ne vaut que pour autant que les montants en cause sont les mêmes, et de modifier la date d’évaluation de l’enrichissement en cas de mauvaise foi de l’enrichi.

III. Proposition

Articles 1303 : « Celui qui, sans cause légitime établie, a bénéficié d’un enrichissement aux dépens d’autrui doit indemniser celui qui s’en trouve appauvri. »

Article 1303-1 : sans changement.

Article 1303-2 : « Il n’y a pas lieu à indemnisation si l’appauvrissement procède d’un acte accompli par l’appauvri en vue d’un profit personnel.

La simple négligence de l’appauvri ne fait pas obstacle à son droit à indemnisation. »

Article 1303-3 : « Il n’y a pas lieu à indemnisation pour enrichissement injustifié lorsque l’appauvri peut obtenir une indemnité de même montant au moyen d’une autre action, ou lorsque cette autre action se heurte à un obstacle de droit, tel que la prescription. »

Article 1303-4 : « L’indemnité due par l’enrichi est égale à la plus faible des deux valeurs entre l’appauvrissement constaté au jour de la dépense, et l’enrichissement subsistant au jour de la demande, tels qu’évalués au jour du jugement.

En cas de mauvaise foi de l’enrichi, il est tenu compte de l’enrichissement existant au jour où son caractère injustifié a été connu de celui qui l’a reçu, et l’indemnité qui est due est égale à la plus forte des deux valeurs de l’appauvrissement et de l’enrichissement. »

TITRE IV – DU RÉGIME GÉNÉRAL DES OBLIGATIONS

Chapitre I – Les modalités de l’obligation

Section 1 – L’obligation conditionnelle
(art. 1304 à 1304-7)

Article 1304 : « L’obligation est conditionnelle lorsqu’elle dépend d’un événement futur et incertain.

La condition est suspensive lorsque son accomplissement rend l’obligation pure et simple.

Elle est résolutoire lorsque son accomplissement entraîne l’anéantissement de l’obligation. »

I. Présentation

L’article 1304 définit la notion de condition en tant que modalité de l’obligation, en distinguant condition suspensive et condition résolutoire.

II. Analyse

Le projet d’ordonnance fait le choix de préférer la définition de l’article 1168 à celle de l’article 1181 de l’actuel Code civil. Ce faisant, il prend le parti de borner la définition de la condition au seul événement futur et incertain, à l’exclusion de l’événement seulement incertain. Il ne faut toutefois pas en déduire que les parties ne pourraient plus subordonner leur engagement à l’événement actuellement arrivé mais qui leur serait resté inconnu. Simplement, en ce cas, l’engagement sera en réalité pur et simple ou, à l’inverse, dépourvu de tout effet. En somme, l’incertitude de la condition doit être objective, et non pas seulement celle des parties. À cette aune, un événement déjà survenu est toujours certain.

III. Proposition

Sans changement.

Article 1304-1 : « La condition doit être [possible et] licite. À défaut, l’obligation est nulle. »

I. Présentation

L’article 1304-1 rappelle, en la reformulant, la règle consacrée à l’article 1172 du Code civil selon laquelle la condition doit être possible et licite à peine de nullité de l’obligation qui en dépend.

II. Analyse

En dépit d’une solution acquise depuis toujours, certaines voix se sont fait entendre pour s’étonner que l’on puisse continuer à sanctionner de nullité l’obligation conclue sous une condition impossible, dès lors que, en un tel cas, la condition pourrait tout aussi bien être réputée défaillie, et l’obligation être ainsi maintenue si la condition était résolutoire. Mais le même raisonnement devrait alors être conduit pour la condition illicite : celle-ci ne pouvant pas non plus s’accomplir, pour des raisons juridiques cette fois, il faudrait aussi bien rendre l’obligation pure et simple si la condition n’était que résolutoire. C’est ce qui oblige à considérer que là ne réside sans doute pas le motif de l’annulation. Celle-ci se fonde plus probablement sur l’idée que la volonté des parties ne correspond tout simplement pas à la réalité matérielle ou juridique sur laquelle elle venait s’appuyer. C’est d’ailleurs par ce même argument que l’on peut justifier d’annuler les obligations conclues sous condition potestative (v. art. 1304-2, infra).

Il est simplement proposé de donner un tour plus harmonieux à la formulation de cette disposition.

III. Proposition

Nouvelle rédaction : « La condition doit être possible et licite à peine de nullité de l’obligation qui en dépend. »

Article 1304-2 : « Est nulle l’obligation suspendue à une condition dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur. Cette nullité ne peut être invoquée lorsque l’obligation a été exécutée en connaissance de cause. »

I. Présentation

L’article 1304-2 du projet reconduit la prohibition des obligations sous condition potestative tout en en restreignant néanmoins son champ d’application.

II. Analyse

Si les auteurs du projet ont estimé de ne pas devoir suivre les voix qui se sont fait entendre à l’effet de renoncer à la nullité des obligations conclues sous condition potestative, ils se sont cependant attachés à cantonner rigoureusement le champ de cette sanction. Leur volonté en ce sens se manifeste d’abord dans la première partie de l’article 1304-2 : « Est nulle l’obligation suspendue à une condition dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur. » À la lecture de cette disposition, on comprend que le cantonnement de la nullité opère à quatre titres : au regard de la nature de la condition, d’abord, qui doit être suspensive ; de la qualité du détenteur du pouvoir, ensuite, qui ne peut être que le débiteur ; de la nature de son pouvoir, en outre, qui doit consister à empêcher la réalisation de la condition ; et de l’exclusivité de ce pouvoir, enfin, de sorte à écarter l’hypothèse dans laquelle la réalisation dépendrait tout à la fois de la volonté du débiteur et d’un événement casuel. Dans ce dernier cas en effet, on se situe dans le cadre d’une autre sanction, qui consiste à neutraliser l’intervention du débiteur en réputant la condition accomplie (actuel art. 1178 du Code civil, repris à l’art. 1304-3 du projet). Les trois autres limites peuvent en revanche être discutées en tant qu’elles reposent manifestement sur l’idée, certes traditionnelle, d’après laquelle la prohibition des conditions potestatives se fonderait sur l’inexistence de l’obligation ainsi abandonnée au pouvoir du débiteur.

En réalité, il est permis de penser que, mieux que l’idée d’inexistence, la nullité de l’obligation stipulée sous une condition potestative se justifie par le fait que cette potestativité contredit le caractère essentiellement incertain de l’événement dont dépend l’obligation conditionnelle. Sur cette base, la nullité aurait vocation à s’appliquer aussi bien lorsque le pouvoir appartient au créancier, ayant pu être déterminant aux yeux du débiteur que son obligation ne dépende pas de la volonté de son cocontractant. De la même manière, rien ne justifie de borner l’horizon de la nullité aux seules conditions suspensives. On comprend bien en effet qu’il serait à peine moins attentatoire à la force obligatoire du contrat que l’une des parties puisse décider d’y mettre fin à tout moment, le cas échéant rétroactivement, puisque telle est cette fois la règle retenue par le projet (art. 1304-7). Et une observation du même ordre s’impose quant au point de savoir si le pouvoir doit porter sur la réalisation ou la défaillance de la condition : le pouvoir d’empêcher la réalisation ou de provoquer la défaillance d’une condition résolutoire peut n’être pas moins problématique que celui consistant à forcer sa réalisation, de même que l’on admettra difficilement que, condamnant le pouvoir de faire défaillir ou d’empêcher l’accomplissement d’une condition suspensive, on laisse en revanche sans sanction celui de la réaliser. Le principe même de la nullité mériterait donc d’être étendu au-delà du seul cas dans lequel la potestativité serait le fait du débiteur et concernerait la réalisation d’une condition suspensive.

Pour autant, sur la base d’un tel fondement, rien ne devrait empêcher les contractants de prévoir, si telle est bien leur volonté, que l’incertitude constitutive de la condition puisse seulement tenir dans les ressorts de la volonté de l’une ou l’autre des parties. Si le caractère potestatif de la condition ne leur a pas échappé, il n’est plus aucune raison pour annuler leur convention, dût-elle dépendre de la réitération de la volonté de l’une des parties pour produire son effet. C’est ce qui justifie que l’article 1588 du Code civil valide la vente à l’essai, laquelle « est toujours présumée faite sous une condition suspensive », alors pourtant que cette condition suspensive est également potestative, la jurisprudence n’ayant jamais contrôlé le résultat de cet essai par l’acquéreur. Plus généralement, à partir du moment où l’on permet de conclure des contrats unilatéraux, qui n’emportent d’obligations que pour l’une seule des parties, on ne voit pas ce qui justifierait d’interdire qu’un contrat fasse dépendre une obligation de la volonté ultérieure de son débiteur. Au demeurant, on ne conteste pas la validité des promesses unilatérales de contrat synallagmatique, où l’un des débiteurs bénéficie pourtant d’une véritable option quant au principe même de son obligation. En l’absence d’avant-contrat, la levée d’option du débiteur devrait simplement rétroagir au jour du contrat, au contraire de ce qui vaut pour la promesse de contrat (pour autant évidemment que l’on ne renonce pas à la rétroactivité naturelle de la condition, sur quoi v. art. 1304-6, infra). À la limite, il est parfaitement envisageable de tenir le même raisonnement à l’égard de la condition potestative ex parte debitoris introduite dans un contrat unilatéral, l’existence de l’obligation étant en ce cas soumise à une nouvelle volition du débiteur sans que celle du créancier soit à nouveau requise.

Ce n’est pas précisément une telle limite que pose cependant le projet d’article 1304-2 en prévoyant, dans une seconde proposition, que « Cette nullité ne peut être invoquée lorsque l’obligation a été exécutée en connaissance de cause. » Cette autre solution suscite pour sa part une certaine perplexité. L’obligation étant toujours, par hypothèse, exécutée par son débiteur, il paraît à première vue surprenant d’indiquer qu’il suffise que celui-ci, en s’exécutant, ait eu conscience de l’existence de son pouvoir. Dès lors que c’est avant tout le créancier qui avait intérêt à se prévaloir de la nullité, on ne voit pas quelle espèce de renonciation on pourrait trouver dans cette exécution volontaire du débiteur. Et s’il s’agit d’indiquer que l’exécution priverait d’intérêt l’action en annulation, il n’y aucune raison d’exiger que cette exécution intervienne en connaissance de cause de la part du débiteur. À moins que, mêlant l’une et l’autre de ces explications, le raisonnement repose sur l’idée que le débiteur, en exécutant volontairement son obligation, renoncerait à invoquer la nullité dont il aurait pu lui-même exciper au titre du caractère potestatif de son obligation, et que cette renonciation rendrait à son tour sans objet la contestation du créancier une fois le paiement obtenu.

Quoi qu’il en soit, il est proposé d’étendre le principe de la nullité à tous les cas dans lesquels la réalisation ou la défaillance de la condition, qu’elle soit suspensive ou résolutoire, dépend entièrement de la volonté de l’une des parties, qu’elle soit débitrice ou créancière de cette obligation (étant précisé que, si elle n’en dépend qu’en partie, la sanction ne tient plus dans la nullité de l’obligation mais dans la neutralisation de l’intervention du contractant par la réalisation ou la défaillance forcée de la condition : art. 1304-3). Cette extension ne se conçoit néanmoins que s’il est ajouté que la nullité ne s’impose que pour autant que les parties ont ignoré le caractère potestatif de la condition. Au vrai, dès lors que le titulaire du pouvoir peut simplement décider d’en faire ou non usage, cette connaissance ne concerne à proprement parler que celle de son cocontractant.

III. Proposition

1) Nouvelle rédaction : « Est nulle l’obligation subordonnée à une condition dont la réalisation ou la défaillance dépend entièrement de l’une des parties, à moins que ce caractère potestatif ait été connu de l’autre partie. »

2) Rédaction alternative : « Est nulle l’obligation subordonnée à une condition dont la réalisation ou la défaillance dépend entièrement de l’une des parties, à moins que ce caractère potestatif ait été connu de l’autre partie. La nullité ne peut être invoquée lorsque l’obligation a été exécutée en connaissance de cause. »

Article 1304-3 : « La condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l’accomplissement.

La condition résolutoire est réputée défaillie si son accomplissement a été provoqué par la partie qui y avait intérêt. »

I. Présentation

L’article 1304-3 reprend la sanction prévue à l’actuel article 1178 au cas d’empêchement volontaire du jeu naturel de la condition par le débiteur ou, plus généralement désormais, par celui qui y avait intérêt. Cette sanction est étendue au cas dans lequel cette intervention viserait, non pas seulement à empêcher, mais également à provoquer l’accomplissement de la condition, en vue de l’appliquer aussi bien à l’hypothèse de la condition résolutoire.

II. Analyse

La condition potestative qui frappe de nullité l’obligation qu’elle affecte concerne celle dont l’accomplissement ou la défaillance dépend entièrement de la volonté de l’une des parties, en ce sens que, dans un sens ou dans l’autre, le hasard ne joue aucune part. Il est toutefois une autre espèce de condition potestative, où l’événement dépend à la fois du pouvoir du contractant et d’un événement casuel. En ce cas, il est présumé que les parties ont voulu que cette condition, matériellement potestative, demeure juridiquement casuelle. Le détenteur du pouvoir sera donc tenu d’une obligation, soit de faire, soit de ne pas faire, de sorte à préserver la casualité naturelle de la condition. C’est pour ces autres conditions potestatives que l’article 1178 du Code civil, reconduit par l’article 1304-3 du projet, prévoit une sanction propre consistant à neutraliser l’intervention ou l’abstention fautive du potentior en réputant la condition accomplie si le contractant en a empêché l’accomplissement. Logiquement, le même raisonnement impose de réputer la condition défaillie lorsque le contractant en a empêché la défaillance.

En revanche, et pour les mêmes raisons que celles précédemment exposées sous l’article 1304-2, il n’y a pas à distinguer selon que la condition est suspensive ou résolutoire, par plus qu’il n’y a lieu de tenir compte de la qualité de débiteur ou de créancier de celui qui a empêché le jeu naturel de la condition. Ce qui importe bien plutôt, c’est de préciser que cette sanction ne trouve plus à s’appliquer si le principe de cette immixtion dans le jeu naturel de la condition a été voulu par les parties.

Il est donc proposé tout à la fois d’étendre le champ de l’article 1304-3 quant aux personnes et aux événements concernés, et d’en exclure en contrepartie l’application dès lors que l’intervention en cause correspond à la prévision des parties.

III. Proposition

Nouvelle rédaction : « La condition est réputée accomplie ou défaillie selon que l’une des parties en a empêché l’accomplissement ou la défaillance, à moins que cette intervention ait été consentie par l’autre partie. »

Article 1304-5 : « Avant que la condition suspensive ne soit accomplie, le débiteur doit s’abstenir de tout acte qui empêcherait la bonne exécution de l’obligation ; le créancier peut accomplir tout acte conservatoire et attaquer les actes du débiteur accomplis en fraude de ses droits. »

I. Présentation

L’article 1304-5 s’attache à régir la période pendente conditione de la condition suspensive.

II. Analyse

Il pourrait être rappelé dans le cadre de cet article que l’exécution n’est pas due tant que la condition suspensive n’est pas accomplie, cet effet naturel de la condition suspensive ne résultant pas avec certitude des autres dispositions du projet.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« Aucune exécution n’est due tant que la condition suspensive n’est pas accomplie.

Au cours de cette période, le débiteur est tenu de s’abstenir de tout acte qui empêcherait la bonne exécution de l’obligation ; le créancier peut accomplir tout acte conservatoire et attaquer les actes du débiteur accomplis en fraude de ses droits. »

Article 1304-6 : « L’obligation produit tous ses effets à compter de l’accomplissement de la condition suspensive.

Toutefois, les parties peuvent prévoir que l’accomplissement de la condition aura un effet rétroactif à compter du jour auquel l’engagement a été contracté. Dans ce cas, la chose, objet de l’obligation, demeure aux risques du débiteur, qui en conserve l’administration et en perçoit les fruits jusqu’à l’accomplissement de la condition.

En cas de défaillance de la condition suspensive, l’obligation est réputée n’avoir jamais existé. »

I. Présentation

Réglant les effets de la condition suspensive, le projet prend le parti de renoncer à l’effet rétroactif de la condition, mais uniquement lorsqu’elle se réalise.

II. Analyse

Alors que l’effet rétroactif de la condition, consacré par plus de quinze siècles d’histoire, est rappelé pour la condition résolutoire accomplie (art. 1304-7), et qu’il l’est également pour la condition suspensive non réalisée, l’article 1304-6 du projet d’ordonnance entend poser une règle contraire en cas de réalisation de la condition suspensive : en ce cas, et en ce cas seulement, l’accomplissement de la condition ne rétroagirait plus au jour de la formation du contrat.

Le rapport de présentation du premier projet de la Chancellerie, rédigé en juillet 2008, indiquait pour justifier son parti que « C’est une solution adoptée largement en Europe et le principe de rétroactivité recevait dans le droit français de telles exceptions que son effectivité était limitée. » Plutôt que « largement adoptée en Europe », il vaudrait mieux reconnaître que, en réalité, les systèmes juridiques sont on ne peut plus partagés. Si la source de cette condition non rétroactive est ici encore germanique (BGB, §§ 158 et 159 ; ABGB, § 696 ; CO Suisse, art. 151 et 154, §§ 2) et a diffusé dans quelques instruments récents (NBW, art. 6:22 ; PDEC, art. 16:103), nombre de pays s’en tiennent toujours au principe de rétroactivité (C. civ. italien, art. 1360 ; C. civ. espagnol, art. 1120 et 1123 ; C. civ. Québec, art. 1506 ; C. civ. roumain, art. 1407 ; Law Reform (Frustrated Contracts) Act, 1943, § 1 (2), pour le droit anglais ; solution suivie aux États-Unis sur le fondement de l’equity).

Quant à l’idée selon laquelle la règle recevrait tant d’exceptions que son renversement reviendrait en quelque sorte à la rétablir dans sa nature, elle doit être combattue. La plupart de ces exceptions prétendues ne sont en effet que de strictes conséquences de l’effet rétroactif de la condition. Ainsi en va-t-il de la charge des risques de la chose, qui pèsent toujours, par nature, sur celui qui a eu la maîtrise matérielle de la chose, fût-il simple dépositaire, sans égard donc pour sa qualité juridique. De même est-il tout aussi naturel que la disparition de la chose objet du contrat avant réalisation de la condition emporte caducité de l’obligation, puisque la condition rétroagirait sinon sur un contrat sans objet, aussi vrai que l’on ne délivre pas une chose disparue. La faculté ouverte à l’une ou l’autre partie de réaliser des actes conservatoires du droit contracté sous condition ne constitue pas plus une exception : le débiteur les accomplit au titre de son obligation de conservation tandis que, de l’autre côté, la simple possibilité que le créancier soit définitivement investi de son droit suffit à l’autoriser à veiller sur celui-ci. Quant aux autres actes, d’administration voire de disposition, qui seraient réalisés par le débiteur, ils ne seront maintenus que parce qu’ils auront répondu aux conditions de la gestion d’affaire ou de la théorie de l’apparence, ainsi qu’il en aurait été si ces actes avaient été effectués par un détenteur sans titre véritable, et non par égard pour un titre rétroactivement disparu.

Seule ferait figure d’exception véritable la solution jurisprudentielle d’après laquelle le propriétaire sous condition serait admis à conserver les fruits produits par le bien cédé au cas de réalisation de l’événement, en sorte qu’il les conserverait en toute occurrence, en contradiction alors avec l’effet rétroactif de la condition. Mais en réalité, cette solution est on ne peut plus douteuse, la seule décision citée pour avoir alloué les fruits au cédant en cas de réalisation de la condition suspensive ne l’ayant fait qu’en vertu d’une clause qui assortissait expressément la jouissance du bien d’un terme suspensif en sus de la condition (3e civ., 19 juill. 1995, Bull., III, n° 20). On comprend d’ailleurs mal ce qui justifierait d’adopter une autre solution que celle valant en cas de réalisation de la condition résolutoire, où les contractants sont alors tenus de se restituer les fruits que chacun a perçus pendente conditione (3e civ., 22 juill. 1992, Bull., III, n° 263 ; 1re civ., 7 avril 1998, Bull., I, n° 142 ; 3e civ., 29 juin 2005, Bull., III, n° 148). Si bien que, de ce point de vue, l’article 1304-6 s’expose à une autre critique en allotissant le cédant sous condition, et même plus largement tout débiteur de la chose frugifère, des fruits perçus avant la réalisation de l’événement, c’est-à-dire en pleine connaissance du droit conditionnel du cessionnaire.

On aurait bien tort de rapprocher cette situation de l’obligation suspendue à l’arrivée d’un terme. Parce que l’arrivée de ce terme est certaine, il ne pose aucune difficulté de conclure immédiatement un contrat dont on sait qu’il produira ses effets plus tard. Lorsqu’en revanche l’événement est par hypothèse incertain, on prend d’emblée le risque de conclure un contrat qui n’en est pas un, puisque susceptible de ne produire aucun effet (arg. art. 1101). C’est pour éviter cette inconséquence que la condition rétroagit – qu’elle défaille ou qu’elle s’accomplisse – et c’est un bien curieux système que celui qui consiste, pour résoudre la difficulté, à modifier la portée de la condition selon le résultat de l’alternative qu’elle implique.

En réalité, la rétroactivité qui s’impose à la défaillance de la condition suspensive se justifie aussi bien en cas d’accomplissement, au moins lorsque l’obligation est à exécution instantanée. Dès lors que le contrat réunissait ab initio tous ses éléments constitutifs, rien ne justifie que l’événement accidentel auquel on avait décidé de le subordonner néanmoins puisse empêcher que l’obligation se forme rétroactivement dès son origine, par simple consolidation. En pratique même, la rétroactivité assure une meilleure protection du créancier. Les actes effectués pendente conditione contre son droit l’auront été, rétrospectivement, sans titre, de sorte que, au cas par exemple de vente d’un bien déjà cédé sous condition suspensive, l’acheteur sous condition disposera, une fois celle-ci réalisée, d’une action réelle contre le tiers acquéreur plutôt que d’une action personnelle soumise à la preuve d’une collusion frauduleuse ou bornée, sinon, à son seul cocontractant. De même, l’obligation du débiteur de conserver l’assiette du droit conditionnel de son créancier se déduit directement de la rétroactivité de la condition réalisée, sans qu’il soit besoin de disposer spécialement pour régler ses obligations.

Loin d’être complexe, le principe de la rétroactivité de la condition est le plus simple, parce qu’il permet de fixer à une seule et même date tous les effets du contrat plutôt que de les répartir entre sa formation et la date de survenance d’un événement ultérieur. La meilleure preuve, sans doute, de la pertinence de cette solution est que la pratique contractuelle n’a jamais vu proliférer les clauses de non-rétroactivité. Il n’est pas vrai d’affirmer à cet égard, comme on le lit parfois, qu’une telle clause serait devenue de style dans les actes notariés. En réalité, les clauses de non-rétroactivité ne sont introduites par les notaires que pour certains actes, notamment translatifs, et seulement lorsqu’il apparaît utile de ne pas faire rétroagir le transfert de propriété au jour de l’acte. Au demeurant, sur un tel argument, il faudrait abroger aussi la garantie des vices cachés due par le vendeur, puisque les clauses de non-garantie sont systématiquement stipulées dans les actes notariés.

Seules en réalité les conditions affectant les obligations à exécution successive échappent à ce principe de rétroactivité, pour cette raison que le caractère généralement matériel de la prestation attendue dresse alors un obstacle insurmontable à l’encontre de la rétroactivité : par la force des choses, un locataire ne peut pas jouir du bien loué sous condition pour la période précédant sa mise à disposition, laquelle est elle-même subordonnée à la réalisation de la condition (sur l’ensemble de la question, v. sur ce site : Le projet de réforme du droit des contrats, ou l’uniformisation sans sommation).

Il est donc proposé de conserver le principe de rétroactivité de la condition suspensive, qu’elle défaille ou qu’elle se réalise, la seule exception tenant dans le cas où la condition qui s’accomplit porte sur une obligation à exécution successive.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« La défaillance de la condition suspensive anéantit l’obligation qui en dépend dès son origine.

En l’absence de volonté contraire des parties, éventuellement déduite de l’économie du contrat, la réalisation de la condition suspensive produit son effet au jour où l’obligation a été contractée à l’égard des obligations à exécution instantanée, et au jour où l’événement s’accomplit à l’égard des obligations à exécution successive.

Sous la même réserve, la rétroactivité de la condition ne remet pas en cause les actes d’administration réalisés dans l’intervalle, et la chose objet de l’obligation demeure aux risques de celui qui en a eu la maîtrise. »

Article 1304-7 : « L’accomplissement de la condition résolutoire éteint rétroactivement l’obligation, sans remettre en cause, le cas échéant, les actes d’administration.

La rétroactivité n’a pas lieu si telle est la convention des parties ou si l’économie du contrat le commande. »

I. Présentation

S’attachant à régler les effets de la condition résolutoire, le projet maintient ici le principe supplétif de rétroactivité, tout en l’écartant « si l’économie du contrat le commande. »

II. Analyse

Le vague de l’exception tenant dans « l’économie du contrat » traduit sans doute les hésitations des auteurs du projet sur le problème de la rétroactivité de la condition. Au fond, cette expression peut renvoyer à deux hypothèses : celle générale dans laquelle il serait déduit de l’économie générale du contrat une volonté particulière des parties de ne pas faire produire effet à la condition pour le passé ; et celle plus particulière dans laquelle cette « économie » tient simplement au fait que l’obligation est à exécution successive, étant comme telle de nature à être maintenue pour l’exécution passée. Dans ce dernier cas en effet, même si la condition pourrait rétroagir et obliger à des restitutions en valeur, il n’est cependant aucune raison d’estimer, puisque la convention aura produit un effet juridique suffisant pour valoir comme telle, que les parties auront voulu remettre en cause cet effet passé.

Au contraire, appliquée aux contrats à exécution instantanée, la condition retrouve sa rétroactivité naturelle. Cette rétroactivité est même nécessaire lorsque la condition résolutoire intervient sur un contrat à exécution instantanée dont le paiement a déjà été réalisé puisque, si la condition n’avait pas d’effet rétroactif sur ce paiement, elle n’en aurait tout simplement aucun. Il conviendrait donc de préciser les solutions sur ce point, de sorte à indiquer que l’accomplissement de la condition résolutoire rétroagit, certes, mais sans remettre en cause les obligations à exécution successive, le critère tiré de l’économie du contrat tenant en réalité à la recherche de la volonté contraire des parties.

Au-delà de la question de l’accomplissement de la condition résolutoire, le projet ne dit curieusement rien de sa défaillance. Si l’hypothèse pose sans doute moins de difficultés, le principe de rétroactivité mériterait d’être rappelé là aussi, ne serait-ce que par souci de clarté.

Il est donc proposé de retenir pour la condition résolutoire l’exact pendant des solutions valant pour la condition suspensive. Étant observé que les solutions sont ainsi les mêmes que la condition soit suspensive ou résolutoire, ces deux articles pourraient être avantageusement réunis en un seul.

III. Proposition

1) Nouvelle rédaction de l’article 1304-7 :

« La défaillance de la condition résolutoire rend l’obligation pure et simple dès son origine.

En l’absence de volonté contraire des parties, éventuellement déduite de l’économie du contrat, la réalisation de la condition résolutoire produit son effet au jour où l’obligation a été contractée à l’égard des obligations à exécution instantanée, et au jour où l’événement s’accomplit à l’égard des obligations à exécution successive.

Sous la même réserve, la rétroactivité de la condition ne remet pas en cause les actes d’administration réalisés dans l’intervalle, et la chose objet de l’obligation demeure aux risques de celui qui en a eu la maîtrise. »

2) Fusion des articles 1304-6 et 1304-7 sous la rédaction suivante :

« La défaillance de la condition suspensive anéantit l’obligation qui en dépend dès son origine. Celle de la condition résolutoire la rend pure et simple à compter de la même date.

En l’absence de volonté contraire des parties, éventuellement déduite de l’économie du contrat, la réalisation de la condition produit son effet au jour où l’obligation a été contractée à l’égard des obligations à exécution instantanée, et au jour où l’événement s’accomplit à l’égard des obligations à exécution successive.

Sous la même réserve, la rétroactivité de la condition ne remet pas en cause les actes d’administration réalisés dans l’intervalle, et la chose objet de l’obligation demeure aux risques de celui qui en a eu la maîtrise. »

Section 2 – L’obligation à terme
(art. 1305 à 1305-5)

Article 1305 : « L’obligation est à terme lorsque son exigibilité est différée jusqu’à la survenance d’un événement futur et certain, encore que la date en soit incertaine. »

I. Présentation

En définissant le terme de l’obligation, l’article 1305 signale d’emblée que cette section ne traitera que du terme suspensif, à l’exclusion du terme extinctif.

II. Analyse

Le choix consistant à ne pas régler le terme extinctif dans le Code civil est au fond celui de la continuation, les actuels articles 1185 et suivants ne traitant eux-mêmes que du terme suspensif. On peut toutefois regretter que le projet ne se saisisse pas de cet autre versant du terme, qui été largement conceptualisé depuis 1804. En l’état, les parties sont tenues de se reporter à la section relative à la durée du contrat pour avoir quelques indications sur les règles qu’il convient de suivre sur ce point. Certaines d’entre elles pourtant sont communes à celles du terme suspensif, et ne figurent pas sous la durée du contrat, de sorte qu’il ne serait pas difficile de les intégrer à la présente section. Cette lacune paraît d’autant plus surprenante qu’elle fait suite à une section traitant successivement pour sa part de la condition suspensive et de la condition résolutoire. Au demeurant, le langage courant lui-même, à travers des expressions telles que « mettre un terme » au contrat, comprend le mot comme visant avant tout le terme extinctif, si bien que ce n’est pas précisément tendre à l’accessibilité recherchée que de retenir en droit une signification contraire à celle du sens commun.

Il est donc proposé de modifier la définition retenue du terme de l’obligation de façon à traiter à la fois du terme suspensif et du terme extinctif.

III. Proposition

Nouvelle rédaction : « L’obligation est à terme lorsque son exigibilité dépend de la survenance d’un événement futur et certain, encore que la date en serait incertaine, soit que l’exécution s’en trouve différée, soit à l’inverse qu’elle cesse à cette date. »

Article 1305-1 : « Le terme peut être exprès ou tacite.

Lorsque le terme n’a pas été fixé, ou lorsque sa détermination suppose un nouvel accord ou la décision de l’une des parties, le juge peut, si le terme n’est pas déterminé à l’issue d’un délai raisonnable, le fixer en considération de la nature de l’obligation et de la situation des parties. »

I. Présentation

L’article 1305-1 du projet introduit dans le régime de l’obligation une innovation consistant visant, en cas d’absence d’accord des parties sur la fixation du terme suspensif, à permettre au juge de le déterminer de son propre chef, c’est-à-dire, faut-il comprendre, à la demande de l’une des parties.

II. Analyse

Ce pouvoir de fixation du terme par le juge paraît inspiré du Code civil du Québec (art. 1512). Néanmoins, cette autre disposition limite son application aux seuls cas dans lesquels il paraît acquis que les parties ont voulu constituer l’obligation, seule se trouvant retardée la détermination de son terme. Au contraire, en l’état, le projet d’ordonnance ne contient pas une telle limitation, visant tous les cas dans lesquels « le terme n’a pas été fixé ». Or, bien souvent, cette imperfection de l’accord des parties révèle que celles-ci ont entendu retarder sa conclusion à cette dernière stipulation, ainsi devenue déterminante de leur consentement. Au surplus, l’actuelle rédaction du projet ne permet pas d’exclure que le juge puisse également intervenir pour fixer le terme au cours de la négociation, alors que bien d’autres éléments restent à convenir, sauf à considérer que le délai raisonnable ne commencerait par nature à courir qu’une fois tous les autres éléments constitutifs de l’obligation déjà arrêtés.

En toute occurrence, il conviendrait de limiter ce pouvoir de fixation unilatérale au seul cas dans lequel il est établi que le caractère obligatoire de l’accord des parties ne dépendait pas de la détermination du terme. Dans ce cadre, l’hypothèse dans laquelle les parties ont convenu que le terme serait fixé unilatéralement par l’une d’elles répond pleinement à cette exigence : à partir du moment où la détermination n’est plus qu’unilatérale, c’est bien qu’elle ne recèle aucun nouvel accord. En ce cas donc, mais en ce cas seulement, le pouvoir de fixation du terme par le juge est parfaitement admissible. Il ne ferait que répondre d’ailleurs à la faculté qui est la sienne lorsque la détermination unilatérale d’un élément du contrat par l’une des parties concerne la fixation du prix (art. 1163 proj.).

Il est donc proposé de limiter le pouvoir de fixation judiciaire du terme à la seule hypothèse dans laquelle celui-ci dépendait de la volonté d’une seule partie. Il importerait seulement d’ajouter, à partir du moment où l’on prend le parti de viser dans cette section toute espèce de terme, que cette faculté ne concerne que le terme suspensif et que, s’agissant du terme extinctif, l’absence de toute fixation rend l’obligation à durée indéterminée.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« Le terme peut être exprès ou tacite.

Lorsque le terme qui suspend l’exigibilité de l’obligation n’a pas été fixé et que sa détermination suppose un nouvel accord des parties, l’existence de l’obligation est présumée dépendre de cet accord.

Lorsque la fixation de ce terme dépend de la décision de l’une des parties et qu’il n’est pas déterminé à l’issue d’un délai raisonnable, le juge peut, à la demande de l’autre partie, le fixer en considération de la nature de l’obligation et de la situation en cause.

Lorsqu’aucun terme extinctif n’a été fixé, l’obligation est réputée à durée indéterminée. »

Article 1305-2 : « Ce qui n’est dû qu’à terme ne peut être exigé avant son échéance; mais ce qui a été payé d’avance ne peut être répété.

[Le créancier de l’obligation affectée d’un terme peut exercer tous les actes conservatoires de son droit et agir contre les actes du débiteur accomplis en fraude de ses droits.] »

I. Présentation

L’article 1305-2 du projet reprend en substance la règle figurant à l’article 1186 du Code civil, en y ajoutant que le créancier d’une obligation à terme à la faculté de réaliser les mêmes actes conservatoires de son droit.

II. Analyse

Il tombe sous le sens que le créancier d’une obligation à terme dispose des mêmes pouvoirs s’agissant de sa créance qu’un créancier sous condition suspensive (art. 1304-5 proj.), puisque, si sa créance n’est pas encore exigible, elle est au moins certaine, ce que l’obligation sous condition n’était pas. Mais cette évidence rend seulement la précision naturelle.

On a compris de ce qui précède, et notamment de la définition donnée à l’article 1304, que, au travers du terme, le projet ne vise en réalité que le terme suspensif, pour lequel il est vrai la question de la conservation du droit se pose le plus souvent. Pour autant, la disposition peut être étendue, par un raisonnement a fortiori, au terme extinctif, comme elle l’a été de la condition suspensive au terme suspensif. Il n’y a donc pas lieu sur ce point de modifier la rédaction. En revanche, certaines formules mériteraient d’être corrigées. Ainsi, si l’on exerce bien un droit, on n’« exerce » pas un acte.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« Ce qui n’est dû qu’à terme ne peut être exigé avant son échéance ; mais ce qui a été payé d’avance ne peut être répété.

Le créancier de l’obligation affectée d’un terme peut accomplir tous les actes conservatoires et attaquer tous les actes du débiteur accomplis en fraude de ses droits. »

Article 1305-3 : « Le terme profite au débiteur, s’il ne résulte de la loi, de la volonté des parties ou des circonstances qu’il a été établi en faveur du créancier ou des deux parties.

La partie au bénéfice exclusif de qui le terme a été fixé peut y renoncer sans le consentement de l’autre. »

I. Présentation

L’article 1305-3 reconduit l’actuel article 1187 tout en ajoutant que celui au bénéfice duquel le terme a été stipulé peut y renoncer unilatéralement (al. 2). Surtout, il précise que, si le terme est présumé stipulé au profit du débiteur, il peut également l’être au profit du créancier ou des deux parties (al. 1er).

II. Analyse

La disposition n’appelle pas d’observations particulières, étant conforme sur ce point à l’état du droit positif. Simplement, dans le cadre d’une extension de la section à toute espèce de terme, il convient de souligner que la règle posée au premier alinéa, selon laquelle le terme est présumé stipulé en faveur du débiteur, ne concerne que le terme suspensif. Au contraire, la faculté de renonciation reconnue à celui au bénéfice duquel le terme a été stipulé est susceptible de s’appliquer aussi bien au terme extinctif, de sorte que la rédaction du second alinéa peut être maintenue en son état.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« Le terme suspensif est réputé profiter exclusivement au débiteur, s’il ne résulte de la loi, de la volonté des parties ou des circonstances qu’il a été établi en faveur du créancier ou des deux parties.

La partie au bénéfice exclusif de laquelle le terme a été fixé peut y renoncer sans le consentement de l’autre. »

Article 1305-4 : « Le débiteur ne peut réclamer le bénéfice du terme s’il ne fournit pas les sûretés promises au créancier ou s’il diminue par son fait celles qu’il lui a données. »

Article 1305-5 : « La déchéance du terme encourue par un débiteur est inopposable à ses codébiteurs, même solidaires. »

I. Présentation

Les deux derniers articles de la section traitent des causes et des effets de la déchéance du terme.

II. Analyse

À partir du moment où les deux textes ne visent que le débiteur, il ne peut logiquement s’agir que de la déchéance du terme suspensif. Il n’y a donc pas lieu de modifier leur rédaction dans la perspective d’une extension de la section au terme extinctif.

III. Proposition

Sans changement.

Section 3 – L’obligation plurale
(art. 1306 à 1319)

Article 1307 : « L’obligation est alternative lorsqu’elle a pour objet plusieurs prestations et que l’exécution de l’une d’elles libère le débiteur. »

Article 1307-1 : « Le choix entre les prestations appartient au débiteur, sauf disposition légale ou clause contraire.

Si le choix n’est pas exercé en temps voulu ou dans un délai raisonnable, l’autre partie peut, après mise en demeure, exercer ce choix ou résoudre le contrat.

Le choix exercé est définitif et fait perdre à l’obligation son caractère alternatif. »

Article 1307-2 : « Si elle procède d’un cas de force majeure, l’impossibilité d’exécuter la prestation choisie libère le débiteur. »

Article 1307-3 : « Le débiteur qui n’a pas fait connaître son choix doit, si l’une des prestations devient impossible [par suite d’un cas de force majeure,] exécuter l’autre. »

Article 1307-4 : « Le créancier qui n’a pas fait connaître son choix doit, si l’une des prestations devient impossible à exécuter par suite d’un cas de force majeure, se contenter de l’autre. »

Article 1307-5 : « Lorsque les prestations deviennent impossibles, le débiteur n’est libéré que si l’impossibilité procède, pour l’une et pour l’autre, d’un cas de force majeure. »

I. Présentation

Le projet d’ordonnance fait le choix de développer six articles pour détailler le régime de l’obligation alternative, quand un seul suffit par ailleurs à l’obligation cumulative (art. 1306) ou à l’obligation facultative (art. 1308).

II. Analyse

On peut s’interroger sur la raison pour laquelle les auteurs du projet ont mobilisé tant d’efforts pour régler l’obligation alternative, plutôt que l’obligation cumulative ou l’obligation facultative. Il ne semble pas en effet que cette catégorie d’obligation soit particulièrement usitée en pratique, si l’on s’en tient au peu de jurisprudence qui la concerne. Surtout, les dispositions proposées sont très souvent redondantes, sinon même inopérantes.

En premier lieu, la définition donnée de l’obligation alternative pourrait concerner aussi bien l’obligation facultative, de sorte que, sauf à faire de cette seconde une espèce de la première, il conviendrait de préciser que, dans l’obligation alternative, les deux obligations sont principales, n’étant pas liées, comme pour l’obligation facultative, par un rapport de principal à accessoire.

Quant à son régime, il est sans doute utile que l’article 1307-1 précise que, à défaut d’option par le débiteur, le choix de l’obligation appartient au créancier. Mais comment admettre qu’il puisse aussi bien résoudre le rapport d’obligation (que le projet limite d’ailleurs au seul contrat) ? À partir du moment où il est possible au créancier de lever lui-même l’option, on ne voit pas en quoi l’absence de choix par le débiteur constituerait un manquement de nature à justifier la résolution.

Par la suite, le projet accumule quatre articles pour dire à peu près la même chose, à savoir que l’impossibilité d’exécuter l’une des deux obligations ne libère le débiteur que si le choix a déjà été opéré pour cette obligation. Enfin, en exigeant que cette impossibilité résulte d’un cas de force majeure, ces dispositions méconnaissent le fait que toute impossibilité définitive de s’exécuter, qu’elle soit ou non imprévisible, met toujours fin à l’existence de l’obligation, par caducité (art. 1186 proj.), la question de la force majeure n’intéressant que la responsabilité éventuelle du débiteur (v. art. 1218, supra). On ne voit pas bien en effet ce que l’on pourrait exiger du débiteur, hormis des dommages-intérêts, s’il ne peut matériellement pas exécuter la prestation convenue.

Il est donc proposé de préciser la définition de l’obligation alternative pour mieux la distinguer de l’obligation facultative, de limiter le pouvoir du créancier à celui d’exercer le choix à la place du débiteur, et de réduire à une seule les quatre dernières dispositions, en en supprimant la condition de force majeure.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

Article 1307 : « L’obligation est alternative lorsqu’elle a pour objet plusieurs prestations principales et que l’exécution de l’une d’elles libère le débiteur de la totalité. »

Article 1307-1 : « Le choix entre les prestations appartient au débiteur, sauf disposition légale ou clause contraire.

Si le choix n’est pas exercé en temps voulu ou dans un délai raisonnable, l’autre partie peut l’exercer elle-même après mise en demeure préalable.

Le choix exercé est définitif et fait perdre à l’obligation son caractère alternatif. Il ne peut s’opérer qu’entre les obligations encore susceptibles d’être exécutées. »

Article 1307-2 : « Une fois le choix opéré, l’impossibilité d’exécuter la prestation choisie libère le débiteur, sauf sa responsabilité éventuelle si son choix a été effectué en considération de cette impossibilité ou si celle-ci résulte de son fait. »

Articles 1307-3 à 1307-5 : suppression.

Article 1308 : « L’obligation est facultative lorsqu’elle a pour objet une certaine prestation mais que, ayant pour objet une certaine prestation le débiteur a la faculté, pour se libérer, d’en fournir une autre.

L’obligation facultative est éteinte si l’exécution de la prestation initialement convenue devient impossible pour cause de force majeure. »

I. Présentation

L’article 1308 traite de l’obligation facultative et lui donnant une définition (al. 1er) et un régime (al. 2).

II. Analyse

La rédaction du premier alinéa présente une apparente malfaçon : « L’obligation est facultative lorsqu’elle a pour objet une certaine prestation mais que, ayant pour objet une certaine prestation le débiteur a la faculté, pour se libérer, d’en fournir une autre. » Il convient de toute façon de mieux distinguer dans cette définition l’obligation facultative de l’obligation alternative.

Par ailleurs, l’actuelle définition est également défaillante en ce qu’elle paraît signifier que l’obligation accessoire venant suppléer à la première n’aurait pas pour sa part à être préalablement déterminée, de telle sorte que le débiteur pourrait exécuter n’importe quelle prestation à sa convenance pour se libérer, ce qui paraît difficilement imaginable Cette impression est au demeurant renforcée par le second alinéa, qui désigne l’obligation principale comme celle ayant été « initialement convenue », laissant ainsi entendre que l’autre ne l’aurait pas été.

Enfin, et pour la raison précédemment évoquée sous l’obligation alternative, il importe de supprimer toute référence à la force majeure du second alinéa.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« L’obligation est facultative lorsque, ayant pour objet une prestation principale, elle laisse néanmoins la faculté au débiteur de se libérer en fournissant une autre prestation préalablement déterminée.

L’obligation facultative est éteinte si l’exécution de la prestation principale devient impossible. »

Article 1309 : « L’obligation qui lie plusieurs créanciers ou débiteurs se divise de plein droit entre eux. La division a lieu de nouveau entre leurs successeurs. Si elle n’est pas réglée autrement par la loi ou par le contrat, la division a lieu par parts égales.

Chacun des créanciers n’a droit qu’à sa part de la créance commune ; chacun des débiteurs n’est tenu que de sa part de la dette commune. Il n’en va autrement, dans les rapports entre les créanciers et les débiteurs, que si l’obligation est de surcroît solidaire ou si la prestation due est indivisible. »

I. Présentation

Cette disposition liminaire a pour objet de rappeler le principe de divisibilité de l’obligation en cas de pluralité de titulaires et d’introduire aux deux exceptions que sont la solidarité et l’indivisibilité de l’obligation.

II. Analyse

L’article 1309 paraît évoquer d’abord la division finale de l’obligation à la dette entre les différents titulaires (al. 1er) avant d’examiner la question de cette divisibilité dans l’action des créanciers contre les débiteurs (al. 2). Toutefois, la rédaction de ce second alinéa contient une ambiguïté en tant qu’elle évoque « les rapports entre les créanciers et les débiteurs », cette expression pouvant aussi bien viser les rapports entre les créanciers, d’une part, ou les rapports entre les débiteurs, d’autre part, alors que se trouve en réalité en cause « les rapports entre créanciers et débiteurs » seulement.

Par ailleurs, il serait sans doute plus logique d’évoquer le cas de l’obligation indivisible, qui l’est au regard de son objet même et l’est le plus souvent de plein droit, avant celui de l’obligation solidaire, qui ne regarde que ses titulaires et n’est jamais présumée en matière civile.

Il est donc proposé de préciser la rédaction du second alinéa et d’inverser l’ordre d’examen entre obligation indivisible avant obligation solidaire, de sorte à intervertir les deux paragraphes qui suivent.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

Alinéa 1er : sans changement.

Alinéa 2 : « Chacun des créanciers n’a droit qu’à sa part de la créance commune ; chacun des débiteurs n’est tenu que de sa part de la dette commune. Il n’en va autrement, dans les rapports entre créanciers et débiteurs, que si l’obligation est solidaire ou qu’elle est indivisible. »

I. Présentation

Les articles 1310 à 1318 traitent de l’obligation solidaire, examinant successivement la solidarité active puis la solidarité passive.

II. Analyse

Le paragraphe relatif à l’obligation solidaire est subdivisé en deux intitulés numérotés « 1. » et « 2. », alors que le paragraphe est la dernière subdivision connue en matière législative. Le fait qu’il y soit successivement examiné les solidarités active et passive n’impose pas de diviser le paragraphe. Ainsi le projet fait-il ailleurs l’économie de ces subdivisions : le paragraphe relatif aux vices du consentement, par exemple, n’est pas subdivisé en fonction du vice concerné (art. 1130 et s.).

Sur le fond, les dispositions proposées reprennent l’essentiel des solutions du droit positif et n’appellent donc pas d’observations particulières. En réalité, comme dans le Code civil de 1804, les règles de solidarité les plus problématiques sont éparpillées entre différentes sections, la principale d’entre elles étant sans doute celle relative à la remise de dette. Conformément au choix retenu par les rédacteurs du projet, c’est donc avec la remise de dette que seront évoquées les questions nées de la solidarité (art. 1329 et s., infra).

III. Proposition

Suppression des subdivisions « 1. La solidarité entre créanciers » et « 2. La solidarité entre débiteurs ».

Article 1319 : « Chacun des créanciers d’une obligation à prestation indivisible, par nature ou par contrat, peut en exiger et en recevoir le paiement intégral, sauf à rendre compte aux autres ; mais il ne peut seul disposer de la créance ni recevoir le prix au lieu de la chose.

Chacun des débiteurs d’une telle obligation en est tenu pour le tout ; mais il a ses recours en contribution contre les autres.

Il en va de même pour chacun des successeurs de ces créanciers et débiteurs. »

I. Présentation

L’article 1319 règle le sort des obligations indivisibles.

II. Analyse

En détaillant d’emblée le régime des obligations indivisibles, le projet d’ordonnance omet tout à la fois de définir ce type d’obligation et d’indiquer les conditions auxquelles une obligation peut être tenue pour indivisible plutôt que divisible, sachant que cette question ne trouve pas une réponse suffisante à l’article 1309 (supra), ni à l’article 1320-4 qui se borne à énoncer, d’ailleurs inexactement, que « Le créancier peut refuser un paiement partiel même si la prestation est divisible » (v. infra). Si l’on comprend bien que les auteurs aient pris le parti de n’envisager l’obligation indivisible que dans l’hypothèse où elle regarde plusieurs débiteurs ou créanciers, suivant en cela la proposition du projet Terré, rien n’empêchait de commencer par en poser les bases, en en donnant la définition ou les conditions, ou encore ses effets lorsqu’elle ne regarde qu’un débiteur et un créancier.

Par ailleurs, le choix de parler d’obligation « à prestation indivisible » plutôt que simplement « indivisible » laisse circonspect. Il semble assez clair en effet que, à partir du moment où elle est opposée à l’obligation solidaire, qui ne concerne que le rapport entre les titulaires de l’obligation, l’obligation indivisible n’est pour sa part indivisible qu’au regard de son objet ou de sa cause. Il n’y a donc pas à préciser que cette indivisibilité vise la prestation de l’obligation. Au demeurant, il est permis de trouver cette formulation quelque peu tautologique, les notions d’obligation et de prestation étant le plus souvent employées comme quasi-synonymes.

Il est donc proposé de supprimer l’expression d’« obligation à prestation » et de rappeler in limine que l’obligation est réputée indivisible lorsqu’il n’existe qu’un seul débiteur et un seul créancier. On trouvera sans doute que la rédaction proposée est à certains égards redondante par rapport à l’article 1309, mais c’est déjà le cas en l’état actuel du projet.

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« § 1 – L’obligation indivisible »

Article 1319 : « En l’absence de volonté contraire, l’obligation à laquelle n’est tenue qu’un seul débiteur ne se divise pas à l’égard du créancier.

L’obligation à laquelle sont tenus plusieurs débiteurs ou qui profite à plusieurs créanciers se divise à l’égard de chacun des débiteurs et des créanciers, à moins qu’elle ne puisse matériellement se diviser ou qu’elle ait été voulue indivisible.

En cas d’obligation indivisible, chacun des créanciers peut en recevoir le paiement intégral, sauf à en rendre compte aux autres créanciers, mais il ne peut seul en disposer ou accepter une autre chose en paiement.

De même, chacun des débiteurs d’une obligation indivisible en est tenu pour le tout, sauf son recours contre les autres débiteurs.

Les mêmes règles s’appliquent aux successeurs des créanciers ou des débiteurs. »

Chapitre II – L’extinction de l’obligation

Le projet énumère cinq causes d’extinction de l’obligation : le paiement, qui en est le mode ordinaire, la compensation, qui tient lieu de paiement, et trois causes pathologiques que sont l’impossibilité d’exécuter, la remise de dette et la confusion. On n’y trouve donc plus ni la novation, qui a été déplacée dans un nouveau chapitre consacré à la modification du rapport d’obligation, ni la nullité de l’obligation, qui a pour l’essentiel été examinée comme sanction des conditions de formation des contrats. De la sorte, le projet pare à la critique qui avait été faite au Code civil pour avoir pris comme cause d’extinction ce qui tient plus sûrement d’une cause d’imperfection ab initio de l’obligation. Il est pourtant des cas, en particulier lorsqu’elle n’est que relative, où la nullité n’opère pas de plein droit, supposant pour valoir d’être soulevée par le titulaire de l’action, à la manière d’une résolution. Mais il est vrai que, traditionnellement, la résolution n’est pas non plus évoquée parmi les causes d’extinction des obligations, de sorte que l’éviction de la nullité s’en trouve d’autant justifiée. La même raison autorisait à n’y pas mentionner non plus la caducité, sous cette réserve néanmoins que l’impossibilité d’exécuter, examinée par le projet, constitue en réalité une cause de caducité. Enfin, contrairement au projet Catala, le projet d’ordonnance a fait le choix de ne pas introduire la prescription parmi les causes d’extinction des obligations, fût-ce par renvoi aux articles 2255 et suivants. Il n’est pas sûr toutefois que l’on puisse y voir une volonté des auteurs de limiter la prescription à une cause d’extinction de la seule action en justice. Le projet ne se prononce tout simplement pas sur ce point.

Section 1 – Le paiement
(art. 1320 à 1324-4)

« Sous–section 1 – Dispositions générales »

Article 1320 : « Le paiement est l’exécution de la prestation due.

Il doit être fait sitôt que la dette devient exigible.

Il libère le débiteur à l’égard du créancier et éteint la dette, sauf lorsque la loi prévoit une subrogation dans les droits du créancier. »

Article 1320-1 : « Le paiement peut être fait même par une personne qui n’y est pas tenue, sauf refus légitime du créancier ou opposition justifiée du débiteur. »

Article 1320-2 : « Le paiement doit être fait au créancier ou à la personne désignée pour le recevoir.

Le paiement fait à un créancier incapable n’est pas valable, s’il n’en a tiré profit.

Le paiement fait à une personne qui n’avait pas qualité pour représenter le créancier est néanmoins valable si le créancier le ratifie ou s’il en a profité. »

Article 1320-3 : « Le paiement fait de bonne foi à un créancier apparent est valable. »

Article 1320-4 : « Le créancier peut refuser un paiement partiel même si la prestation est divisible.

Il peut accepter de recevoir en paiement autre chose que ce qui lui est dû. »

Article 1320-5 : « Le débiteur d’un corps certain est libéré par sa remise en l’état au créancier, sauf à prouver, en cas de détérioration, que celle-ci n’est pas due à son fait ou à celui de personnes dont il doit répondre. »

Article 1320-6 : « À défaut d’une autre désignation par la loi, le juge ou le contrat, le paiement doit être fait au domicile du débiteur. »

Article 1320-7 : « Les frais du paiement sont à la charge du débiteur. »

Article 1320-8 : « Le paiement se prouve par tous moyens. »

Article 1320-9 : « La remise volontaire par le créancier au débiteur de l’original sous signature privée ou de la copie exécutoire du titre de sa créance vaut présomption simple de libération.

La même remise à l’un des codébiteurs solidaires produit le même effet à l’égard de tous. »

Article 1320-10 : « Le débiteur de plusieurs dettes de même nature peut indiquer, lorsqu’il paie, celle qu’il entend acquitter.

À défaut d’indication par le débiteur, l’imputation a lieu comme suit : d’abord sur les dettes échues ; parmi celles-ci, sur les dettes que le débiteur avait le plus d’intérêt d’acquitter. À égalité d’intérêt, l’imputation se fait sur la plus ancienne ; toutes choses égales, elle se fait proportionnellement. »

« Sous–section 2 – Dispositions particulières aux obligations de sommes d’argent »

Article 1321 : « Le débiteur d’une obligation de somme d’argent se libère par le versement de son montant nominal.

Le montant de la somme due peut varier par le jeu de l’indexation.

Le débiteur d’une dette de valeur se libère par le versement de la somme d’argent résultant de sa liquidation. »

Article 1321-1 : « Lorsque l’obligation de somme d’argent porte intérêt, le débiteur se libère en versant le principal et les intérêts. Le paiement partiel s’impute d’abord sur les intérêts.

L’intérêt est accordé par la loi ou stipulé par le contrat. Le taux de l’intérêt conventionnel doit être fixé par écrit. Il est réputé annuel par défaut. »

Article 1321-2 : « Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice le précise. »

Article 1321-3 : « Le paiement, en France, d’une obligation de somme d’argent s’effectue dans la monnaie qui y a cours. Toutefois, le paiement peut avoir lieu en une autre devise si l’obligation ainsi libellée procède d’un contrat international ou d’un jugement étranger. »

Article 1321-4 : « À défaut d’une autre désignation par la loi, le juge ou le contrat, le lieu du paiement de l’obligation de somme d’argent est le domicile du créancier. »

Article 1321-5 : « Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.

Il peut subordonner ces mesures à l’accomplissement par le débiteur d’actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.

La décision du juge suspend les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d’intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.

Toute stipulation contraire est réputée non écrite.

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables [dans les cas prévus par la loi, notamment pour les] [aux] dettes d’aliment. »

I. Présentation

Les articles 1320 à 1321-5 du projet d’ordonnance détaillent le régime du paiement de l’obligation en distinguant les règles générales des règles propres aux obligations de sommes d’argent.

II. Analyse

À bien des égards, le projet reconduit ici les règles du Code de 1804 en en simplifiant souvent la formulation. Ailleurs, il se borne à entériner les solutions du droit positif. Tel est le cas notamment du principe selon lequel le paiement se prouve par tous moyens (art. 1320-8), le projet n’allant toutefois pas jusqu’à affirmer, comme le fait désormais la jurisprudence, que le paiement constitue un fait juridique (1re civ., 1er déc. 2011, n° 10-30701 ; 2e civ., 10 oct. 2013, n° 12-24552) ; de la consécration dans le régime de l’obligation de la distinction entre dettes de somme d’argent et dettes de valeur (art. 1321) ; ou encore de la reconnaissance, conforme à la pratique, de la portabilité des obligations de somme d’argent (art. 1321-4), par exception au principe de quérabilité des dettes (art. 1320-6).

D’autres choix peuvent être discutés. Ainsi de l’article 1320-3 dont la rédaction est si compréhensive qu’elle revient peu ou prou à renverser le principe traditionnel selon lequel « qui paye mal paye deux fois ». Désormais, seul le débiteur négligent pourrait être tenu à réitérer le paiement, sa simple « bonne foi » suffisant à valider le paiement fait au « créancier apparent ». La lettre de l’article 1240 du Code civil semblait nettement plus restrictive. Par ailleurs, l’expression de « paiement valable », qui est cette fois celle du Code de 1804, suscite deux difficultés. D’abord, elle est devenue contraire à l’idée selon laquelle le paiement constitue un fait juridique, la question de la validité ne pouvant concerner que les actes juridiques. Ensuite, elle paraît signifier que le paiement est parfait tant du côté du débiteur que du créancier, de telle sorte que celui-ci ne disposerait plus d’aucun recours pour recouvrer son paiement, ce qui ne correspond évidemment pas à la situation. Pour l’ensemble de ces raisons, il y aurait lieu de modifier la rédaction de l’article 1320-3 du projet.

Par ailleurs, le projet d’ordonnance fait le choix de déplacer la présomption de « libération » tirée de la remise du titre, que les rédacteurs de 1804 avaient placée sous la section relative à la remise de dette (C. civ., art. 1282 et s.), pour l’intégrer dans les dispositions relatives au paiement. D’où il faudrait désormais déduire, joint au fait que la section du projet relative à la remise de dette ne contient plus aucune disposition en ce sens (v. art. 1329 et s., infra), que la remise du titre ferait désormais présumer la libération du débiteur par paiement du créancier plutôt que par remise de dette. Le fait d’avoir assoupli la force de cette présomption, en permettant son renversement même en cas de remise du titre original, ne règle pas toutes les difficultés, bien au contraire, puisque cela revient à donner la possibilité au créancier, qui parvient à démontrer qu’il n’a pas reçu son paiement, d’obliger le débiteur à s’exécuter après lui avoir pourtant restitué le titre, et avoir ainsi fait naître chez lui la fausse croyance de sa libération. Au fond, et en dépit de sa rigueur, il semble bien que la présomption de remise de dette soit plus conforme à la réalité d’une situation qui voit un créancier renoncer à son titre en le remettant volontairement entre les mains de son débiteur. Il est vrai que, sur ce point, le Code de 1804 ne pouvait pas servir de modèle, au vu de l’évidente ambiguïté qui l’affecte. Outre l’emploi du même terme générique de « libération » du débiteur à l’article 1282, la disposition suivante associe en effet présomption de remise de dette et présomption de paiement, révélant en cela que les rédacteurs n’étaient pas parvenus à s’entendre sur la question. Il en résulte que, sur le pied de cette indécision, il est impossible de savoir ce que doit établir le créancier pour renverser la présomption : qu’il fasse la preuve de l’absence de paiement, et il lui sera répondu que la remise du titre faisait présumer celle de la dette ; qu’il fasse au contraire celle de l’absence de remise de dette, et il se verra opposer la présomption de paiement. De sorte que c’est en réalité une double preuve que le créancier doit apporter pour renverser la présomption de l’article 1283. Il est donc assurément bienvenu de saisir l’opportunité de la réforme pour éclaircir ces dispositions. Mais on aurait préféré que le choix opéré à cette occasion fût le bon (v. art. 1329 et s., infra).

En la forme cette fois, certaines dispositions mériteraient d’être améliorées. Cela concerne en particulier l’article 1320-2, alinéa 2, qui fait curieusement le choix d’une formulation plus archaïque et nettement moins claire que celle de l’article 1241 du Code de 1804. L’article 1320-4 pèche quant à lui par manque de précision car, si le créancier peut bien refuser le paiement partiel d’une dette matériellement divisible, il n’en est rien lorsque la divisibilité est intellectuelle, c’est-à-dire lorsqu’elle a été convenue par les parties. L’article suivant emploie pour sa part une expression grossièrement ambiguë, en parlant de « remise en l’état » pour évoquer, non pas évidemment la réparation de la chose, mais sa délivrance en son état actuel. Étant au surplus observé que l’idée de remise au créancier est de toute façon inadaptée s’agissant des corps certains, qui sont quérables chez le débiteur, et pour lesquels la notion de délivrance est beaucoup plus exacte. Les conditions de l’anatocisme posées à l’article 1321-2 du projet sont à leur tour mal définies, laissant entendre que le juge pourrait ordonner la capitalisation des intérêts sans que cette demande ait même été formulée par le créancier. Mais c’est naturellement l’article 1321-5 qui, en son dernier alinéa, nécessite la correction la plus évidente puisque, à force de cumuler les propositions entre crochets, il dispose en son état : « Les dispositions du présent article ne sont pas applicables [dans les cas prévus par la loi, notamment pour les] [aux] dettes d’aliment. »

Il est donc proposé de supprimer la présomption de paiement déduite de la remise du titre (art. 1320-9), et de modifier la rédaction des articles 1320-2 (al. 2), 1320-3, 1320-4, 1321-2 et 1321-5 (dern. al.) du projet.

III. Proposition

Articles 1320 et 1320-1 : sans changement.

Article 1320-2 : « Le paiement doit être fait au créancier ou à la personne désignée pour le recevoir.

Le paiement fait à un créancier incapable n’est pas valable, à moins qu’il en ait tiré profit.

Le paiement fait à une personne qui n’avait pas qualité pour représenter le créancier est néanmoins valable si le créancier le ratifie ou s’il en a profité. »

Article 1320-3 : « Le débiteur qui effectue son paiement à celui qu’il était fondé à croire créancier est valablement libéré, sauf le recours du créancier contre celui qui a reçu ce paiement. »

Article 1320-4 : « Le créancier peut refuser un paiement partiel même si la prestation est matériellement divisible.

Il peut accepter de recevoir en paiement autre chose que ce qui lui est dû. »

Article 1320-5 : « Le débiteur d’un corps certain est libéré par sa délivrance en son état actuel, sauf à prouver, en cas de détérioration, que celle-ci est due à une cause étrangère. »

Articles 1320-6 à 1320-8 : sans changement.

Article 1320-9 : suppression [déplacement sous la section relative à la remise de dette].

Article 1320-10 à 1321-1 : sans changement.

Article 1321-2 : « Les intérêts échus et dus au moins pour une année entière produisent intérêt si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice fait droit à une demande du créancier en ce sens. »

Articles 1321-3 et 1321-4 : sans changement.

Article 1321-5, alinéas 1 à 5 : sans changement.

Article 1321-5, alinéa 6 : « Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux dettes d’aliment. »

Article 1322 : « Le débiteur est mis en demeure soit par une sommation ou un acte portant interpellation suffisante, soit, si le contrat le prévoit, par la seule exigibilité de l’obligation. »

Article 1322-1 : « La mise en demeure de délivrer une chose met les risques à la charge du débiteur, s’ils n’y sont déjà. »

I. Présentation

Les articles 1322 et 1322-1 élaborent en deux dispositions un régime général de la mise en demeure en droit des obligations.

II. Analyse

Le projet consacre deux articles aux règles générales de la mise en demeure après l’avoir requise à plusieurs reprises dans le titre précédent, notamment dans le cadre des dispositions relatives à l’exécution forcée du contrat (art. 1121 et 1222), à sa résolution (art. 1225 et 1336) ou encore à la responsabilité contractuelle (art. 1231 et 1231-6). En revanche, aucune des dispositions relatives au paiement n’y fait référence de même que, inversement, aucune des deux règles propres à la mise en demeure n’évoque directement la question du paiement, de sorte que, en dépit de leur intégration dans la section relative au paiement, il est difficile de comprendre à leur lecture ce qui les relie à ce dernier.

Il est donc simplement proposé de préciser à l’article 1322 qu’il est question de mettre en demeure de payer.

III. Proposition

Article 1322 : « Le débiteur est mis en demeure de payer soit par une sommation ou un acte portant interpellation suffisante soit, si le contrat le prévoit, par la seule exigibilité de l’obligation. »

Article 1322-1 : sans changement.

Article 1323 : « Lorsque le créancier refuse, à l’échéance et sans motif légitime, de recevoir le paiement qui lui est dû ou l’empêche par son fait, le débiteur peut le mettre en demeure d’en accepter ou d’en permettre l’exécution.

La mise en demeure du créancier arrête le cours de l’intérêt dû par le débiteur et met les risques de la chose à la charge du créancier.

Elle n’interrompt pas la prescription. »

Article 1323-1 : « Lorsque l’obligation porte sur la livraison d’une chose ou sur une somme d’argent, et si l’obstruction n’a pas pris fin dans les deux mois de la mise en demeure, le débiteur peut [consigner, séquestrer ou déposer] l’objet de la prestation auprès d’un gardien professionnel.

Si la [consignation, le séquestre ou le dépôt] de la chose est impossible ou trop onéreux, le juge peut en autoriser la vente amiable ou aux enchères publiques. Déduction faite des frais de la vente, le prix en est [consigné ou mis sous séquestre].

La [consignation, le séquestre ou le dépôt] libère le débiteur à compter de leur notification au créancier. »

Article 1323-2 : « Lorsque l’obligation porte sur un autre objet, le débiteur est libéré si l’obstruction n’a pas cessé dans les deux mois de la mise en demeure. »

Article 1323-3 : « Les frais de la mise en demeure et de [la consignation, du séquestre ou du dépôt] sont à la charge du créancier. »

I. Présentation

Les articles 1323 à 1323-4 se proposent de briser la résistance du créancier au paiement en substituant au système des offres réelles un mécanisme simplifié de mise en demeure par le débiteur.

II. Analyse

Alors que les offres réelles ne pouvaient être faites que par le truchement d’un officier ministériel (art. 1258, 7°), le projet d’ordonnance, suivant en cela le projet Terré, limite le formalisme à une simple mise en demeure du créancier par le débiteur. En outre, il étend cette faculté à toute obligation, et non plus seulement aux obligations de donner. En cas d’obligation de faire, la procédure est même plus simple encore, puisqu’il n’est plus question de consignation, la seule expiration d’un délai de deux mois suivant mise en demeure suffisant à libérer le débiteur (art. 1323-2). À cet égard, les auteurs du projet sont donc allés plus loin que le projet Terré, qui subordonnait cette libération à une nouvelle notification par le débiteur. Conséquemment, ils n’ont pas non plus repris la proposition consistant à tenir cette notification comme valant résolution du contrat. Enfin, s’agissant des obligations de donner, le projet d’ordonnance, suivant cette fois les préconisations de ce groupe de travail, permet au débiteur, sur autorisation du juge, de vendre la chose pour en consigner le prix si la consignation de la chose elle-même est impossible ou trop onéreuse.

En la forme, les articles 1323-1 et 1323-3 hésitent curieusement entre les termes de consignation, séquestre et dépôt, alors que ceux de séquestre et de consignation sont les seuls appropriés, s’agissant de remettre la chose soit pour la laisser à la disposition du créancier soit pour la revendre sur autorisation de justice. Par ailleurs, l’article 1323-1 paraît employer le terme de livraison en lieu et place de celui de délivrance, puisqu’on ne « livre » pas une somme d’argent et que, pour les autres choses corporelles, le débiteur, qui est tenu de les délivrer, doit pouvoir procéder à la consignation même s’il n’est pas prévu qu’il assure au surplus la livraison jusqu’au créancier. On relève par ailleurs à la lecture de ces deux dispositions les détours terminologiques auxquels contraint l’abandon des notions d’« obligation de donner » et d’« obligation de faire », que l’on ne trouve plus dans le projet.

Tout en maintenant le dispositif prévu par le projet, il est donc simplement proposé de consolider la rédaction des articles 1323-1 et 1323-2.

III. Proposition

Article 1323 : sans changement.

Article 1323-1 : « Lorsque l’obligation consiste à délivrer une chose ou à verser une somme d’argent, le débiteur peut, si l’obstruction du créancier n’a pas pris fin dans les deux mois de sa mise en demeure, consigner l’objet de l’obligation entre les mains d’un séquestre.

Si la consignation de la chose est impossible ou trop onéreuse, le juge peut en autoriser la vente amiable ou aux enchères publiques. Le prix de la vente est consigné déduction faite des frais de la vente.

La consignation libère le débiteur à compter de la notification qui en est faite au créancier. »

Article 1323-2 : « Lorsque la prestation ne porte ni sur la délivrance d’une chose ni sur le versement d’une somme d’argent, le débiteur est libéré si l’obstruction du créancier n’a pas cessé dans un délai de deux mois suivant sa mise en demeure. »

Article 1323-3 : « Les frais de mise en demeure et de séquestre sont à la charge du créancier. »

Article 1324 : « La subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette. »

Article 1324-1 : « La subrogation a lieu également lorsque le débiteur, empruntant une somme à l’effet de payer sa dette, subroge le prêteur dans les droits du créancier avec le concours de celui–ci. En ce cas, la subrogation doit être expresse et la quittance donnée par le créancier doit indiquer l’origine des fonds.

La subrogation peut être consentie sans le concours du créancier, mais à la condition que la dette soit échue ou que le terme soit en faveur du débiteur. Il faut alors que l’acte d’emprunt et la quittance soient passés devant notaire, que dans l’acte d’emprunt il soit déclaré que la somme a été empruntée pour faire le paiement, et que dans la quittance il soit déclaré que le paiement a été fait des deniers fournis à cet effet par le nouveau créancier. »

Article 1324-2 : « La subrogation ne peut nuire au créancier lorsqu’il n’a été payé qu’en partie ; en ce cas, il peut exercer ses droits, pour ce qui lui reste dû, par préférence à celui dont il n’a reçu qu’un paiement partiel. »

Article 1324-3 : « La subrogation transmet à son bénéficiaire, dans la limite de ce qu’il a payé, la créance et ses accessoires, à l’exception des droits exclusivement attachés à la personne du créancier.

[Le subrogé n’a droit qu’à l’intérêt légal à compter d’une mise en demeure, s’il n’a convenu avec le débiteur d’un nouvel intérêt. Ces intérêts sont garantis par les sûretés attachées à la créance.] »

Article 1324-4 : « Le débiteur peut invoquer la subrogation dès qu’il en a connaissance mais elle ne peut lui être opposée que si elle lui a été notifiée.

La subrogation est opposable aux tiers dès le paiement qui la produit.

Le débiteur peut opposer au créancier subrogé les exceptions inhérentes à la dette, telles que la nullité, l’exception d’inexécution, ou la compensation de dettes connexes. Il peut également lui opposer les exceptions nées de ses rapports avec le subrogeant avant que la subrogation lui soit devenue opposable, telles que l’octroi d’un terme, la remise de dette ou la compensation de dettes non connexes. »

I. Présentation

Les articles 1324 à 1324-4 du projet refondent entièrement le régime de la subrogation en en généralisant l’application.

II. Analyse

Contrairement au premier projet élaboré par la Chancellerie en 2011, le parti adopté par le projet d’ordonnance a finalement été de maintenir la subrogation dans le cadre du paiement, qui en constitue le fait générateur, plutôt que de le déplacer, en regard de son effet, dans le chapitre relatif à la modification du rapport d’obligation, avec notamment la cession de créance, comme le proposait le projet Catala. Si ce choix peut être défendu, au regard de la section dans laquelle la subrogation s’insère (« Le paiement »), il pose en revanche problème au regard du chapitre qui le chapeaute (« L’extinction de l’obligation »), car si la subrogation procède bien d’un paiement, elle n’opère pas en revanche l’extinction de l’obligation, qui se transmet intacte au subrogé. En cela, la subrogation constitue une exception au caractère extinctif du paiement. Au demeurant, l’article 1320, qui ouvre la section, rappelle lui-même que le paiement « libère le débiteur à l’égard du créancier et éteint la dette, sauf lorsque la loi prévoit une subrogation dans les droits du créancier ». Il aurait donc été préférable de ne pas reconduire cette anomalie dans le plan du Code civil.

Ce caractère exceptionnel de la technique subrogatoire a été également perdu de vue à travers l’extension que propose d’en faire le projet. Aux termes de l’article 1324, il est prévu en effet que la subrogation légale survienne désormais de plein droit pour tout paiement effectué par un tiers à la place du débiteur. Du moins est-ce le sens qui s’infère du travail préparatoire que constitue sur ce point le projet Terré, car la formulation du texte est plutôt ambiguë. L’article 1324 dispose en effet que « La subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette. » Mais que faut-il entendre par « dès lors que » ? S’agit-il de lire « lorsque », comme il en va le plus souvent en droit, ce qui impliquerait que le paiement du tiers ne libère pas systématiquement le débiteur. Mais il resterait alors à préciser à quelle condition ce paiement opère libération. Ou faut-il alors comprendre, pour éviter la difficulté qui précède, que la subrogation opère au profit du celui qui paie « puisque » son paiement libère le débiteur ? En ce cas, la libération présenterait un caractère systématique, sans doute plus conforme à l’intention des auteurs. Si bien que l’alternative est en définitive la suivante : soit il manque l’essentiel à cette disposition, qui n’indique pas à quelle condition opère la libération dont dépend la subrogation ; soit il n’y manque rien, et en ce cas le projet consacre une dangereuse généralisation du bénéfice de subrogation.

La limitation posée par le Code civil aux cas de subrogation légale a pour principal intérêt d’éviter que n’importe quel tiers puisse s’insinuer dans un rapport d’obligation auquel il est totalement étranger pour suppléer à l’inaction du créancier. Il est de la liberté des parties, et du créancier singulièrement, de décider si elles entendent ou non procéder au paiement. C’est la raison pour laquelle l’actuel article 1250 ne permet au tiers penitus extranei de s’immiscer dans ce rapport que par le consentement exprès soit du créancier (1°), soit du débiteur (2°). En l’absence de consentement de l’une ou l’autre partie, la subrogation n’opère de plein droit qu’au profit de celui qui est déjà créancier du débiteur (art. 1251, 1°), ou déjà débiteur du créancier (art. 1251, 2° à 5°). À défaut de cette exigence minimale, on permettrait à tout un chacun, par exemple concurrent commercial du débiteur, de se substituer au créancier pour réaliser ses sûretés et pratiquer à sa place les voies d’exécution forcée que celui-ci avait renoncé à exercer. Une telle solution revient à introduire dans les milieux d’affaires, mais aussi ailleurs, de puissants moyens de pression, de nature à permettre aux acteurs les plus importants de nuire efficacement à leurs concurrents, sans même avoir à obtenir le consentement des partenaires de ces derniers. Tout ce qui est nécessaire pour obtenir cet effet subrogatoire, c’est que le créancier ne refuse pas le paiement. On en vient ainsi à transformer l’exigence de consentement exprès en une simple condition d’inaction : là où le silence du créancier ne valait rien d’autre que réception du paiement, il suffirait demain à transmettre en outre son obligation au solvens. Or, si l’on peut autoriser un tiers à payer la dette d’autrui (art. 1320-1 proj.), et lui conférer en ce cas une action personnelle contre le débiteur libéré en recréant sur sa tête une obligation nouvelle (C. civ., art. 1236, in fine), fondée notamment sur l’enrichissement injustifié ou la gestion d’affaire (v. supra), c’est une autre chose que de lui permettre d’accaparer de son propre fait la créance d’un tiers, avec tous ses accessoires et toutes ses sûretés.

Outre ce qui précède, l’article 1324-4 s’attache à indiquer les exceptions que le débiteur est en droit d’opposer au créancier subrogé. Plutôt que de s’en tenir à la seule qualification traditionnelle d’exception inhérente à la dette, qui s’offre certes à l’interprétation des juges, le projet a estimé devoir, d’une part, donner des exemples d’exceptions inhérentes à la dette et, d’autre part, y associer d’autres hypothèses qui tiendraient en des exceptions postérieures à la naissance de la dette et comme telles, faut-il comprendre, non inhérentes à celle-ci. Cette rédaction s’expose ainsi à une double critique.

En premier lieu, l’opposition entre exception inhérente à la dette et exception purement personnelle au débiteur permet de comprendre qu’une exception est inhérente à la dette lorsqu’elle tient à l’obligation elle-même, prise en tant qu’objet juridique, indépendamment de toute considération relative aux titulaires qui en sont les sujets. C’est ce qui justifie que la nullité absolue de l’obligation lui soit naturellement inhérente, tandis que la nullité relative, qu’elle tienne par exemple à l’incapacité du débiteur (C. civ., art. 1289) ou au vice de son consentement (Ch. mixte, 8 juin 2007, Bull., CM, n° 5), devient personnelle à ce dernier en tant qu’elle regarde une volonté dont l’auteur est seul a pouvoir se prévaloir au moyen d’une action qui lui est strictement attitrée. En revanche, le projet maintient justement l’exception d’inexécution et l’exception de compensation de dettes connexes parmi les exceptions inhérentes à la dette car, même si elles dépendent d’un rapport de réciprocité avec une autre obligation, ce rapport lui-même est bien inhérent à la dette. C’est lui par exemple qui justifie qu’une obligation puisse être résolue en cas d’inexécution de celle qui lui sert de contrepartie.

En second lieu, il importe peu, pour que l’exception soit qualifiée d’inhérente à la dette, qu’elle naisse en même temps ou après cette dernière, les parties étant parfaitement libres de modifier la teneur de leurs obligations. Par suite, il n’y a pas lieu de distinguer, comme le fait l’article 1324-4, l’octroi d’un terme suspensif ou la remise de dette des autres exceptions inhérentes à la dette. Par contre, la compensation de dettes non connexes est toujours personnelle au débiteur, dès lors qu’elle n’opère pas de plein droit et que la créance réciproque est sans lien avec celle transmise au subrogé. Au demeurant, il est bien difficile d’admettre que le débiteur puisse opposer au subrogé l’existence d’une créance sur le subrogeant dépourvue de tout rapport avec l’obligation dans laquelle la subrogation est intervenue.

Enfin, d’un point de vue purement rédactionnel, le second alinéa de l’article 1324-1 mériterait de préciser que la subrogation soumise aux conditions de forme qu’il prévoit n’est que celle visée au premier alinéa, c’est-à-dire non pas « La subrogation » en général, mais « Cette subrogation ».

Au vu de ces observations, il est proposé de déplacer la subrogation dans le chapitre relatif à la modification du rapport d’obligation, de limiter le champ d’application de la subrogation légale au seul cas où elle procède d’un paiement fait par un autre créancier du débiteur ou par un autre débiteur du créancier (art. 1324), d’ajouter en conséquence que la subrogation conventionnelle peut également intervenir du consentement exprès du créancier subrogeant (art. 1324-1 nouv.), et de réorganiser les exemples donnés des exceptions inhérentes à la dette (art. 1324-4).

III. Proposition

[Articles à renuméroter après déplacement sous le chapitre relatif à la modification du rapport d’obligation]

Article 1324 : « La subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui paie à la place du débiteur s’il en est lui aussi le créancier ou s’il est également obligé à la dette qu’il a payé. »

Article 1324-1 [nouveau] : « La subrogation est conventionnelle lorsque le créancier subroge expressément dans ses droits celui dont il reçoit le paiement. »

Article 1324-2 : « La subrogation conventionnelle a lieu également lorsque le débiteur, empruntant une somme à l’effet de payer sa dette, subroge le prêteur dans les droits du créancier avec le concours de celui–ci. En ce cas, la subrogation doit être expresse et la quittance donnée par le créancier doit indiquer l’origine des fonds.

Cette subrogation peut être consentie sans le concours du créancier, mais à la condition que la dette soit échue ou que le terme soit en faveur du débiteur. Il faut alors que l’acte d’emprunt et la quittance soient passés devant notaire, que dans l’acte d’emprunt il soit déclaré que la somme a été empruntée pour faire le paiement, et que dans la quittance il soit déclaré que le paiement a été fait des deniers fournis à cet effet par le nouveau créancier. »

Articles 1324-3 et 1324-4 : reprise conforme des articles 1324-2 et 1324-3 du projet.

Article 1324-5 : « Le débiteur peut invoquer la subrogation dès qu’il en a connaissance, mais elle ne peut lui être opposée que si elle lui a été notifiée.

La subrogation est opposable aux tiers dès le paiement qui la produit.

Le débiteur peut opposer au créancier subrogé toutes les exceptions inhérentes à la dette, telles que notamment la nullité absolue, la remise de dette, l’octroi d’un terme, l’exception d’inexécution ou encore la compensation de dettes connexes. »

Section 2 – La compensation
(art. 1325 à 1327)

« Sous-section 1 – Règles générales »

Article 1325 : « La compensation est l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes. »

Article 1325-1 : « Sous réserve des dispositions prévues à la sous–section suivante, la compensation n’a lieu qu’entre deux obligations fongibles, liquides et exigibles.

Sont fongibles les obligations de somme d’argent, même en différentes devises, pourvu qu’elles soient convertibles, ou celles qui ont pour objet une quantité de choses de même genre. »

Article 1325-2 : « Les créances insaisissables et les obligations de restitution d’un dépôt, d’un prêt à usage ou d’une chose dont le propriétaire a été injustement dépouillé ne sont compensables que si le créancier y consent. »

Article 1325-3 : « Le délai de grâce ne fait pas obstacle à la compensation. »

Article 1325-4 : « S’il y a plusieurs dettes compensables, les règles d’imputation des paiements sont transposables. »

Article 1325-5 : « La compensation éteint les obligations à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies. »

Article 1325-6 : « Le débiteur qui a accepté sans réserve la cession de la créance ne peut opposer au cessionnaire la compensation qu’il eût pu opposer au cédant. »

Article 1325-7 : « Le codébiteur solidaire et la caution peuvent opposer au créancier la compensation intervenue entre ce dernier et leur coobligé. »

Article 1325-8 : « La compensation ne préjudicie pas aux droits acquis par des tiers. »

« Sous-section 2 – Règles particulières »

« § 1 – Règles particulières à la compensation judiciaire »

Article 1326 : « La compensation peut être prononcée en justice, même si l’une des obligations n’est pas encore liquide ou exigible. A moins qu’il n’en soit décidé autrement, la compensation produit alors ses effets à la date de la décision. »

Article 1326-1 : « Le juge ne peut refuser la compensation de dettes connexes aux seuls motifs que l’une des obligations ne serait pas liquide ou exigible.

Dans ce cas, la compensation est réputée s’être produite au jour où les créances ont coexisté.

Dans le même cas, l’acquisition de droits par un tiers sur l’une des obligations n’empêche pas son débiteur d’opposer la compensation. »

« § 2 – Règles particulières à la compensation conventionnelle »

Article 1327 : « Les parties peuvent librement convenir d’éteindre toutes obligations réciproques, présentes ou futures, par une compensation ; celle-ci prend effet à la date de leur accord ou, s’il s’agit d’obligations futures, à celle de leur coexistence. »

I. Présentation

Les articles 1325 à 1327 traitent de la compensation en apportant là encore quelques innovations.

II. Analyse

Le projet subdivise la matière entre les règles générales, d’une part, visant la compensation légale et les règles communes à toute compensation, et les règles particulières, d’autre part, relatives à la compensation judiciaire et à la compensation conventionnelle.

En adoptant la rédaction du projet Terré, selon laquelle « La compensation éteint les obligations à due concurrence à la date où ses conditions se trouvent réunies », l’article 1325-5 du projet paraît en adopter également les ressorts, consistant à condamner l’interprétation contra legem que la jurisprudence a faite de l’article 1290 du Code civil en déniant tout effet de plein droit à la compensation légale (v. Pour une réforme du régime général des obligations, Dalloz, 2013, p.105). Ce faisant, le projet aurait donc adopté un parti opposé à celui du projet Catala, qui stigmatisait pour sa part l’erreur historique dont procéderait la formule de l’article 1290 (v. Avant-projet de réforme du droit des obligations, Doc. fr., 2006, p. 57). Toutefois, en en disant plutôt moins que le Code de 1804 sur ce point, il n’est pas sûr que cette tentative de mise au pas s’avère bien efficace. Ce qui, au bout du compte, tend même à faire douter de l’intention véritable des auteurs du projet sur ce point.

Par ailleurs, la rédaction de certaines dispositions de cette première sous-section pourrait être améliorée. Ainsi de l’article 1325-4, qui dispose que les règles d’imputation des paiements sont « transposables » en cas de pluralité de dettes compensables, alors que l’idée de transposition, qui suppose que l’application des règles transposées n’intervienne que mutatis mutandis, le cas échéant au terme d’un raisonnement par analogie, laisse une marge d’appréciation qui n’est peut-être pas dans l’intention des auteurs du projet de conférer au juge. Quant à l’article 1325-6, il contient une faute évidente de concordance des temps entre une proposition principale au présent de l’indicatif et une proposition subordonnée qu’il a été choisi de conjuguer au plus-que-parfait du conditionnel (!). Enfin, la mention à l’article 1325-8 des « droits acquis pas des tiers » serait avantageusement remplacée par celle de « droit acquis par les tiers ». Hormis ces quelques corrections de forme, l’essentiel se trouve cependant dans la partie spéciale, relative notamment à la compensation judiciaire.

Les articles 1326 et 1326-1 visent les cas dans lesquels l’une des deux dettes certaines, fongibles et réciproques n’est pas encore exigible ou liquide. Dans cette circonstance, il est distingué entre l’hypothèse où les deux dettes ne sont pas connexes (art. 1326), et celle au contraire dans laquelle elles sont nées de la même opération (art. 1326-1). En cas de dettes connexes, le projet prévoit que la demande de compensation s’impose au juge et que l’extinction opère alors au jour où les deux dettes ont coexisté. En cas de dettes non connexes au contraire, le juge resterait libre de sa décision et, en l’absence de précision contraire de sa part, la compensation prononcée produirait son effet au jour du jugement.

Ce mécanisme appelle au moins deux observations. En premier lieu, la solution consistant à choisir une date d’effet différente pour l’une ou l’autre de ces deux situations peut ne pas convaincre. Si l’on comprend que, suivant en cela le droit positif, la connexité existant entre les deux dettes fasse peser une obligation sur le juge de prononcer la déchéance du terme et de liquider la dette, on ne voit pas en revanche en quoi elle justifie de faire rétroagir la compensation qui en résulte. Dans tous les cas, les conditions de la compensation, qui tiennent dans l’exigibilité et la liquidité de deux dettes fongibles et réciproques, ne seront apparues qu’avec le jugement, de sorte que son effet ne peut logiquement se produire qu’à cette date, sans rétroactivité possible pour une époque où ces conditions n’étaient pas remplies. Il n’y a donc rien à concéder sur ce point à la jurisprudence qui prétend pour sa part faire rétroagir cet effet à la date d’exigibilité de la première des deux créances (Com., 20 févr. 2007, Bull., IV, n° 50). Tout au plus permettra-t-on au juge de choisir une autre date s’il lui apparaît que les circonstances le justifient.

En second lieu, le projet reprend la formulation traditionnelle selon laquelle la compensation judiciaire concerne le cas dans lequel l’une des deux obligations n’est pas encore liquide ou exigible. À la lettre, il serait donc exigé, d’une part, que l’une des deux obligations fût déjà liquide et exigible, et, d’autre part, que la seconde fût également soit liquide, soit exigible. Or aucune de ces deux exigences n’est en réalité requise. C’est évident de la seconde d’entre elles, n’étant pas discuté que la compensation judiciaire puisse intervenir sur une obligation qui n’est ni exigible ni liquide, le juge disposant de pouvoir de provoquer tout à la fois l’une et l’autre de ces deux conditions. Mais on peut penser que la première exigence n’est pas plus avérée. Rien ne paraît empêcher en effet que l’exception de compensation soit opposée à une demande consistant pour le créancier à obtenir le paiement d’une obligation dont il réclame la déchéance du terme et dont le montant reste à déterminer.

Il est donc proposé de procéder à quelques améliorations de style sur certaines dispositions de la sous-section 1, d’adopter une rédaction plus précise des conditions de la compensation judiciaire, et de situer ses effets à une seule et même date que les dettes soient ou non connexes.

III. Proposition

Articles 1325 à 1325-3 : sans changement [sauf le renvoi « aux paragraphes suivants » plutôt qu’« à la sous-section suivante »].

Article 1325-4 : « Si plusieurs dettes sont susceptibles de compensation, les règles d’imputation des paiements leur sont applicables. »

Article 1325-5 : sans changement.

Article 1325-6 : « Le débiteur qui a accepté sans réserve la cession de la créance ne peut opposer au cessionnaire la compensation qu’il aurait pu opposer au cédant. »

Article 1325-7 : sans changement.

Article 1325-8 : « La compensation ne préjudicie pas aux droits acquis par les tiers. »

Article 1326 : « La compensation de deux dettes certaines, fongibles et réciproques peut être prononcée en justice même si elles ne sont encore ni liquides ni exigibles.

Lorsque les deux dettes sont au surplus connexes, le juge qui en est requis est tenu de les liquider et de les rendre exigibles afin de permettre leur compensation.

Dans tous les cas, et à moins qu’il en soit décidé autrement, la compensation judiciaire produit son effet au jour de la décision. »

Article 1326-1 : suppression [pour le dernier alinéa, v. déjà art. 1325-8].

Article 1327 : sans changement.

Section 3 – L’impossibilité d’exécution
(art. 1328 et 1328-1)

Article 1328 : « L’impossibilité d’exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu’elle procède d’un cas de force majeure et qu’elle est irrémédiable, à moins qu’il n’ait convenu de s’en charger ou qu’il ait été mis en demeure. »

Article 1328-1 : « Lorsque l’impossibilité d’exécuter résulte de la perte de la chose due, le débiteur mis en demeure est néanmoins libéré s’il prouve que la perte se serait pareillement produite si l’obligation avait été exécutée.

Il est cependant tenu de céder à son créancier les droits et actions attachés à la chose. »

I. Présentation

Procédant par extension à partir de l’hypothèse de perte de la chose due, visée par les articles 1302 et 1303 du Code de 1804, le projet d’ordonnance fait de l’impossibilité d’exécuter une autre cause d’extinction des obligations.

II. Analyse

En soi, l’analyse consistant à voir dans l’impossibilité d’exécuter une cause d’extinction des obligations n’est pas contestable, mais, tel que le conçoit le projet, on peut se demander si elle ne procède pas d’une erreur de perspective.

L’extinction de l’obligation devenue impossible ne dépend pas du point de savoir si cette impossibilité s’est imposée ou non au débiteur. Dans tous les cas, l’obligation est frappée de caducité au jour où son exécution est devenue définitivement impossible (rappr. art. 1186 proj.). La notion de force majeure n’intervient dans le débat qu’à l’effet de déterminer si le débiteur peut être tenu ou non responsable de cette caducité, et devoir en conséquence des dommages-intérêts en réparation du préjudice qu’elle aura éventuellement causé au créancier. Pour la même raison, la condition de mise en demeure, parce qu’elle ne concerne que la responsabilité du débiteur, est elle aussi étrangère à la question de l’extinction de sa dette. Le projet gagnerait donc à ne pas prolonger la confusion entretenue sur ce point par l’article 1302 du Code civil.

Ainsi, à s’en tenir à l’actuelle rédaction de l’article 1328, on peut se demander à quoi aboutirait une interprétation a contrario de cette disposition : si l’impossibilité ne résulte pas d’un cas de force majeure, le débiteur resterait tenu… d’exécuter une obligation impossible ? Il n’y a même pas lieu de considérer qu’il pourrait s’agir en ce cas de forcer à une exécution par équivalent, une telle solution revenant à méconnaître le jeu de la caducité. Si un équivalent doit être fourni, ce ne pourra être qu’en application des règles qui gouvernent la responsabilité, c’est-à-dire à hauteur du préjudice qui devra être établi par le créancier.

Il est donc proposé de ne faire référence à la force majeure et à la mise en demeure dans l’article 1328 que pour évoquer la responsabilité éventuelle du débiteur, et de modifier dans le même sens l’article 1328-1 du projet.

III. Proposition

Article 1328 :

« L’impossibilité d’exécuter la prestation éteint l’obligation a due concurrence lorsqu’elle est irrémédiable.

Toutefois, cette impossibilité engage la responsabilité du débiteur si elle ne procède pas d’un cas de force majeure ou si elle est survenue après sa mise en demeure. »

Article 1328-1 :

« Lorsque l’impossibilité d’exécuter la prestation résulte de la perte de la chose due, et lors même qu’il serait en demeure, le débiteur n’en est pas moins libéré de toute obligation s’il prouve que la perte se serait pareillement produite en cas d’exécution.

Il est seulement tenu en ce cas de céder à son créancier les droits et actions attachés à la chose. »

Section 4 – La remise de dette
(art. 1329 à 1329-2)

Article 1329 : « La remise de dette est le contrat par lequel le créancier libère le débiteur de son obligation. »

Article 1329-1 : « La remise de dette consentie à l’un des codébiteurs solidaires libère les autres à concurrence de sa part.

La remise de dette faite par l’un seulement des créanciers solidaires ne libère le débiteur que pour la part de ce créancier. »

Article 1329-2 : « La remise de dette accordée au débiteur principal libère les cautions.

La remise consentie à l’une des cautions solidaires libère les autres à concurrence de sa part.

Ce que le créancier a reçu d’une caution pour la décharge de son cautionnement doit être imputé sur la dette et tourner à la décharge du débiteur principal. Les autres cautions ne restent tenues que déduction faite de la part de la caution libérée ou de la valeur fournie si elle excède cette part. »

I. Présentation

Le projet d’ordonnance consacre trois articles à la remise de dette en vue d’affirmer sa nature conventionnelle et de limiter ses effets sur les codébiteurs solidaires.

II. Analyse

La première innovation du projet consiste ici à trancher la question du fondement de la remise de dette en venant préciser que celle-ci est toujours de nature conventionnelle (art. 1329). Ce faisant, les auteurs du projet consacrent donc l’idée généralement admise selon laquelle le créancier ne peut imposer la disparition de l’obligation à son débiteur, celui-ci pouvant avoir en effet des raisons personnelles d’exécuter la prestation due ou, plus généralement, de supporter l’existence de la dette. Il est par ailleurs souvent rappelé à son soutien que, la libération valant donation indirecte au profit du débiteur, il est naturel qu’elle requière, comme toute autre, le consentement du donataire. À quoi l’on peut encore ajouter que la faculté reconnue au débiteur de forcer au paiement contre la volonté du créancier, aujourd’hui par l’émission d’offres réelles et demain par sa mise en demeure (art. 1323 et s. proj., supra), tendrait à démontrer que le créancier ne peut pas supprimer l’obligation de son seul chef, puisqu’il lui suffirait sinon de procéder à une simple remise de dette pour empêcher le paiement.

En dépit de sa logique apparente, la prohibition des remises par volonté unilatérale repose en réalité sur un fondement très incertain. Contrairement en effet à ce que présuppose le raisonnement qui précède, le droit des obligations a toujours admis qu’une dette puisse disparaître par la volonté du créancier, sans la volonté du débiteur. C’est ce que le droit romain connaissait déjà sous les traits de l’expromissio, et c’est la même institution que l’on retrouve aujourd’hui à l’actuel article 1271, 2°, du Code civil sous la qualification de novation par substitution de débiteur. Tel est bien en effet l’objet de cette novation qui, à la différence de la délégation, ne requiert pas la volonté du premier débiteur pour opérer. Ainsi l’article 1274 du Code civil, comme demain l’article 1344 du projet (v. infra), prennent-ils soin de préciser que « La novation par la substitution d’un nouveau débiteur peut s’opérer sans le concours du premier débiteur. » Sans doute, dans ce cas, une nouvelle obligation est-elle immédiatement reconstituée sur la tête du débiteur substitué. Mais il reste, ce qui importe seul ici, que la première obligation a disparu sans la volonté de son débiteur. Au demeurant, il suffirait aux deux parties à la novation de s’entendre pour effacer aussitôt l’obligation ainsi reconstituée pour que l’on parvienne à une situation en tout point similaire, du point de vue du débiteur, à celle d’une remise de dette réalisée par la seule volonté du créancier. Pourquoi, dans ces conditions, exiger l’intervention purement formelle d’un tiers pour procéder à la même opération ?

Quant à l’argument tiré des articles 1285 et 1287 du Code civil, il n’est guère décisif : s’il est prévu que la remise soit conventionnelle pour que les coobligés puissent s’en prévaloir, par présomption de la volonté des parties à l’acte, cela ne signifie qu’elle ne puisse être que conventionnelle. Simplement, lorsqu’elle ne procède que de la volonté du créancier et qu’elle ne vise que l’un de ses débiteurs, il n’y a pas lieu d’en faire profiter les autres au-delà de la part libérée. Un raisonnement du même ordre s’applique à l’article 1287 : le fait que la caution puisse se prévaloir d’une remise conventionnelle ne l’empêche pas de se prévaloir aussi d’une remise unilatérale. Simplement, lorsqu’elle n’est qu’unilatérale, on présumera plutôt la renonciation à agir, qui ne concerne pas le fond du droit, et qui ne libère donc pas les coobligés accessoires.

Où l’on aboutirait en définitive au seul critère qui importe : la certitude de la volonté abdicative du créancier, laquelle, comme toute renonciation, ne se présume pas. La formalisation d’un accord en ce sens avec le débiteur peut sans doute permettre d’assurer cette volonté. Mais il suffirait que le créancier manifeste une volonté expresse en même sens pour que l’on fasse produire à sa déclaration le même effet, en l’absence même de tout accord du débiteur. Si l’on s’y refuse, il faut alors être conséquent et supprimer l’expromission du Code civil. Si vraiment la remise de dette ne peut être que conventionnelle, il faut exiger de la même façon l’accord du débiteur à sa substitution lorsque celle-ci opère novation de l’obligation (v. art. 1341 et s., infra).

Au-delà de cette difficulté, le projet d’ordonnance supprime la présomption de remise de dette que les articles 1282 et 1283 du Code civil tendent à déduire de la remise du titre au débiteur par le créancier. Ainsi qu’on l’a vu en effet, cette remise du titre ne constituerait désormais plus qu’une présomption de paiement (v. art. 1320-9, supra). Or, pour les raisons déjà évoquées plus haut (ibid.), il y aurait lieu de rétablir ici la présomption de remise de dette. Au demeurant, d’un point de vue purement matériel, la remise de son titre au débiteur ne figure rien d’autre que la remise de l’acte représentant la créance, c’est-à-dire très exactement une remise de dette. Il est certes possible que le choix des auteurs du projet se soit justifié ici par la volonté de reconnaître à la remise de dette un caractère nécessairement conventionnel : considérant que la remise matérielle du titre est bien souvent unilatérale, pouvant même ne requérir aucune intervention du débiteur (par exemple si elle se fait par envoi postal), il n’aurait plus été envisageable d’y voir une remise de dette, qui supposerait l’accord du débiteur. Mais au fond, même en ce cas, il serait permis au juge de décider si, au regard des circonstances, le silence conservé par le débiteur ne doit pas faire présumer son acceptation (art. 1121 proj.). De toute façon, il est parfaitement possible de poser une exception au caractère conventionnel de la remise de dette lorsqu’elle procède d’une remise matérielle du titre. Évidemment, le problème n’existe plus si l’on renonce à exiger que la remise de dette soit nécessairement conventionnelle, plus rien ne faisant obstacle à ce que l’on tire en ce cas de la remise du titre au débiteur une présomption de remise de dette unilatérale par le créancier.

À la faveur de ces observations, il semble néanmoins préférable de maintenir le caractère conventionnel de la remise de dette, et de supprimer en conséquence toute possibilité de procéder à une novation de l’obligation sans recueillir le consentement du débiteur substitué (v. art. 1341 et s., infra). Entre l’un et l’autre de ces deux mécanismes contradictoires, il convient sans doute en effet de privilégier les solutions acquises au bénéfice de celui qui est le mieux connu, quitte à renoncer ce faisant à une institution fossile depuis longtemps supplantée par la délégation.

S’agissant de la question des effets de la remise de dette sur les codébiteurs solidaires, on observe que, suivant en cela le projet Terré (art. 105), les rédacteurs du projet d’ordonnance ont fait le choix de renverser la présomption posée depuis 1804 à l’article 1285 du Code civil, en indiquant que, désormais, la remise de dette faite à l’un des débiteurs ne profiterait plus à ses codébiteurs. L’argument invoqué à cet effet dans le projet Terré, tiré de ce que cette solution nouvelle correspondrait au plerumque fit, peut ne pas convaincre, étant tout aussi probable, en l’absence d’indication contraire, que, en renonçant à son droit, le créancier ait entendu y renoncer à l’égard de tous. La libération par remise du titre au débiteur fait d’ailleurs difficulté, puisque la survie de l’obligation postule du créancier qu’il poursuive ses autres débiteurs après s’être justement dessaisi de la preuve de sa créance. Et s’il a pris soin de conserver une copie de son titre, c’est bien qu’il a spécialement réservé son recours contre les codébiteurs, en adoptant pour ce faire un comportement significatif sans lequel la présomption allait à une remise totale. Il est vrai que le projet contourne cette difficulté en énonçant que la remise du titre à l’un des débiteurs solidaires libérerait cette fois l’ensemble des codébiteurs (art. 1320-9). Mais n’est-il pas alors curieux de conférer ainsi une portée différente à la libération selon qu’elle procède d’une remise de dette ou d’une remise du titre qui la représente ?

L’incohérence dépasse d’ailleurs de loin cette seule hypothèse puisqu’on la retrouve par exemple au sujet de la novation qui, bien que convenue avec un seul débiteur, produit son effet extinctif à l’égard de tous (art. 1347, al. 1er, proj.). Il faut bien déduire en effet de cette autre disposition que l’on ne peut tirer aucune objection du caractère conventionnel de la remise de dette, dont il s’agirait de conclure que la convention ne pourrait valoir qu’à l’égard du cocontractant, puisque cette même convention bipartite vaut bien, lorsqu’elle est novatoire, à l’égard des codébiteurs non parties à l’accord. Au demeurant, cela fait deux cents ans que les articles 1281 et 1285 du Code civil étendent à tous les coobligés à la dette les effets des conventions extinctives conclues avec un seul débiteur. Et il faut encore évoquer l’article 1315 du projet, aux termes duquel la remise de solidarité consentie à un seul des codébiteurs ne profite qu’à celui-ci. Comment expliquer que la remise de dette faite sans réserve puisse produire le même effet relatif que la simple remise de solidarité ? Quel serait même le sens de cette distinction si les conséquences en étaient exactement les mêmes ? En empruntant à la fois au projet Catala pour la remise de solidarité (art. 1209), et au projet Terré pour la remise de dette (art. 105), les dispositions du projet d’ordonnance provoque une nouvelle fois l’incompréhension. On peut bien concevoir que les codébiteurs solidaires puissent rester obligés en cas de libération de l’un d’eux par confusion dans la personne du créancier (art. 1330-1), puisque, cette exception opérant en la personne même du débiteur, la confusion se mesure nécessairement à hauteur de la quote-part qu’il supportait. Il y a là une exception que l’on qualifie de simplement personnelle, comme le serait celle née de la remise de solidarité faite à l’un seulement des codébiteurs. Mais il en va bien autrement de la cause d’extinction qui tient dans la remise consentie par le créancier et qui, comme celle née de la novation de l’obligation (art. 1347) ou de la compensation (art. 1325-7), s’analyse comme une exception inhérente à la dette.

Au fond, la seule cohérence que l’on puisse reconnaître au projet sur ce point tient dans le fait qu’il aligne ce faisant la solution applicable au cas de solidarité passive à celle valant pour la solidarité active, pour laquelle l’article 1198, alinéa 2, du Code civil, reconduit en substance à l’article 1329-1, alinéa 2, du projet, prévoit que la remise consentie par l’un des créanciers solidaires ne libère le débiteur que pour la part de ce créancier. Mais, précisément, il n’est pas sûr que cette solution propre à la solidarité active, qui se justifie par la volonté d’éviter que l’un des créanciers vienne nuire seul aux intérêts des autres, mérite d’être préservée, si l’on veut bien avoir égard au fait que celui qui procéderait à une remise en omettant de réserver le droit des autres créanciers engagerait assurément sa responsabilité à leur égard, et succéderait ainsi par ce biais à l’obligation du débiteur libéré. Pour la même raison, la novation ou la transaction consentie par l’un des créanciers solidaires devrait pouvoir être opposée à tous les autres.

Quant à l’article 1329-2 du projet, qui reprend les articles 1287 et 1288 du Code civil en disposant spécialement pour les cautions solidaires, il n’apporte aucune précision utile, se bornant soit à faire application des règles valant pour tous codébiteurs solidaires (al. 2), soit à introduire des dispositions qui, relevant entièrement du droit des sûretés (al. 1er), sont sans rapport apparent avec la remise de dette (al. 3).

En définitive, il est proposé de modifier en la forme la définition de la remise de dette ; de préciser, pour faire suite à la suppression de l’article 1320-9 du projet, que la remise du titre fait présumer la remise de dette ; de revenir au principe selon lequel la remise de dette consentie par le créancier libère tous les codébiteurs solidaires ; d’adopter une solution identique lorsque la remise est consentie par l’un des créanciers solidaires ; et de supprimer les dispositions relatives aux cautions solidaires.

III. Proposition

Article 1329 : « La remise de dette convenue entre le créancier et le débiteur libère ce dernier de son obligation. »

Article 1329-1 [nouveau] : « La remise volontaire par le créancier au débiteur du titre original de sa créance ou de sa copie exécutoire vaut présomption simple de remise de dette. »

Article 1329-2 [art. 1329-1 modifié] : « La remise de dette consentie à l’un des codébiteurs solidaires libère les autres, à moins que le créancier ait expressément réservé ses droits contre eux, auquel cas ces derniers restent tenus de la dette diminuée de la seule part du codébiteur libéré.

La remise de dette consentie par l’un des créanciers solidaires libère le débiteur de la totalité de la dette, à moins que les droits des autres créanciers aient été expressément réservés. »

Article 1329-2 proj. : suppression.

Section 5 – La confusion
(art. 1330 et 1330-1)

Article 1330 : « La confusion résulte de la réunion des qualités de créancier et de débiteur dans la même personne. Elle éteint la créance et ses accessoires, sous réserve des droits acquis par ou contre des tiers. »

Article 1330-1 : « Lorsqu’il y a solidarité entre plusieurs débiteurs ou entre plusieurs créanciers, et que la confusion ne concerne que l’un d’eux, l’extinction n’a lieu, à l’égard des autres, que pour sa part.

Lorsque la confusion concerne une obligation cautionnée, la caution est libérée. Lorsque la confusion concerne l’obligation d’une des cautions, les autres sont libérées à concurrence de sa part. »

I. Présentation

Ces deux articles du projet reprennent pour l’essentiel les dispositions actuelles des articles 1300 et 1301 du Code civil relatifs à l’extinction de l’obligation par confusion de la personne du débiteur dans celle du créancier.

II. Analyse

On ne trouvera dans le projet aucune remise à plat, qui aurait pourtant été bienvenue, du régime de la confusion, l’article 1330 se bornant à reconduire son effet extinctif tout en précisant, suivant en cela la jurisprudence, que cet effet ne porte pas atteinte aux « droits acquis par ou contre des tiers ». De ce point de vue, le projet d’ordonnance, qui renouvelle pourtant entièrement l’actuelle rédaction du Code civil en adoptant celle du projet Terré, innove donc nettement moins que ne le faisait le projet Catala – et après lui encore le projet initial de la Chancellerie diffusé en 2011 – en n’ajoutant qu’un seul mot à l’article 1300, à savoir que l’extinction opère « définitivement ». Le nouvel article 1330 renonce ainsi à faire de la confusion une véritable cause d’extinction des obligations, et consacre l’insécurité juridique née d’une jurisprudence qui, pour faire obstacle à cet effet, invoque alternativement le caractère seulement temporaire de l’extinction ou sa nature seulement relative à l’égard des tiers.

Il est proposé de mettre un terme aux incertitudes de la jurisprudence en précisant que la confusion entraîne une véritable extinction de la créance, comme telle définitive, sans qu’il soit besoin de réserver expressément le droit des tiers dont les intérêts, lorsqu’ils le justifient, peuvent être préservés par d’autres moyens (volonté des parties à l’acte emportant confusion, règles de liquidation des successions ou des régimes matrimoniaux, fraude, etc.).

III. Proposition

Article 1330 :

« Lorsque les qualités de créancier et de débiteur se réunissent dans la même personne, il se produit une confusion qui éteint définitivement les deux créances. »

Article 1330-1 :

« Lorsque, en cas de solidarité, la confusion ne concerne que l’un des débiteurs ou créanciers solidaires, l’extinction n’a lieu que pour sa part à l’égard des autres.

La confusion qui s’opère dans la personne du débiteur principal profite à ses cautions. Lorsque la confusion ne concerne que l’obligation d’une des cautions, les autres sont libérées à concurrence de sa part. »

Chapitre III – Les actions ouvertes au créancier
(art. 1331 à 1331-3)

Article 1331 : « [Le créancier a droit à l’exécution de l’obligation ; il peut y contraindre le débiteur dans les conditions prévues par la loi.] »

Article 1331-1 : « Lorsque l’inaction du débiteur compromet les intérêts du créancier, celui–ci peut, au nom du débiteur, exercer tous les droits et actions de celui–ci, à l’exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne. »

Article 1331-2 : « Le créancier peut aussi agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d’établir, s’il s’agit d’un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude. »

Article 1331-3 : « Dans certains cas déterminés par la loi, le créancier peut agir directement en paiement de sa créance contre un débiteur de son débiteur. »

I. Présentation

Au sein d’un chapitre consacré aux actions ouvertes au créancier, le projet évoque successivement l’action personnelle, l’action oblique, l’action paulienne et l’action directe.

II. Analyse

L’action oblique vise, on le sait, à autoriser le créancier à agir en lieu et place de son débiteur à l’effet de permettre à ce dernier de recouvrer un droit qui profite au premier. Ce faisant, et contrairement à ce qu’indique l’article 1331-1 du projet, le créancier n’agit pas « au nom » du débiteur, ce qui heurterait de front le principe selon lequel Nul ne plaide par procureur, mais simplement « pour son compte ». Par ailleurs, en sa forme, la rédaction de cet article présente un autre vice : le redoublement du pronom « celui-ci » dans la même proposition est particulièrement maladroit, ce d’autant que l’une et l’autre de ses deux occurrences ne renvoient pas à la même personne (« celui-ci peut, au nom du débiteur, exercer tous les droits et actions de celui-ci »).

Le mécanisme de l’action paulienne est pour sa part appliqué à toute hypothèse dans laquelle le débiteur accomplit un acte juridique en fraude des droits de son créancier. Sur ce point, et contrairement à celle de l’article qui précède, la rédaction nouvelle retenue par le projet est en tout point remarquable, rappelant dans une phrase simplement construite les différentes conditions qui subordonnent cette action.

On considérera peut-être que sur l’un et l’autre des ces deux points, le projet d’ordonnance consacre une extension des deux actions, en permettant de les employer même au-delà de simples obligations pécuniaires, pour la première, ou des seuls cas d’organisation frauduleuse de l’insolvabilité, pour la seconde. Mais en réalité, la rédaction des articles 1166 et 1167 du Code civil était déjà assez compréhensive pour englober toutes les hypothèses dans lesquelles le créancier peut avoir intérêt à agir pour le compte de son débiteur, ou en inopposabilité d’un acte accompli en fraude de ses droits.

Quant à l’action directe du créancier contre le débiteur de son débiteur, le projet précise que celle-ci n’existe que par détermination de la loi, c’est-à-dire en cas de dispositions spéciales le prévoyant. Ce principe d’éviction n’en est pas moins rédigé sous une forme affirmative qui pourrait en rendre la signification moins visible, mais aussi le principe moins énergique.

Il est simplement proposé de modifier la lettre de l’article 1331-1 pour indiquer que le créancier n’agit pas « au nom du débiteur », mais en son nom propre, « pour le compte » de son débiteur. On tâchera à cette occasion de supprimer le redoublement du pronom « celui-ci ».

III. Proposition

Article 1331-1 : « Lorsque les intérêts du créancier sont compromis par l’inaction du débiteur, le premier peut agir pour le compte du second à l’effet d’exercer tous ses droits, à l’exception de ceux qui sont exclusivement attachés à sa personne. »

[Le reste sans changement]

Chapitre IV – La modification du rapport d’obligation

Comme les travaux académiques qui l’ont préparé, le projet d’ordonnance s’est trouvé confronté à une difficulté au moment d’examiner les opérations non extinctives de l’obligation, qu’il s’agisse de celles qui en modifient la substance, comme la novation, ou de celles qui en réalisent la transmission, comme la cession, dès lors que le parti a été adopté d’en étudier le régime avec celui de l’obligation.

Plusieurs alternatives s’offraient en effet aux auteurs. Il était d’abord possible de distinguer les opérations modificatives des opérations translatives, mais avec alors une difficulté s’agissant de la délégation qui, en dépit des termes, opère moins transmission que constitution d’une nouvelle obligation. Il pouvait être également envisagé de ne parler que d’« opérations sur créance », comme l’ont proposé les projets Catala et Terré, mais au risque d’employer en ce cas une expression assez large pour s’appliquer aussi bien aux opérations extinctives que sont la compensation et la remise de dette. Il n’était pas non plus possible de choisir entre la transmission ou la circulation de l’obligation, d’un côté, et sa modification, de l’autre, puisque cela condamnait à laisser de côté soit la novation, dans le premier cas, soit, dans le second, la cession qu’il s’agissait précisément d’évoquer.

C’est sans doute ce qui a convaincu d’adopter pour intitulé général, non pas « La modification de l’obligation », mais « La modification du rapport d’obligation ». Sous cette dernière expression en effet, il est devient possible de considérer que l’identité des parties, qui, sauf intuitus personae, reste étrangère à l’obligation elle-même, devient en revanche un élément constitutif du rapport d’obligation qui se noue, précisément, entre deux personnes. Dans ce cadre donc, il devient possible d’affirmer que, si la substitution de créancier ou de débiteur ne modifie pas l’obligation, elle modifie bien en revanche le rapport d’obligation, qui ne concerne plus alors les mêmes parties.

Si l’on peut approuver par conséquent l’intitulé adopté, le plan du chapitre appelle en revanche quelques réserves. En premier lieu, il a déjà été dit qu’il conviendrait d’examiner ici le cas de la subrogation, conjointement avec l’autre opération translative que constitue la cession, peu important que la première résulte d’un paiement plutôt que du seul accord des volontés. Ainsi qu’on l’a vu en effet, la subrogation n’éteint pas l’obligation, à la différence du paiement, de sorte qu’elle se trouve maintenue en l’état dans un chapitre qui ne la concerne pas (v. art. 1324 et s., supra). Aurait-elle d’ailleurs aussi cet effet extinctif que cela n’exclurait de toute façon pas de l’examiner ici, puisque le présent chapitre, traitant de la modification du rapport d’obligation, intègre déjà la novation, dont l’effet modificatif sur l’obligation semble pourtant moins évident que sa portée extinctive, la modification n’apparaissant en réalité qu’à la faveur d’un rapprochement entre la nouvelle obligation créée et l’ancienne obligation novée. En deuxième lieu, il semblerait plus habile de réunir les trois cas de cession sous un même intitulé, de sorte à mieux les distinguer des autres opérations que sont la novation et la délégation, lesquelles, pour l’heure, ne se distinguent pas plus de la cession que la cession de dette ne se sépare elle-même de la cession de créance. Enfin, l’ordre logique invite peut-être à examiner les opérations qui peuvent ne concerner que les deux mêmes parties, avant de lever le regard vers les opérations qui, plus complexes, impliquent nécessairement l’intervention de tiers au rapport d’obligation.

À la faveur de ces observations, il est proposé de substituer à la structure actuelle du chapitre IV le plan suivant :

« Chapitre IV – La modification du rapport d’obligation
     Section 1 – La novation
     Section 2 – La délégation
     Section 3 – La cession
       § 1 – La cession de créance
       § 2 – La cession de dette
       § 3 – La cession de contrat
     Section 4 – La subrogation »

Section 1 – La cession de créance
(art. 1332 à 1337)

Article 1332 : « La cession de créance est un contrat par lequel le créancier cédant transmet, à titre onéreux ou gratuit, tout ou partie de sa créance contre le débiteur cédé à un tiers appelé le cessionnaire.

Elle peut porter sur tout ou partie d’une ou plusieurs créances présentes ou futures, déterminées ou déterminables.

Sauf clause contraire, elle s’étend aux accessoires de la créance.

Le consentement du débiteur n’est pas requis, à moins que la personne du créancier soit pour lui déterminante ou que la créance ait été stipulée incessible. »

Article 1333 : « La cession de créance doit être constatée par écrit, à peine de nullité. »

Article 1334 : « Entre les parties, la transmission de la créance s’opère dès l’établissement de l’acte.

La cession est opposable aux tiers à la date de l’acte. En cas de contestation, la preuve de la date de la cession incombe au cessionnaire, qui peut la rapporter par tout moyen.

Toutefois, le transfert d’une créance future n’a lieu qu’au jour de sa naissance, tant entre les parties que vis-à-vis des tiers. »

Article 1335 : « Le débiteur peut invoquer la cession dès qu’il en a connaissance, mais elle ne peut lui être opposée que si elle lui a été notifiée ou s’il l’a acceptée.

Le débiteur peut opposer au cessionnaire les exceptions inhérentes à la dette, telles que la nullité, l’exception d’inexécution, ou la compensation des dettes connexes. Il peut également opposer les exceptions nées de ses rapports avec le cédant avant que la cession lui soit devenue opposable, telles que l’octroi d’un terme, la remise de dette ou la compensation de dettes non connexes.

Le cédant et le cessionnaire sont solidairement tenus de tous les frais supplémentaires occasionnés par la cession dont le débiteur n’a pas à faire l’avance. Sauf clause contraire, la charge de ces frais incombe au cessionnaire. »

Article 1336 : « Le concours entre cessionnaires successifs d’une créance se résout en faveur du premier en date ; il dispose d’un recours contre celui auquel le débiteur aurait fait de bonne foi un paiement. »

Article 1337 : « Celui qui cède une créance à titre onéreux garantit l’existence de la créance et de ses accessoires [, à moins que le cessionnaire l’ait acquise à ses risques et périls ou qu’il ait connu le caractère incertain de la créance].

Il ne répond de la solvabilité du débiteur que lorsqu’il s’y est engagé, et jusqu’à concurrence du prix qu’il a pu retirer de la cession de sa créance.

Lorsque le cédant a garanti la solvabilité du débiteur, cette garantie ne s’entend que de la solvabilité actuelle ; elle peut toutefois s’étendre à la solvabilité à l’échéance, mais à la condition que le cédant l’ait expressément spécifié. »

I. Présentation

Les articles 1332 à 1337 transfèrent le régime de la cession de créance du droit de la vente vers le régime de l’obligation. À cette occasion, le projet souffle un vent de modernité qui remodèle profondément la matière.

II. Analyse

À l’unisson des travaux académiques, le projet d’ordonnance a fait le choix d’introduire la cession de créance dans le champ du régime de l’obligation. Cette solution implique donc un déplacement de la matière depuis le droit de la vente jusqu’au présent chapitre, et une abrogation corrélative des actuels articles 1689 à 1701 du Code civil. Comme pour justifier ce choix, l’article 1332 précise d’emblée que la cession de créance peut se faire à titre onéreux ou gratuit.

Dès première lecture pourtant, le texte révèle une surprenante lacune en tant qu’il ne comporte plus aucune disposition sur le retrait litigieux, actuellement régi par les articles 1699 à 1701 du Code civil. Il difficile de comprendre à ce stade s’il faut y voir l’abolition implicite de la faculté laissé au débiteur d’éteindre sa dette en n’en payant que le prix de sa cession, ou s’il est prévu de maintenir ces trois dispositions dans le titre relatif à la vente. Mais eu égard au parti général adopté par le projet, l’hypothèse de l’abrogation – par mégarde ? – semble tout à craindre. Elle paraît d’ailleurs corroborée par le fait qu’aucun des avant-projets préparatoires n’avaient eux-mêmes évoqué l’institution en traitant de la cession de créance.

Passé ce premier constat, on rencontre des innovations évidemment attendues, au premier titre desquelles la suppression de l’exigence de signification comme condition d’opposabilité de la cession au débiteur (C. civ., art. 1690), désormais remplacée par une simple « notification », sans plus de précision (art. 1335 proj.). En contrepartie, la cession de créance devient un contrat solennel, devant être formé par écrit à peine de nullité (art. 1333). Quant à la date d’opposabilité de la cession aux tiers, le projet a fait le choix de l’avancer à la date de la cession, plutôt que de la lier à celle de son opposabilité au débiteur cédé (art. 1334). Pour conforter ce choix, les auteurs n’ont retenu qu’un seul critère de préférence entre cessionnaires successifs du même créancier : prior tempore, potior jure (art. 1336). L’ensemble de ce dispositif appelle quelques observations.

Le formalisme nouveau introduit dans la conclusion de la cession de créance a pu être discuté (v. not. projet Terré, qui se démarque explicitement du projet Catala sur ce point). En sa faveur néanmoins, on a fait valoir qu’il constituait un utile contrepoint à la disparition de la signification comme condition d’opposabilité : pour que la simple notification puisse informer suffisamment le débiteur, elle devra sans doute contenir une copie de l’acte de cession, ou en rappeler en tout cas les termes essentiels tels que figurant sur le titre constitué par les parties.

Les conditions d’opposabilité de la cession aux tiers suscitent en revanche plus de réserves. On comprend bien qu’il ait finalement été décidé, à rebours du projet initial de la Chancellerie, de ne plus conditionner cette opposabilité à la notification faite de la cession au débiteur. La situation aurait ainsi été assujettie désormais aux conditions d’opposabilité du droit commun. Toutefois, en l’état du projet, les tiers à la cession se trouveraient soumis, non pas aux règles générales d’opposabilité des actes juridiques aux tiers (art. 1200 à 1203 proj.), mais à celles-là même qui régissent l’accord des parties, se voyant opposer des stipulations dont ils sont pourtant censés avoir tout ignoré. Tel est bien en effet le sens de l’article 1334, alinéa 2, qui prévoit que la cession est opposable aux tiers au jour de l’acte, ajoutant que la preuve de cette date par le cessionnaire peut être faite par tout moyen, faisant ainsi exception aux règles de date certaine posées à l’article 1128 du Code civil et reconduites à l’article 1377 du projet. Or, autant on peut concevoir qu’il soit permis d’apporter librement la preuve d’un acte ou de sa date contre ceux qui n’y sont pas parties, à partir du moment surtout où son effet est subordonné à la constitution d’un écrit, autant il est difficile de comprendre comment l’existence et la teneur de cet acte pourraient être opposées à celui qui l’a ignoré au jour où il a lui-même acquis la créance. Car de deux choses l’une en effet : soit le tiers acquéreur avait connaissance de la précédente cession, et en ce cas sa mauvaise foi condamne sa propre acquisition ; soit il l’avait ignorée, et sa croyance légitime dans le titre du possesseur actuel de la créance doit évidemment être protégée. C’est là le domaine de la théorie de l’apparence, qui a précisément pour objet de sécuriser les échanges que le projet se donne pour but de libérer. C’est cette même logique qui justifie que la nullité de la vente de la chose d’autrui ne puisse être opposée à l’acquéreur de bonne foi. Dans ces conditions, on peut regretter que l’article 1336 du projet se borne à donner la préférence au premier cessionnaire sans réserver l’acquisition de bonne foi faite par le second cessionnaire en date. Dans un tel cas de figure, il convient de rappeler que le droit commun, que reconduit le projet d’ordonnance, donne la préférence au possesseur de bonne foi, même second en date (art. 1199 proj.). Incidemment, et pour en revenir à la preuve de cette date, on peut s’interroger sur l’intérêt de préciser, comme le fait l’article 1334, que « la preuve de la date de la cession incombe au cessionnaire », considérant que, en réalité, elle incombera toujours à celui qui s’en prévaudra, fût-il autre que cessionnaire.

En même temps qu’il règle les conditions d’opposabilité de la cession, le projet entend préciser que celle-ci produit son effet dès le jour de l’acte, conformément au principe de transfert solo consensu (art. 1197 proj.), tout en réservant, c’est là l’évidence, le cas dans lequel la créance ne serait pas encore née, auquel cas le transport interviendra au jour de cette naissance (art. 1334). Mais ici encore, la même date est opposée au tiers à la cession, sans qu’il soit réservé l’hypothèse, pourtant commune en pratique, dans laquelle l’apparition de la créance lui sera restée inconnue. À la rigueur peut admettre ici la solution s’il est établi que le tiers avait à tout le moins connaissance de l’existence de la cession antérieure, puisque, dans un tel cas en effet, il savait que le transfert avait vocation à intervenir.

S’agissant de la question de l’opposabilité des exceptions, l’article 1335, alinéa 2, reprend ici l’énumération déjà rencontrée à l’article 1324-4 pour la subrogation, de sorte que les mêmes critiques peuvent être formulées à son sujet (v. art. 1324 et s., supra).

Par ailleurs, de façon a priori curieuse, l’article 1337 règle la garantie de solvabilité consentie par le cédant en fonction de la solvabilité existant au jour de la cession plutôt que de celle persistant à la date d’exigibilité de la dette. On se défend pourtant mal du sentiment que l’effet utile de cette garantie suppose de la lier par hypothèse au jour où le cessionnaire pourra appeler le débiteur en paiement, et que c’est donc en ce sens que la volonté des parties doit être présumée. Il est d’ailleurs difficile de concevoir comment la solvabilité du débiteur pourrait être vérifiée à une date où il ne doit encore rien.

Enfin, de façon plus cosmétique, l’article 1332 mériterait d’être reformulé, l’expression de « tiers appelé le cessionnaire » apparaissant quelque peu empruntée. De même, l’article 1335, alinéa 3, recèle une ambiguïté, étant impossible de comprendre si les frais en cause visent seulement « ceux dont le débiteur n’a pas à faire l’avance » ou si cette mention signifie, comme il est plus probable, que le débiteur n’a jamais à faire l’avance des frais de la cession.

Il est donc proposé de préciser que, sauf la libre preuve de sa date, l’opposabilité de la cession aux tiers répond aux principes généraux d’opposabilité des actes juridiques aux tiers, lesquels réservent notamment une présomption d’ignorance et la théorie de l’apparence, de simplifier la mention des exceptions susceptibles d’être opposées par le débiteur, de modifier la date à laquelle le cédant est réputé garantir la solvabilité du cédé, et d’apporter quelques améliorations formelles à plusieurs autres articles.

III. Proposition

Article 1332 : « La cession de créance est un contrat par lequel le créancier cédant transmet à un tiers cessionnaire, à titre onéreux ou gratuit, tout ou partie de sa créance sur le débiteur cédé. »

[La suite sans changement]

Articles 1333 : sans changement.

Article 1334 : « Entre les parties, la transmission de la créance s’opère dès l’établissement de l’acte.

La cession est opposable aux tiers à la date de l’acte dès qu’ils en ont connaissance. La preuve de cette date peut être apportée par tout moyen, même contre les tiers par l’une ou l’autre des parties à la cession.

Le transfert d’une créance future n’a lieu qu’au jour de sa naissance, tant entre les parties qu’à l’égard des tiers. »

Article 1335 : « Le débiteur peut invoquer la cession dès qu’il en a connaissance, mais elle ne peut lui être opposée que si elle lui a été notifiée ou s’il l’a acceptée.

Le débiteur peut opposer au cessionnaire toutes les exceptions inhérentes à la dette, telles que notamment la nullité absolue, la remise de dette, l’octroi d’un terme, l’exception d’inexécution ou encore la compensation de dettes connexes.

Le cédant et le cessionnaire sont solidairement tenus de tous les frais supplémentaires occasionnés par la cession et le débiteur n’a pas à en faire l’avance. En l’absence de clause contraire, la charge de ces frais incombe au cessionnaire. »

Article 1336 : « Le concours entre cessionnaires successifs d’une créance se résout en faveur du premier en date, à moins que le second en date ait acquis la créance de bonne foi.

Le cessionnaire préféré dispose d’un recours contre celui ayant reçu le paiement. »

Article 1337 : « Celui qui cède une créance à titre onéreux garantit l’existence de la créance et de ses accessoires, à moins que le cessionnaire l’ait acquise à ses risques et périls ou qu’il ait connu le caractère incertain de la créance.

Il ne répond de la solvabilité du débiteur que lorsqu’il s’y est engagé, et jusqu’à concurrence du prix qu’il a pu retirer de la cession de sa créance.

Lorsque le cédant a garanti la solvabilité du débiteur, cette garantie ne s’entend, en l’absence de stipulation contraire, que de la solvabilité à la première échéance de la créance. »

Section 2 – La cession de dette
(art. 1338 à 1339-1)

Article 1338 : « Un débiteur peut céder sa dette à une autre personne.

Le cédant n’est libéré que si le créancier y consent expressément. A défaut, le cédant est simplement garant des dettes du cessionnaire. »

Article 1339 : « Le cessionnaire, et le cédant s’il reste tenu, peuvent opposer au créancier les exceptions inhérentes à la dette. Chacun peut aussi opposer les exceptions qui lui sont personnelles. »

Article 1339-1 : « Lorsque le cédant n’est pas déchargé par le créancier, les garanties subsistent.

Dans le cas contraire, les garanties consenties par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord.

Si le cédant est déchargé, ses codébiteurs solidaires restent tenus déduction faite de sa part dans la dette. »

I. Présentation

Par ces trois articles, le projet d’ordonnance introduit la cession de dette en droit français.

II. Analyse

Alors que l’introduction d’une institution nouvelle dans un système juridique pourrait inciter à la prudence, et commander de n’y procéder que dans d’étroites limites, c’est en grand que, apparemment, le projet entend consacrer la cession de dette en droit français, lui conférant une portée qu’aucun autre pays ne lui connaît. Tout en semblant faire en effet du consentement du créancier une condition de la cession (« Le cédant n’est libéré que si le créancier y consent expressément »), l’article 1338 poursuit immédiatement en précisant que, à défaut de ce consentement, « le cédant est simplement garant des dettes du cessionnaire ». Où il faudrait donc comprendre que, en réalité, le consentement du créancier n’est pas une condition de la cession, mais seulement de son effet libératoire. Sans son accord, le transport de l’obligation n’opérerait pas moins sur la tête du cessionnaire. Simplement, cette transmission ne sera parfaite et le cédant libéré à l’égard du créancier que si celui-ci l’accepte. Ainsi, le projet lui offrirait une option entre accepter la cession et renoncer à son recours contre le cédant, ou la refuser pour se tourner alors, non pas seulement contre le cédant, mais contre l’un quelconque des deux débiteurs voire les deux ensemble… Quel créancier dans ces conditions acceptera la cession ?

On voit bien ici le parallèle fait par les auteurs du projet entre cette cession de dette et la délégation de débiteur qui, lorsqu’elle ne recueille pas l’adhésion expresse du créancier, lui octroie également deux débiteurs. Mais les deux mécanismes sont bien différents. Le principe de la délégation est de reconstituer une nouvelle obligation, de même teneur que la première, sur la tête d’un autre débiteur. En ce cas, il est dans la nature des choses que puissent se constituer deux liens d’obligation au lieu d’un seul, quitte à ce que le créancier renonce finalement au premier en rendant la délégation parfaite. Tout autre est la cession, qui ne repose sur aucun autre mécanisme que celui de la transmission. L’idée d’un dédoublement de l’obligation devient alors aberrante, parce qu’elle nie l’essence même de l’opération, qui consiste simplement à transférer une obligation, de telle sorte que cessionnaire ne puisse s’en voir alloti sans que le cédant s’en trouve simultanément libéré. De là cette différence que si le créancier peut agir contre le débiteur délégué sans renoncer à son recours contre le délégant, il ne peut pas en revanche agir directement contre le cessionnaire de la dette sans accepter par là-même le principe de la cession et libérer en conséquence le cédant.

La suite de l’analyse force alors la conclusion. Le texte indique que, en cas de refus ou d’absence d’acceptation du créancier, le cédant devient garant des dettes du cessionnaire. Mais de quelle dette parle-t-on ? Si le créancier n’accepte pas la cession, c’est bien que le cessionnaire ne devient pas son débiteur. Si donc l’un doit être garant de l’autre, c’est le cessionnaire, et non pas le cédant ! Par égard pour la volonté des deux parties à l’acte, il peut être envisagé, par une forme de conversion par réduction, de transformer en une simple garantie la cession rendue imparfaite par le refus du créancier. En revanche, la solution contraire, telle que l’envisage le projet d’ordonnance, est en tout point incohérente. À tel point qu’elle laisse craindre – ou plutôt espérer – que l’article 1338 soit entaché d’une erreur matérielle dans sa rédaction. Où il faudrait lire en réalité que « À défaut, le cessionnaire est simplement garant des dettes du cédant. » Au demeurant, telle était bien, en substance, la rédaction proposée par le projet Terré qui a servi de modèle au projet d’ordonnance, puisque l’on y lisait que « Le cédant n’est libéré que si le créancier consent à sa libération, sauf son recours contre le cessionnaire. » (Pour une réforme du régime général des obligations, Dalloz, 2013, art. 142). C’est également la solution du droit allemand, qui pratique la cession de dette depuis plus d’un siècle (BGB, § 415 (3)).

Un dernier argument achève de convaincre de l’anomalie. Alors que la cession de créance, qui reste à peu près neutre pour le débiteur cédé, est subordonnée tout à la fois par le projet à une condition de validité, tenant dans l’établissement d’un écrit, et dans une condition d’opposabilité, consistant soit en l’acceptation du débiteur soit en sa notification, la cession de dette, qui renferme un effet bien plus redoutable pour le créancier, pourrait quant à elle ne requérir aucune condition de validité ni d’opposabilité si, en l’absence même de toute acceptation du créancier, on lui faisait malgré tout produire son effet à l’égard du cessionnaire et que l’on se bornait à faire alors du cédant un simple garant.

Même cependant à rétablir le second alinéa de l’article 1338 dans son sens logique, cette disposition susciterait encore une difficulté. Il paraît difficile d’admettre que l’on puisse prêter un effet qui n’a pas été voulu par les parties, diminué à une simple obligation de garantie, tout en conservant l’intégralité des droits du cocontractant sur la contrepartie qui pourrait lui être due en échange de sa prise en charge de la dette. En réalité, si l’on veut bien ne pas compliquer la situation en autorisant le juge à réduire – et dans quelle mesure ? – le prix de la cession, cette conversion du transfert de dette en simple garantie ne peut se concevoir que lorsque l’opération s’est faite à titre gratuit, c’est-à-dire, s’agissant d’une cession de dette, sans autre droits consentis au cessionnaire. Si bien que, au vu de tant de complications, on pourra finalement préférer ne pas entrer dans la difficulté et supprimer cette hypothèse de conversion de la cession en garantie.

Au-delà, il convient de souligner que l’article 1339-1 du projet contient une exception remarquable au principe selon lequel la cession transmet l’obligation avec tous ses accessoires (art. 1332 proj.), puisqu’il y est indiqué que la cession ne concernerait pas sûretés données par les tiers en garantie de la dette cédée. La règle trouve sans doute sa justification dans l’idée que les cautions n’acceptent généralement de garantir une dette qu’en considération de la personne du débiteur, de sorte que sa substitution serait de nature à remettre en cause la raison qu’elles avaient de s’obliger. Où, subrepticement, reparaît une fois de plus le visage de la cause que l’on avait voulu voiler (v. art. 1167 et 1168, supra). Mais ce fondement tenant à la personne du débiteur mériterait alors d’être inséré au texte, ne serait-ce que pour borner cette dérogation au principe de transmission des accessoires de la dette cédée.

Quant à la question de la portée de la cession sur les codébiteurs solidaires, elle trouve une bien mauvaise réponse à l’alinéa 2 de l’article 1339-1, qui paraît vouloir opérer une distinction selon que le cédant serait ou non libéré, de sorte, dans le premier cas seulement, à diminuer de la part du cédant l’obligation à la dette des autres coobligés solidaires. Faut-il rappeler que, par hypothèse, le cédant n’est libéré que si un cessionnaire lui est substitué, et vient ainsi prendre sa part à la dette ? Pour quelle raison, dans ces conditions, la part contributive des autres codébiteurs se trouverait-elle réduite en une quelconque mesure ? En réalité, la solution s’impose d’elle-même : dès lors que la cession n’a aucun effet extinctif sur la dette, mais seulement translatif, elle est sans incidence aucune pour les codébiteurs solidaires, qui verront simplement l’un d’eux remplacé par un tiers.

En définitive, il est proposé de supprimer la dernière phrase du second alinéa de l’article 1338. Si l’on tient à la maintenir, il est alors nécessaire d’en revoir la rédaction afin de lui restituer un sens logique et de la cantonner à la seule hypothèse de la cession nue. S’agissant de l’opposabilité des exceptions, la règle ne mérite d’être énoncée que pour le cessionnaire, aucune question ne se posant pour le cédant, dont le sort dépend uniquement de l’efficacité ou non de la cession. Quant à la transmission des accessoires, on pourrait mieux distinguer selon que la garantie a été apportée par le cédant ou par un tiers. Enfin, il y a lieu de supprimer toute disposition relative aux codébiteurs solidaires, pour lesquels la cession de dette de l’un d’eux n’emporte aucune conséquence.

III. Proposition

1) Article 1338 :

« Le débiteur peut céder sa dette à un tiers cessionnaire.

Le cédant n’est libéré à l’égard du créancier que si celui-ci consent expressément à la cession. »

2) Article 1338 [rédaction alternative] :

« Le débiteur peut céder sa dette à un tiers cessionnaire.

Le cédant n’est libéré à l’égard du créancier que si celui-ci consent expressément à la cession. À défaut d’accord du créancier, et dans le cas seulement où la cession a été convenue sans autre obligation ni contrepartie, le cessionnaire doit sa garantie au cédant sur la dette cédée. »
_ _ _ _ _ _ _ _

Articles 1339 : « Le cessionnaire peut opposer au créancier les exceptions inhérentes à la dette ainsi que les exceptions qui lui sont personnelles. »

Article 1339-1 : « Les sûretés données par le débiteur en garantie de sa dette subsistent après la cession, sauf l’accord du créancier pour le relever également de sa garantie.

Celles données par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord si elles ont été consenties en considération de la personne du débiteur. »

Section 3 – La cession de contrat
(art. 1340)

Article 1340 : « Un contractant peut, avec l’accord de son cocontractant, céder à un tiers sa qualité de partie au contrat.

La cession de contrat ne libère le cédant que si le cédé y a expressément consenti. Cette libération ne vaut que pour l’avenir.

Lorsque le cédant n’est pas libéré pour l’avenir, et en l’absence de clause contraire, il est simplement garant des dettes du cessionnaire.

Les règles de la cession de créance et de la cession de dette sont applicables, en tant que de besoin. »

I. Présentation

En une seule disposition, l’article 1340 s’attache à édifier un régime complet pour la cession de contrat.

II. Analyse

Dès lors que la cession de contrat consiste le plus souvent à transmettre un complexe de créances et de dettes, ses conditions devraient logiquement émarger à celles, combinées, de la cession de créance et de la cession de dette. En lieu de cela, et en dépit de son renvoi final, l’article 1340 fait le choix d’assimiler purement et simplement le régime de la cession de contrat à celui de la cession de dette. En tant qu’il s’agit d’imposer l’acceptation du cédé sans se contenter d’une simple notification, ce principe d’assimilation ne fait pas difficulté, puisqu’il revient justement à imposer la condition la plus exigeante. Mais poursuivant ensuite sur le même thème, l’article 1340 continue à ne raisonner qu’en termes de libération du cédant, en oubliant apparemment qu’il se dépouille aussi de ses créances. C’est ainsi que, si le troisième alinéa règle le sort des dettes cédées en l’absence de consentement du cocontractant, en reproduisant d’ailleurs l’anomalie consistant à faire du cédant le garant du cessionnaire (v. art. 1338, supra), il ne dit rien du profit que pourrait vouloir tirer en contrepartie le cessionnaire des créances restant en ce cas au cédant. Si bien que, plutôt que de corriger à nouveau ici la disposition concernée, le problème supplémentaire que pose cette combinaison des droits et obligations invite plutôt, en raison, à supprimer purement et simplement l’alinéa litigieux.

Par ailleurs, l’article 1340 comporte une précision nouvelle. Alors que ni les textes relatifs à la cession de dette, ni même ceux relatifs à la cession de créance, pourtant autrement détaillés, ne contenaient d’indication quant à la portée temporelle de la cession, cette mention figure finalement à la cession de contrat, où il est précisé, et par deux fois, que la cession ne produit son effet que pour l’avenir. Il faut sans doute en trouver l’explication dans le fait qu’un contrat est susceptible de générer des obligations nouvelles en cours d’existence, au fur et à mesure des échéances qui peuvent en régler l’exécution, et qu’il importe alors de déterminer lesquelles de ces obligations devront être supportées par le cessionnaire. On peut toutefois se demander si une cession de créance ou de dette, en particulier lorsqu’elle porte sur un ensemble d’obligations successives, n’est pas susceptible de produire une situation comparable (par ex. cession d’une créance de loyers). Quoi qu’il en soit, le projet a au moins le mérite de trancher ici, fût-ce à la serpe, une irritante question à laquelle la jurisprudence n’a jamais apporté que des réponses lacunaires et contradictoires, et de le faire probablement dans le meilleur sens.

Au regard de ces observations, il est proposé de maintenir le cantonnement à l’avenir de l’effet temporel de la cession, mais de supprimer en revanche la disposition qui voudrait, sans égard pour les créances également concernées par la cession de contrat, faire du cédant (cessionnaire ?) le garant du cessionnaire (cédant ?).

III. Proposition

Nouvelle rédaction :

« Un contractant peut, avec l’accord de son cocontractant, céder à un tiers sa qualité de partie au contrat.

La cession de contrat ne libère le cédant que si le cocontractant y a expressément consenti.

En l’absence de clause contraire, la cession n’opère que pour l’avenir.

Pour le surplus, les règles de la cession de créance et de la cession de dette sont applicables en tant que de raison. »

Section 4 – La novation
(art. 1341 à 1347)

Article 1341 : « La novation est un contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu’elle éteint, une obligation nouvelle qu’elle crée.

Elle peut avoir lieu par substitution d’obligation entre les mêmes parties, par changement de débiteur ou par changement de créancier. »

Article 1342 : « La novation ne se présume pas ; la volonté de l’opérer doit résulter clairement de l’acte. La preuve peut en être apportée par tout moyen. »

Article 1343 : « La novation n’a lieu que si l’obligation ancienne et l’obligation nouvelle sont l’une et l’autre valables, à moins qu’elle n’ait pour objet déclaré de substituer un engagement valable à un engagement entaché d’un vice. »

Article 1344 : « La novation par changement de débiteur peut s’opérer sans le concours du premier débiteur. »

Article 1345 : « La novation par changement de créancier peut avoir lieu si le débiteur a, par avance, accepté que le nouveau créancier soit désigné par le premier. »

Article 1346 : « L’extinction de l’obligation ancienne s’étend à tous ses accessoires.

Par exception, les sûretés réelles d’origine peuvent être réservées pour la garantie de la nouvelle obligation avec le consentement des titulaires des droits grevés. »

Article 1347 : « La novation convenue entre le créancier et l’un des codébiteurs solidaires libère les autres.

La novation convenue à l’égard du débiteur principal libère les cautions.

La novation convenue entre le créancier et une caution ne libère pas le débiteur principal. Elle libère les autres cautions à concurrence de la part contributive de celle dont l’obligation a fait l’objet de la novation. »

I. Présentation

Sept articles du projet s’efforcent de détailler le régime de la novation, qu’elle intervienne entre les mêmes parties, ou par substitution de créancier ou de débiteur.

II. Analyse

D’emblée, une question se pose s’agissant de l’ordre d’exposition du projet : pourquoi avoir situé la novation entre la cession et la délégation ? Tout indique en effet que l’institution intermédiaire réside, non dans la novation, mais dans la délégation, qui peut être ou non novatoire, et qui consiste toujours à substituer un nouveau débiteur. Il conviendrait donc, si l’on commence par la cession, d’évoquer la délégation avant la novation, ou mieux, de commencer par traiter de la novation en la faisant suivre de la délégation puis de la cession (v. chap. IV, obs. gén., supra).

Les articles 1344 et 1345 traitent respectivement de la novation par substitution de débiteur (C. civ., art. 1271, 2°) ou de créancier (art. 1271, 3°). Reconduisant à cet égard des solutions traditionnelles, le projet prévoit, comme le fait l’actuel article 1274 du Code civil, que la novation par substitution de débiteur, autrement qualifiée d’expromission, peut s’opérer sans le consentement du débiteur initial, par le seul accord du créancier et du nouveau débiteur. Dans le second cas en revanche, il est précisé que le débiteur ne pourrait pas se voir imposer un nouveau créancier sans y avoir consenti. De prime abord, cette divergence de solutions peut surprendre.

S’agissant de la novation par substitution de créancier, ce n’est probablement pas le changement de créancier qui, sauf intuitu personae, réclame son consentement, puisqu’une cession de créance est elle-même parfaite sans qu’il soit besoin de recueillir l’adhésion du débiteur cédé. Ce ne peut donc être que la disparition de son obligation, avec reconstitution au profit d’un nouveau créancier, qui impose son accord. Mais alors comment comprendre que, au cas inverse de novation par changement de débiteur, il puisse se voir remplacé dans sa qualité de débiteur sans qu’il lui soit demandé son avis ? Il est vrai que tout tiers peut payer sa dette à sa place (C. civ., art. 1236, et art. 1320-1 proj.). Mais dans un tel cas, le créancier obtient par hypothèse satisfaction, ce qui répond au sort ordinaire de l’obligation contractée, et donc à l’intention présumée des parties. La situation est donc bien différente de celle dans laquelle, en l’absence de tout paiement, l’obligation est éteinte pour être reconstituée sur la tête d’un autre. À quoi il convient d’ajouter, comme il a été dit plus haut, que ce contournement de la volonté du débiteur est de toute façon incompatible avec l’intention des auteurs du projet de faire de la remise de dette un acte nécessairement contractuel (v. art. 1329, supra). À partir du moment où l’on entend promouvoir l’intérêt du débiteur à ne pas se voir imposer la suppression de son obligation par le créancier, il est difficile de comprendre comment l’on peut maintenir en droit positif un mécanisme qui aboutit très exactement à ce résultat.

Il conviendrait donc, si l’on veut être parfaitement conséquent, de renoncer à reconduire l’actuel article 1274 dans le Code réformé. L’expromission du débiteur ne devrait jamais pouvoir intervenir sans son accord. À défaut, il ne peut s’agir que d’une adpromission, c’est-à-dire de l’adjonction d’un nouveau débiteur au premier, sans disparition de l’obligation initiale, donc sans novation. Dans tous les cas, la novation, qui emporte disparition de l’obligation, ne devrait jamais pouvoir intervenir sans le consentement des deux parties, ce qui, joint à celui du tiers substitué, en fait une opération nécessairement tripartite. Cela rapprocherait sans doute la novation par substitution de débiteur de la délégation. Mais des différences demeurent. La délégation procède toujours d’une convention entre le débiteur délégant et son délégué, à laquelle il est demandé au créancier d’adhérer ; cette condition est en revanche étrangère à la novation, qui peut aussi bien procéder, par exemple, de l’initiative du créancier sollicitant un tiers avant de se tourner vers son débiteur. La novation par substitution de débiteur ne devient une délégation que lorsqu’elle prend son origine dans un accord entre le débiteur initial et le débiteur substitué. Par ailleurs, la qualification de délégation demeure lors même que l’opération n’emporterait aucun effet novatoire.

Quant à la rédaction de l’article 1345, relatif à la novation par substitution de créancier, elle pourrait être améliorée. En l’état, elle ne se penche que sur le consentement donné d’avance par le débiteur, alors qu’il conviendrait déjà d’indiquer que cette novation suppose son accord, que celui-ci soit ou non donné par avance. Ceci fait, il devient alors sans intérêt de préciser que ce consentement peut consister à permettre au premier créancier de désigner le nouveau créancier, puisque, si tel n’était pas le cas, cela reviendrait à devoir solliciter un nouvel accord du débiteur.

Il est donc suggéré de modifier la rédaction de l’article 1345 qui, en l’état, ne vise que le cas particulier du consentement donné a priori. Surtout, il est proposé de renverser la règle posée à l’article 1344 et d’harmoniser ainsi les conditions des novations active et passive. Les règles se trouvant ainsi unifiées, elles devraient figurer au sein d’un article unique, de sorte que l’article 1345 pourrait être supprimé. Pour éviter toute équivoque, il convient de préciser que le consentement n’est pas seulement requis du débiteur, mais de l’ensemble des parties. À noter également, à l’article 1343, la présence d’une marque de négation explétive, donc inutile, à supprimer (« à moins qu’elle n’ait »).

III. Proposition

Articles 1341 et 1342 : sans changement.

Article 1343 : « La novation ne produit son effet que si la première obligation et celle qui lui est substituée sont l’une et l’autre valables, à moins que l’opération ait précisément pour objet de substituer un engagement valable à un engagement irrégulier. »

Article 1344 : « La novation par changement de débiteur requiert l’accord, qui peut être donné par avance, du premier débiteur, du débiteur substitué et du créancier.

De même, la novation par changement de créancier requiert l’accord, qui peut être donné par avance, du débiteur, du premier créancier et du créancier substitué. »

Article 1345 : suppression.

Articles 1346 et 1347 : sans changement.

Section 5 – La délégation
(art. 1348 à 1352)

Article 1348 : « La délégation est un contrat par lequel une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur.

Le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre ce dernier et le délégataire. »

Article 1349 : « Lorsque le délégant est débiteur du délégataire et que la volonté du délégataire de décharger le délégant résulte clairement de l’acte, la délégation opère novation.

Toutefois, le délégant demeure tenu s’il s’est engagé à garantir la solvabilité future du délégué ou si ce dernier se trouve soumis à une procédure d’apurement de ses dettes lors de la délégation. »

Article 1350 : « Lorsque le délégant est débiteur du délégataire mais que celui-ci ne l’a pas déchargé de sa dette, la délégation donne au délégataire un second débiteur.

Le paiement fait par l’un des deux débiteurs libère l’autre, à due concurrence. »

Article 1351 : « Lorsque le délégant est créancier du délégué, l’extinction de sa créance n’a lieu que par l’exécution de l’obligation du délégué envers le délégataire et à due concurrence.

Jusque-là, la créance du délégant sur le délégué ne peut être ni cédée ni saisie, et le délégant ne peut en exiger ou en recevoir le paiement que pour la part qui excèderait l’engagement du délégué. Il ne recouvre ses droits qu’en exécutant sa propre obligation envers le délégataire.

Toutefois, si le délégataire a libéré le délégant, le délégué est lui–même libéré à l’égard du délégant, à concurrence du montant de son engagement envers le délégataire. »

Article 1352 : « La simple indication faite par le débiteur d’une personne désignée pour payer à sa place n’emporte ni novation, ni délégation. Il en est de même de la simple indication faite, par le créancier, d’une personne désignée pour recevoir le paiement pour lui. »

I. Présentation

Se démarquant sur ce point des textes actuels, le projet d’ordonnance détache la délégation de la novation pour lui consacrer cinq articles.

II. Analyse

En tant qu’elles consacrent l’essentiel des solutions du droit positif, les règles qui composent le régime de la délégation selon le projet d’ordonnance n’appellent pas d’observations particulières. Tout au plus peut-on constater qu’il a été fait le choix de ne pas séparer l’examen de la délégation simple, ou imparfaite, et celui de la délégation novatoire, ou parfaite, puisque, aussi bien, la plupart des règles leur sont communes.

Il est simplement suggéré d’améliorer en la forme la rédaction des articles 1351 et 1352, le premier notamment à l’effet de préciser qu’il ne suffit pas, pour lier l’extinction de la créance du délégant à celle du délégataire, qu’une créance préexiste à la délégation entre le délégant et le délégué : il faut encore que les parties aient eu l’intention de lier le sort de ces deux créances.

III. Proposition

Articles 1348 à 1350 : sans changement.

Article 1351 : « Lorsque le délégant est créancier du délégué et que la délégation intervient comme mode de paiement, l’extinction de la créance n’opère que par l’exécution de l’obligation du délégué envers le délégataire et à due concurrence.

Jusque-là, la créance du délégant sur le délégué ne peut être ni cédée ni saisie, et le délégant ne peut en exiger ou en recevoir le paiement que pour la part qui excèderait l’engagement du délégué envers le délégataire. Il ne recouvre ses droits qu’en exécutant sa propre obligation à l’égard du délégataire.

Toutefois, si le délégataire a libéré le délégant, le délégué est lui-même libéré à l’égard du délégant, à concurrence du montant de son engagement envers le délégataire. »

Article 1352 : « La simple indication faite par le débiteur d’une personne désignée pour payer à sa place n’emporte ni novation ni délégation. Il en est de même de la simple indication faite par le créancier d’une personne désignée pour recevoir le paiement à sa place. »

Chapitre V – Les restitutions
(art. 1353 à 1353-8)

Article 1353 : « La restitution a lieu en nature ou, lorsque cela est impossible, en valeur. »

Article 1353-1 : « La restitution d’une somme d’argent porte sur le principal de la prestation reçue ainsi que sur les intérêts et les taxes acquittées entre les mains de celui qui a reçu le prix.

Les sûretés du prêt d’argent sont reportées de plein droit sur l’obligation de restituer sans toutefois que la caution soit privée du bénéfice du terme. »

Article 1353-2 : « La restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent inclut les fruits et la compensation de la jouissance qu’elle a procurés.

La compensation de la jouissance est évaluée par le juge au jour où il se prononce.

La restitution des fruits, s’ils ne se retrouvent pas en nature, a lieu selon une valeur estimée à la date du remboursement, suivant l’état de la chose au jour du paiement de l’obligation. »

Article 1353-3 : « La partie de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits ou la compensation de la jouissance à compter du paiement. La partie de bonne foi ne les doit qu’à compter du jour de la demande. »

Article 1353-4 : « La restitution d’une prestation de service consommée a lieu en valeur. Celle-ci est appréciée à la date à laquelle elle a été fournie.

L’action en restitution dirigée contre celui qui n’a bénéficié de la prestation que par l’intermédiaire d’un tiers obéit aux règles applicables à l’enrichissement injustifié. »

Article 1353-5 : « Pour fixer le montant des restitutions, il est tenu compte des dépenses nécessaires à la conservation de la chose et de celles qui en ont augmenté la valeur.

Celui qui restitue la chose répond des dégradations et détériorations qui en ont diminué la valeur, à moins qu’il ne soit de bonne foi et que celles–ci ne soient pas dues à sa faute.

Les plus-values et les moins–values advenues à la chose restituée sont estimées au jour de la restitution. »

Article 1353-6 : « Celui qui l’ayant reçue de bonne foi a vendu la chose ne doit restituer que le prix de la vente.

S’il l’a reçue de mauvaise foi, il en doit la valeur au jour de la restitution lorsqu’elle est supérieure au prix. »

Article 1353-7 : « La restitution d’une prestation de service consommée a lieu en valeur. Celle-ci est appréciée à la date à laquelle elle a été fournie.

L’action en restitution dirigée contre celui qui n’a bénéficié de la prestation que par l’intermédiaire d’un tiers obéit aux règles applicables à l’enrichissement injustifié. »

Article 1353-8 : « Les sûretés constituées pour le paiement de l’obligation prévue au contrat garantissent également l’obligation de restitution. »

I. Présentation

Le projet d’ordonnance introduit utilement un chapitre nouveau dans le Code civil à l’effet de régler la question des restitutions après anéantissement d’une obligation.

II. Analyse

Il faut savoir gré aux auteurs du projet d’ordonnance d’y avoir développé un chapitre relatif aux restitutions alors que la question, jusqu’alors abandonnée à une jurisprudence laborieuse, n’avait pas retenu l’attention de tous les avant-projets ayant préparé la réforme. Pour autant, le contenu de ce chapitre reste est encore très perfectible.

Après avoir rappelé le principe de la restitution en nature (art. 1353), le projet d’ordonnance se penche d’emblée sur le cas particulier des obligations pécuniaires (art. 1353-1), avant d’examiner l’hypothèse plus générale des autres choses que de somme d’argent (art. 1353-2). Il aurait sans doute plus logique d’inverser ces deux dispositions. Mais en réalité, le désordre affecte l’ensemble du chapitre, puisque, évoquant par la suite la restitution des prestations de service (art. 1353-4), le projet revient dans un troisième temps sur le terrain des choses matérielles (art. 1353-5 et 1353-6), avant de retourner finalement aux prestations de service (art. 1353-7). Au surplus, l’article 1353-8 paraît répondre directement à l’article 1353-1, al. 2, puisque tous deux concernent le sort des sûretés constituées sur l’obligation à restituer. Enfin, l’article 1353-7 est le parfait doublon de l’article 1353-4… Une remise en ordre s’impose donc.

Sur le fond, l’exposé pourrait également être plus clair. Tout en affirmant à l’article 1352-2 que la restitution de la chose comprend les fruits qu’elle a produits, en opposition apparente avec les actuels articles 549 et 550 du Code civil, l’article suivant poursuit en précisant que, en réalité, les fruits ne sont dus que du jour où celui qui les a perçus était de mauvaise foi, ce qui revient à reconduire la règle traditionnelle selon laquelle les fruits sont acquis au possesseur de bonne foi. La présentation est la même pour la restitution de somme d’argent : à s’en tenir à l’article 1353-1, le capital à restituer serait augmenté des intérêts et autres accessoires perçus par l’accipiens, sans égard pour sa bonne ou mauvaise foi ; mais l’article 1353-3 révèle que, en réalité, les intérêts ne sont eux-mêmes dus que du jour où l’accipiens a eu connaissance de la prétention du tiers sur le capital perçu. Dans un cas comme dans l’autre, donc, le projet d’ordonnance s’en tient, contrairement à ce qui est affiché, à la règle selon laquelle le possesseur de bonne foi fait les fruits siens, par exception au principe de leur acquisition au propriétaire par accession (C. civ., art. 546), étant précisé que, pas plus que dans le Code de 1804, il n’est distingué selon que ces fruits ont été ou non consommés. La même solution est d’ailleurs étendue à la compensation de la jouissance dont le possesseur a profité.

Dans ces conditions, ce n’est pas la volonté d’éviter une perte imprévue au possesseur de bonne foi qui fonde cette dérogation, puisqu’il pourrait au moins devoir restituer les fruits non consommés. Au fond, rien ne l’a jamais justifiée, à partir du moment surtout où l’on permet que cette perte soit compensée par le remboursement, par le revendiquant, des frais d’entretien et de conservation exposés par le possesseur (art. 1353-5, al. 1er, proj.). Quelle peut bien être la justice à l’œuvre dans une solution qui consiste, après résolution de la vente d’un immeuble, à en attribuer tous les loyers à l’acquéreur évincé, tout en autorisant ce dernier à réclamer au surplus le remboursement de ses frais de conservation et d’amélioration au propriétaire agissant en revendication ? En fin de compte, on peut se demander s’il était bien utile de conserver une règle dérogatoire qui a toujours peiné à se trouver la moindre explication logique, autre que celle consistant à simplifier les comptes de restitution, quitte à sacrifier pour ce faire les intérêts d’un propriétaire qui n’aura jamais pu jouir de son bien. On observera en ce sens que le projet Catala proposait de s’en tenir au principe d’une restitution s’étendant aux fruits de la chose, même consommés, sans réserver la bonne foi du possesseur (art. 1164-2), et que cette solution serait également celle adoptée par le futur règlement européen pour un droit commun de la vente (propos. règl. UE 2011(635) du 11 oct. 2011, art. 172 et 173). La charge de la preuve supportée par le revendiquant limite suffisamment l’apparente rigueur de cette obligation. Et il ne semble pas qu’il y ait lieu de poser une solution différente pour les intérêts de somme d’argent, le principe du nominalisme monétaire étant sans application lorsqu’il s’agit de restituer les fruits du capital à celui qui aurait dû en disposer. Au demeurant, à partir du moment où l’on attribue la plus-value au propriétaire de la chose (art. 1353-5, al. 3), on ne voit pas ce qui justifie de poser une autre solution pour les intérêts qui augmentent la valeur du capital.

Quant à la date d’évaluation, le projet reprend la solution plus ou moins acquise en jurisprudence selon laquelle la valeur du bien disparu est estimée au jour de la restitution mais en l’état qui était le sien au jour de sa délivrance, sauf à avancer cette dernière date à celle de « l’obligation », c’est-à-dire sans doute au jour de l’exigibilité initiale de la prestation dont il est demandé restitution. Curieusement cependant, cette règle n’est énoncée que pour la restitution des fruits qui ne se retrouvent pas en nature, alors qu’elle a vocation à valoir aussi bien, et en premier lieu, pour le principal. Mais au vrai, c’est son bien-fondé même qui mériterait d’être discuté. L’examen du droit positif révèle que la règle n’est appliquée que pour évaluer le montant d’un avantage obtenu dans le passé, qu’il s’agisse de celui né d’un acte lésionnaire s’il est question de calculer l’indemnité de rachat (C. civ., art. 1675), de la valeur rapportable à la succession par l’héritier gratifié (art. 860), ou encore de l’avantage réductible à hauteur de l’atteinte portée à la réserve héréditaire (art. 922). Dans de telles hypothèses, il est naturel de se placer au jour de la donation ou de la vente pour apprécier la valeur de l’avantage que cette opération a procuré. En revanche, cette vision rétrospective est sans objet lorsqu’il s’agit de restituer l’équivalent en valeur d’une chose disparue ou détériorée : en cette autre hypothèse, c’est toujours à la date de la restitution qu’il convient de se placer. Telle est bien, par exemple, la solution qui prévaut pour le calcul des récompenses dues entre les époux et la communauté (C. civ., art. 1469). On ne peut affirmer tout à la fois que le revendiquant supporte la moins-value et profite de la plus-value, d’un côté, et considérer de l’autre que l’objet de la restitution devrait être évalué en considération d’un état antérieur à son état actuel. En réalité, à partir du moment où le propriétaire doit être rétabli comme s’il était resté en possession de sa chose, celle-ci doit lui être rendue en son état actuel, au jour de la restitution. Par principe donc, il doit en supporter les dégradations tout comme il bénéficie de son accroissement. Ceci posé, c’est alors une autre question que de savoir quel tempérament il y a lieu d’y apporter.

S’agissant de la plus-value apportée à la chose, la règle est claire : le propriétaire doit au restituant les impenses nécessaires ou utiles, c’est-à-dire les frais exposés pour conserver la chose ou pour en augmenter la valeur (art. 1353-5, al. 1er, proj.). Sachant que, à partir du moment où l’on a admis qu’il y avait lieu d’appliquer ici les règles de la gestion d’affaire, et non celles de l’enrichissement sans cause (v. art. 1301 et s., supra), le propriétaire devra toutes les dépenses qu’il aurait lui-même effectuées, même si leur montant s’avère supérieur à la plus-value obtenue ou à la moins-value évitée. Dans le cas inverse d’une moins-value de la chose, le principe de son imputation au propriétaire devrait être tout aussi certain, dès lors que la contrepartie s’en trouve pour lui dans l’indemnisation de la jouissance qui lui est due par le restituant. Ce dernier n’est donc pas autrement tenu des dégradations advenues à la chose, à moins qu’il ait été de mauvaise foi, et de ce jour seulement. Et encore doit-il toujours pouvoir établir en ce cas que ces détériorations seraient également survenues si la chose était restée en possession de son propriétaire (rappr. art. 1320-5, supra). C’est peut-être ce que veut dire le projet d’ordonnance en énonçant que le restituant doit répondre des dégradations, même s’il est de bonne foi, dès lors qu’il ne démontre pas que celles-ci ne sont pas dues à sa faute (art. 1353-5, al. 2). Mais cette formulation est manifestement défectueuse, ne serait-ce que parce que, au moins pour tous les actes translatifs de propriété, le possesseur de bonne foi n’est jamais en faute de n’avoir pas entretenu un bien dont il se croyait légitimement propriétaire. Tout ce qui importe en réalité, c’est de déterminer si la perte se serait également produite chez le revendiquant. Entre la bonne foi et la mauvaise foi du possesseur, la charge de la preuve est donc simplement inversée : alors que, dans le premier cas, on présume que les dégradations seraient aussi bien intervenues chez le véritable propriétaire, il appartient au contraire au possesseur de mauvaise foi de prouver que les dégradations survenues de ce jour l’auraient été également chez le revendiquant.

L’article 1353-6 se penche sur l’hypothèse dans laquelle la chose à restituer aurait été entre-temps revendue par le possesseur, en rappelant qu’il s’opère en ce cas une subrogation réelle sur le prix de revente (rappr. C. civ., art. 1469, pour le calcul des récompenses dues à la dissolution du régime matrimonial) Le projet distingue à cet égard selon que le restituant était de bonne ou mauvaise foi au jour de son entrée en possession, de sorte à le rendre débiteur, dans le second cas seulement, de la plus forte des deux valeurs entre le prix perçu et la valeur de la chose au jour de la restitution. On peut discuter sur ce point de la pertinence de la date retenue, dès lors que la solution revient à protéger celui qui, après avoir appris le vice de son titre, décide de revendre malgré tout le bien qu’il avait acquis de bonne foi. Si l’on veut vraiment couvrir ce genre de comportement, alors c’est au jour de son acquisition, et non seulement de son entrée en possession, qu’il conviendrait de se placer. Par ailleurs, il importe de préciser que la même solution a vocation à valoir pour toute hypothèse d’aliénation, même à titre gratuit, de telle sorte que le propriétaire ne puisse rien réclamer au possesseur de bonne foi en cas de donation ou encore de perte matérielle de la chose. Toutefois, en ce dernier cas, le jeu de la subrogation réelle a vocation à se porter sur l’éventuelle indemnité due par l’assureur ou le tiers responsable.

Par ailleurs, le second alinéa de l’article 1353-1 précise que « Les sûretés du prêt d’argent sont reportées de plein droit sur l’obligation de restituer ». Où il faut comprendre, pour faire écho à une jurisprudence aussi constante que contestée que, en dépit de leur caractère accessoire, le cautionnement (Com., 17 nov. 1982, Bull., IV, n° 357 ; 1re civ., 18 mars 1997, Bull., I, n° 96 ; 29 oct. 2002, Bull., I, n° 253), mais aussi la sûreté réelle (3e civ., 5 nov. 2008, Bull., III, n° 167), sont réputés garantir toute obligation de restitution de l’emprunteur, qu’elle procède de l’exécution du contrat de prêt ou de son anéantissement. Toutefois, pour ne pas préjudicier plus que de raison aux prévisions du tiers caution, le projet ajoute que le paiement ne peut lui être réclamé avant le terme qui était initialement prévu au contrat de prêt. Si l’on comprend bien l’équilibre recherché par les auteurs du projet, cette solution d’entre-deux ne peut guère satisfaire un esprit juridique : comment peut-on tout à la fois détacher le sort du cautionnement de celui du contrat de prêt pour ne le lier qu’à la seule obligation de restitution, et appliquer cependant le terme contractuel du prêt à l’engagement de caution ? Car de deux choses l’une : soit on considère, pour justifier la résistance du cautionnement à l’annulation du prêt, que la sûreté a été consentie en garantie de l’obligation de restitution elle-même, quelle que soit son fondement, et alors il n’y aucune raison de faire bénéficier la caution du terme d’un contrat annulé ; soit on estime, pour l’en faire profiter néanmoins, qu’elle a bien cautionné l’obligation contractuelle de remboursement, et en ce cas l’annulation du prêt emporte nécessairement celle de la garantie qui en constituait l’accessoire. En toute hypothèse, on ne voit pas pour quelle raison la caution bénéficierait d’un terme contractuel, qui peut être étalé sur plus de vingt ans, sachant qu’elle s’est justement engagée à garantir le prêteur de la situation dans laquelle il viendrait à prononcer la déchéance de ce terme par suite du défaut de remboursement par l’emprunteur.

La lecture de l’article 1353-8 du projet laisse plus perplexe encore, qui paraît vouloir ressusciter les sûretés constituées pour garantir le paiement initial des obligations anéanties, de sorte à ce qu’elles viennent garantir de la même façon les obligations de restitution. Si le schéma étonne, c’est parce qu’une sûreté est par hypothèse consentie au profit d’un créancier et que celui-ci n’est plus le même au jour de la restitution. Quant à imaginer que celui qui a obtenu une sûreté pour le règlement d’une certaine obligation puisse l’actionner à l’effet de garantir une obligation qui n’a plus aucun rapport avec la première, c’est là dépasser de beaucoup l’intention du garant. En quoi la caution qui accepte de garantir le paiement des loyers devrait-elle être présumée vouloir garantir aussi la restitution de l’immeuble en cas d’anéantissement du bail ?

Au vu de ce qui précède, il est notamment proposé de réorganiser le chapitre à l’effet d’attribuer au revendiquant les fruits ou les intérêts de la chose restituée aussi bien que la compensation de la jouissance obtenue par le restituant, de s’en tenir au principe selon lequel la plus ou moins-value de la chose revient à son propriétaire sauf la preuve qu’elle ne serait pas survenue s’il était resté en possession, dont la charge dépend alors de la bonne ou mauvaise foi du possesseur, de différer au jour de l’aliénation la date d’appréciation de la bonne ou mauvaise foi du possesseur qui se sépare de la chose à restituer, de supprimer le bénéfice du terme contractuel accordé à la caution garantissant l’obligation de restitution découlant de l’annulation du prêt, et de supprimer tout autre report des sûretés sur une obligation de restitution qui ne procéderait pas d’un contrat de prêt.

III. Proposition

Article 1353 [sans changement] : « La restitution a lieu en nature ou, lorsque cela est impossible, en valeur. »

Article 1353-1 : « La restitution a lieu en l’état de la chose au jour de sa restitution

Les plus-values et les moins-values de la chose sont pour celui qui en obtient la restitution, à moins qu’il soit établi qu’elles ne se seraient pas produites si la chose était restée entre ses mains. »

Article 1353-2 : « Celui qui a possédé de bonne foi ne répond pas des dégradations de la chose, à moins que l’autre partie prouve que celles-ci ne se seraient pas produites si elle était restée en possession.

Du jour où il est de mauvaise foi, celui qui est tenu à restitution répond des dégradations qui ont diminué la valeur de la chose, à moins qu’il prouve qu’elles se seraient également produites chez celui qui la réclame. »

Article 1353-3 : « Lorsque la chose a disparu, celui qui était de bonne foi ne doit restituer que la contrepartie qu’il en a obtenue.

S’il en a disposé de mauvaise foi, il en doit la valeur au jour de la restitution lorsqu’elle est supérieure à la contrepartie obtenue. »

Article 1353-4 : « Celui à qui est due la restitution doit à l’autre partie la charge des dépenses qu’elle a exposées pour la conservation et l’exploitation de la chose, selon les règles de la gestion d’affaire. »

Article 1353-5 : « La restitution d’une chose comprend les fruits et la compensation de la jouissance qu’elle a procurés.

De même, la restitution d’une somme d’argent porte sur le principal de la somme reçue ainsi que sur les intérêts et les taxes acquittées entre les mains de celui qui a reçu le paiement. »

Article 1353-6 : « La restitution des fruits, s’ils ne se retrouvent pas en nature, a lieu selon leur valeur estimée au jour où ils ont été consommés.

La compensation de la jouissance est évaluée au jour où elle est intervenue. »

Article 1353-7 : « La restitution d’une prestation de service consommée a lieu en valeur. Celle-ci est appréciée à la date à laquelle la prestation a été fournie.

L’action en restitution dirigée contre celui qui n’a bénéficié de la prestation que par l’intermédiaire d’un tiers obéit aux règles applicables à l’enrichissement injustifié. »

Article 1353-8 : « Les sûretés du prêt d’argent sont présumées garantir l’obligation de restitution sans égard pour la validité du prêt contracté. »

TITRE IV bis – DE LA PREUVE DES OBLIGATIONS

Ainsi qu’il a été dit dès l’introduction de cet examen du projet, il aurait pu être saisi l’occasion de la réforme du livre III du Code civil pour en supprimer le titre IV bis, qui y avait été greffé par la loi du 19 mai 1998 au seul effet de transposer une directive communautaire, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux. Celle-ci étant destinée à être déplacée sous les articles 1232 et suivants avec le reste des dispositions relatives à la responsabilité extracontractuelle, rien n’imposait de continuer à faire vivre cette bouture dans le Code civil. La preuve faisant en réalité partie intégrante du régime de l’obligation, il conviendrait de réintégrer ce titre comme chapitre Ier du titre IV consacré dans le projet au régime général de l’obligation. Au demeurant, il suffit d’observer que ce titre du projet ne contient que des sections pour comprendre que sa taille naturelle est celle du chapitre.

Le projet a fait le choix de modifier le plan du Code de 1804 en développant deux sections liminaires avant d’entrer dans le détail de chaque moyen de preuve. Une dizaine d’articles aujourd’hui contenus pour la plupart dans les sections propres aux modes probatoires sont ainsi remontés dans une première section intitulée « Dispositions générales » et dans une deuxième consacrée à « L’admissibilité des modes de preuve ». Considérant toutefois que la plupart d’entre eux sont relatifs soit aux présomptions, soit à l’écrit, on peut se demander si ce choix s’imposait véritablement. Au fond, seuls trois articles échappent à ce rattachement et pouvaient dès lors figurer directement comme dispositions liminaires, sans autre intitulé : l’article relatif à la charge de la preuve (actuel art. 1315, renuméroté 1354), celui posant la validité des conventions sur la preuve (art. 1357 proj.), et la disposition formulant le principe de liberté de la preuve (art. 1359 proj.). Quant aux articles 1356 et 1358 du projet, rappelant pour l’un les conditions de l’autorité de la chose jugée (art. 1351 actuel), et renvoyant pour l’autre aux règles d’administration de la preuve contenues dans le Code de procédure civile, elles auraient mieux eu leur place dans cet autre code. En définitive, si le déplacement de certains articles se justifiait sans doute au sein de l’actuel chapitre VI du titre III Code civil, la modification du plan de ce chapitre ne s’imposait peut-être pas.

S’agissant enfin de la rédaction, c’est ici le moment de souhaiter qu’une harmonisation soit réalisée dans l’utilisation de l’expression « tous moyens », qui est celle du Code de 1804, mais qui est parfois remplacée dans le projet d’ordonnance par celle de « tout moyen », sans qu’aucune variation sémantique ne paraisse le justifier. On compte ainsi cinq occurrences de cette dernière expression dans le projet, contre quatre pour la première.

Section 1 – Dispositions générales
(art. 1354 à 1358)

Article 1354 : « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. »

Article 1355 : « La présomption légale qu’une loi spéciale attache à certains actes ou à certains faits dispense de preuve celui au profit duquel elle existe.

La présomption simple peut être renversée par tout moyen de preuve ; la présomption mixte, par le seul moyen particulier permis par la loi, ou sur le seul objet visé par elle ; la présomption irréfragable, par l’aveu judiciaire ou le serment décisoire. »

Article 1356 : « L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. »

Article 1357 : « Les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition.

Néanmoins, ils ne peuvent contredire les présomptions établies par la loi, ni modifier la foi attachée à l’aveu ou au serment. Ils ne peuvent davantage établir au profit de l’une des parties une présomption irréfragable attachée à ses propres écritures. »

Article 1358 : « L’administration judiciaire de la preuve et les contestations qui s’y rapportent sont régies par le code de procédure civile. »

I. Présentation

Les articles 1354 à 1358 composent les dispositions générales de la preuve. Ils s’insèrent au sein d’une première section dont l’objet est manifestement de recueillir les dispositions qui n’auront pas pris place au sein des autres sections. Il en résulte un certain manque de cohérence entre ces cinq articles, qui traitent successivement de la charge de la preuve, des types de présomption, de l’autorité de la chose jugée, des conventions sur la preuve et de l’administration de la preuve.

II. Analyse

En tant qu’il reprend l’excellente rédaction de l’actuel article 1315 du Code civil, d’ores et déjà situé au frontispice des dispositions relatives à la preuve, l’article 1354 du projet d’ordonnance échappe à toute observation critique.

L’article 1355, qui détaille les différentes espèces de présomption légale, aurait été mieux situé au sein de la sous-section 3, relative aux présomptions, laquelle aurait ainsi eu un objet moins restreint que celui visé par son article unique consacré à la seule présomption de l’homme, qualifiée de judiciaire (art. 1382, infra). On comprend bien l’argument avancé par le projet Terré, selon lequel les présomptions légales constituent des dispenses de preuve plus encore que des modes de preuve, de sorte qu’il n’y aurait pas lieu de les envisager avec ces derniers (Pour une réforme du régime général des obligations, Dalloz, 2013, p. 151). Mais, sur la base d’une telle analyse, il faudrait toujours y associer les présomptions de l’homme, qui visent elles aussi, comme toute présomption, à tirer un fait inconnu d’un fait connu. Par conséquent, il semble de loin préférable, ne serait-ce que pour des raisons simplement pratiques, de conserver la solution du Code civil consistant à évoquer ensemble les dispositions relatives aux différentes présomptions.

Dans son contenu, cette disposition détaille trois espèces de présomptions différentes, introduisant ainsi dans le Code civil une catégorie « mixte » entre la présomption simple et la présomption irréfragable. Le projet indique que cette présomption intermédiaire vise celle pour laquelle la loi limite les moyens de la renverser ou encore l’objet de ce renversement. Mais s’il ne s’agit que de limiter l’objet de la preuve, alors c’est que la présomption est simple pour certains objets et irréfragable pour d’autres, à l’égard de ceux qu’il n’est pas possible de renverser. Par conséquent, si l’on veut bien distinguer les présomptions en fonction de leur objet, celle-ci n’a plus rien de mixte.

On aurait sans doute mieux traduit cette catégorie intermédiaire par la qualification de présomption renforcée, mais le sens donné par le projet à la présomption irréfragable empêchait sans doute ce choix puisque, désormais, la présomption irréfragable serait bel et bien réfragable, au moyen soit de l’aveu, soit du serment. On reste confondu de cette définition. Par essence, une présomption irréfragable ne peut jamais être renversée, sinon c’est qu’elle n’est tout au plus que renforcée. Il est vrai que l’image d’une présomption insusceptible de preuve contraire paraît jurer avec l’idée même de présomption. Mais telle a toujours été sa portée, qui consiste justement, pour cette raison, à en faire une véritable règle de fond plutôt que de preuve, comme à chaque fois que la loi « répute » au lieu de simplement « présumer ». En dépit de la présentation qu’en fait parfois en doctrine, la formule de l’article 1352, alinéa 2, in fine, du Code civil n’a jamais permis au juge de méconnaître l’existence d’une présomption irréfragable au prétexte de l’aveu de celui à qui elle profite, et encore moins du serment de celui qu’elle dessert.

Une telle vision des choses procède en réalité d’une confusion entre la question de la preuve d’un fait contesté, où intervient la présomption, et l’hypothèse dans laquelle le fait n’a pas à être établi pour cette simple raison qu’il n’est pas contesté, étant tenu pour constant par les parties. Dans ce second cas, le juge n’a pas même à s’interroger sur l’existence du fait en cause. Et si la présomption légale lui impose, notamment parce qu’elle est d’ordre public, d’écarter le fait tenu pour constant par les parties, alors il est parfaitement exclu que l’aveu de l’une d’elle ou que le serment de l’autre puisse faire obstacle à l’application d’une règle de droit impérative. Le cas de l’autorité de la chose jugée suffit à le faire voir : l’article 1352 vise cette autorité parmi les cas de présomption irréfragable, tout en réservant l’aveu ou le serment de l’une des parties, alors qu’il est pourtant hors de doute que ni l’aveu ni le serment ne peuvent remettre en cause l’autorité qui s’attache à une décision de justice. Simplement, il se trouve que cette précédente décision pourrait ne pas être invoquée par les parties.

Poser en définition que l’irréfragable ne le serait plus par principe ne serait d’ailleurs pas sans conséquences pour toutes les solutions qui reposent aujourd’hui sur une telle présomption. Que l’on songe seulement, même si cela peut être discuté pour tel ou tel de ces exemples, à la libération du débiteur déduite de la remise du titre par le créancier, à la personne réputée interposée de l’article 1125-1 du Code civil (art. 1151-1 proj.), au bail souscrit par un seul époux mais réputé également conclu par le conjoint (C. civ., art. 1751), à la condition réputée accomplie de l’actuel article 1178 du Code civil, au vice du consentement établi du seul fait de la lésion ou du manquement du professionnel à une obligation légale d’information, au droit du gérant d’affaire à être indemnisé dès lors que le propriétaire aurait agi de la même manière que lui, au défaut de surveillance du gardien de la chose à l’origine du dommage, au contrat de travail réputé à durée indéterminée en l’absence de terme stipulé par écrit, à l’absence de cause réelle et sérieuse fondée sur une lettre de motivation non motivée, etc. Toutes ces règles de fond se trouveraient ainsi déclassées en de simples règles de preuve, même renforcée. Véritablement, une nouvelle rédaction de l’article 1355 s’impose à l’effet de restituer aux présomptions irréfragables leur intégrité. Il vaut mieux, à tout prendre, supprimer le concept même plutôt que d’en altérer ainsi la substance.

L’article suivant reproduit le texte de l’actuel article 1351 du Code civil, tout en le détachant de la section relative aux présomptions. Il est toutefois à noter que, si le Code de 1804 évoquait l’autorité de la chose jugée avec la preuve, c’est pour cette seule raison qu’il y voyait un cas de présomption légale. Par conséquent, à partir du moment où le projet a fait le choix de dissocier cet attribut des jugements de toute idée de présomption de vérité judiciaire, plus rien ne justifie de le maintenir dans les règles de preuve. En réalité, sa place est dans le Code de procédure civile, au côté de l’article 480 et des nombreuses autres dispositions à valeur législative que contient ce code réglementaire.

Quant à l’article 1357, il vient poser un principe de validité des conventions sur la preuve tout en cantonnant leur portée aux seuls droits disponibles, limite classique s’il en est. À partir du moment où cette exception figure dans la même phrase à la suite du principe, le second alinéa, qui vient préciser les cas pour lesquels ces conventions ne sont pas possibles, développe plus qu’il ne s’oppose au premier alinéa. Il n’y a donc pas lieu de l’introduire, comme le fait le projet, par la conjonction « néanmoins ». Par ailleurs, sur le fond, on comprend mal pour quelle raison les parties ne pourraient pas stipuler sur les présomptions établies par la loi, tant que celles-ci ne sont pas impératives, qu’il s’agisse de renverser a priori une présomption simple ou même d’écarter une présomption irréfragable à laquelle ne s’attache aucun intérêt d’ordre public.

Enfin, l’article 1358 opère un renvoi au Code de procédure civile pour toutes les règles gouvernant l’administration de la preuve. Il n’y a pas lieu d’y ajouter que s’y trouve également renvoyées les dispositions relatives à l’autorité de la chose jugée dès lors que celle-ci n’a plus rien à voir désormais avec la question de la preuve des obligations.

Sous le bénéfice de ces observations, il est proposé d’adopter une autre définition des présomptions irréfragables afin de maintenir leur caractère absolu, de supprimer la référence aux présomptions établies par la loi des exceptions au principe de validité des conventions sur la preuve, et de déplacer l’article relatif à l’autorité de la chose jugée dans le Code de procédure civile.

III. Proposition

Article 1354 : sans changement.

Article 1355 : déplacement à l’article 1382 du projet sous la rédaction suivante.

« La présomption légale qu’une loi spéciale attache à certains actes ou à certains faits dispense de preuve celui au profit de qui elle existe.

La présomption simple peut être renversée par tout moyen de preuve ; la présomption renforcée, par le seul moyen particulier permis par la loi ; la présomption irréfragable ne peut être renversée par aucun moyen de preuve. »

Article 1356 : suppression [déplacement dans le Code de procédure civile].

Article 1357 : « Les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition.

Ils ne peuvent contredire ni modifier la foi qui s’attache à l’aveu ou au serment. Ils ne peuvent davantage établir au profit de l’une des parties une présomption irréfragable attachée à ses propres écritures. »

Article 1358 : sans changement.

Section 2 – L’admissibilité des modes de preuve
(art. 1359 à 1363)

Article 1359 : « La preuve des faits est libre. Elle peut être apportée par tous moyens. »

Article 1360 : « L’acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit.

Il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit, même si la somme ou la valeur n’excède pas ce montant, que par un autre écrit sous signature privée ou authentique.

Il peut être suppléé à l’écrit par l’aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Article 1361 : « Celui dont la créance excède le seuil visé à l’article précédent ne peut pas être dispensé de la preuve par écrit en restreignant sa demande.

Il en est de même de celui dont la demande, même inférieure à ce montant, porte sur le solde ou sur une partie d’une créance supérieure à ce montant. »

Article 1362 : « Constitue un commencement de preuve par écrit tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable le fait allégué.

Peuvent être considérés par le juge comme équivalant à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution.

La mention d’un écrit authentique ou sous signature privée sur un registre public vaut commencement de preuve par écrit. »

Article 1363 : « Les règles ci-dessus reçoivent exception en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s’il est d’usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l’écrit a été perdu par force majeure. »

I. Présentation

Sous un intitulé consacré à « L’admissibilité des modes de preuve », les articles 1359 à 1363 du projet d’ordonnance reconduisent pour l’essentiel les articles 1341 à 1348 de l’actuel Code civil.

II. Analyse

On ne niera pas que, consacrées pour la plupart à l’exigence de preuve scripturale, les articles 1341 et suivants du Code civil n’avaient qu’un rapport indirect avec la section traitant de la preuve testimoniale. Mais, pour cette raison, leur déplacement pouvait se faire vers la section relative à la preuve par écrit, sans qu’il soit besoin d’en constituer une nouvelle dédiée à l’admission des modes de preuve. Au demeurant, les règles gouvernant le commencement de preuve par écrit (art. 1362 proj.) relèvent plus sûrement des conditions de constitution de l’écrit, auxquelles elles dérogent, que de la question de l’admission des modes de preuve, qui supposerait d’en faire un moyen de preuve distinct, en contradiction avec sa raison d’être.

Il pourrait donc être envisagé de déplacer l’ensemble de ces dispositions vers la sous-section relative à la preuve par écrit, dans ses « Dispositions générales ». Seul l’article 1359, rappelant le principe de liberté de la preuve, mériterait de demeurer avec les deux autres dispositions véritablement préliminaires que sont les articles 1354 et 1357 (v. observations générales, supra). Ceci fait, le projet pourrait être débarrassé de ces deux sections liminaires, assez artificielles en l’état, et les sous-sections relatives aux modes de preuve être ainsi rehaussées comme sections.

L’article 1359 emploie exactement le verbe « apporter » plutôt que « rapporter », aujourd’hui trop souvent utilisé à la place du premier. Mais il conviendrait alors que son usage soit, ici encore, généralisé à l’ensemble du projet (v. par ex. art. 1334). Sur le fond en revanche, il serait plus habile et plus exact de disposer de façon générale, et non pas seulement pour les faits juridiques, que la preuve est libre, sauf les exceptions posées par la loi. Car le principe de liberté probatoire vaut aussi bien pour les faits juridiques, que pour les droits réels, ou encore pour les actes juridiques dont la valeur est inférieure à 1.500 euros, ou dont la valeur est indéterminée, ou encore même pour tout acte juridique en matière commerciale, l’exigence scripturale ne concernant en définitive que les seuls actes juridiques constitutifs de droits dont la valeur dépasse 1.500 euros en matière civile.

Le dernier alinéa de l’article 1360, qui énumère les modes de suppléance à la preuve écrite, omet une virgule d’importance entre le serment décisoire et le commencement de preuve par écrit. Faute de cette ponctuation, l’obligation de compléter ce mode de preuve par un autre pourrait s’appliquer aussi bien au commencement de preuve, ce qui est normal, qu’au serment, ce qui serait tout à fait inédit.

Surtout, il résulte de la rédaction adoptée par le projet d’ordonnance que, dorénavant, ni l’aveu judiciaire ni le serment décisoire ne pourront permettre de prouver outre ou contre un écrit, alors que la jurisprudence avait tiré de la lettre de l’article 1341 du Code civil, qui n’exclut que la preuve testimoniale, que l’écrit pouvait être combattu par l’un ou l’autre de ces deux autres modes de preuve parfaite (1re civ., 22 mars 1977, Bull., I, n° 146). Désormais donc, l’aveu et le serment ne pourront plus servir qu’à suppléer l’absence d’écrit lorsque celui-ci était requis, sans pouvoir contredire celui qui a été établi.

L’article 1361 recueille en les réduisant à l’essentiel les actuels articles 1342 à 1346 du Code civil. Ce faisant, il supprime notamment la règle de concentration des demandes que l’article 1346 opposait au créancier pour le contraindre à joindre dans une même action l’ensemble des prétentions formulées contre le même débiteur en l’absence de tout écrit. Cette disposition pose il est vrai difficulté, non pas tant en soi, mais parce qu’elle fait suite à l’article 1345, également supprimé par le projet, qui impose à ce même créancier de produire un écrit pour établir l’existence de ses titres dès lors que leur total excède le seuil de la preuve scripturale. D’un côté donc, il est fait obligation au créancier de réunir dans la même action toutes les demandes fondées sur des titres qui n’avaient pas à être établis par écrit ; de l’autre, ces demandes sont toutes écartées, faute d’écrit, dès lors que leur total dépasse le seuil de l’article 1341. De la sorte, on impose au créancier de concentrer ses demandes pour mieux les rejeter… De ces deux dispositions, c’est évidemment la dernière, consignée à l’article 1345, qui est la plus contestable ; mais au fond, rien ne commandait véritablement non plus la première. Seule demeure en définitive dans le projet la règle, seule logique, qui impose au créancier de produire un écrit dès lors que le titre originaire portait sur une créance supérieure au seuil de la preuve scripturale, sans qu’il lui soit permis d’échapper à cette exigence probatoire en réduisant le montant de sa demande, même si cette réduction se justifie par la réception préalable d’un paiement partiel.

Les articles 1362 et 1363 n’appellent pas pour leur part d’observations particulières, en tant qu’ils se bornent à reconduire les règles relatives au commencement de preuve par écrit (art. 1347 actuel), pour lequel il est simplement précisé que doit être tenue pour tel la mention de l’écrit sur un registre public, et à l’impossibilité de constituer ou de produire un écrit (art. 1348 actuel). Sous ce dernier aspect toutefois, l’article 1363 souscrit à une proposition du projet Terré visant à inclure l’usage dans les dérogations à l’exigence d’écrit, sans que l’on sache bien s’il faut entendre le seul usage professionnel ou même le simple usage inter partes. Au vu de la jurisprudence, il faut sans doute y associer les deux, le premier parce qu’il vaudrait comme une espèce d’impossibilité morale de constituer un écrit (1re civ., 15 avril 1980, Bull., I, n° 113 ; Com., 22 mars 2011, Bull., IV, n° 50), le second pour cette raison qu’il manifesterait la volonté tacite des parties de renoncer à cette exigence probatoire (Civ., 1re sect., 5 nov. 1952, Bull., I, n° 286 ; 29 juin 1960, Bull., I, n° 355). Dorénavant néanmoins, il ne sera plus requis du juge qu’il constate l’une ou l’autre de ces deux justifications, la seule constatation de l’existence d’un usage, quel qu’il soit, suffisant à revenir au principe de liberté de la preuve. Se trouverait ainsi finalement expliquée la dérogation traditionnelle que le droit commercial oppose à l’application des articles 1316 et suivants du Code civil.

Reste, quant à sa situation, que, en tant qu’il reprend le seul des actuels articles 1341 et suivants du Code civil à traiter véritablement de la preuve testimoniale, l’article 1363 du projet d’ordonnance trouverait mieux sa place au côté de l’article 1381 du projet.

Au total, il est simplement proposé de reformuler le principe de liberté de la preuve à l’article 1359, de déplacer l’article 1363 vers la [sous-]section relative à la preuve par témoins, de subdiviser en conséquence l’article 1360 pour rétablir la numérotation, et d’ajouter une virgule à son dernier alinéa.

III. Proposition

Article 1359 : « Sauf les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen. »

Article 1360 [art. 1360 proj., al. 1er] : « L’acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit.»

Article 1361 : sans changement.

Article 1362 [art. 1360 proj., al. 2 et 3] : « Il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit, même si la somme ou la valeur n’excède pas le montant prévu à l’article 1360, que par un autre écrit sous signature privée ou authentique.

Il peut être suppléé à l’écrit par l’aveu judiciaire, le serment décisoire, ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Article 1363 : article 1362 déplacé.

Déplacement de l’actuel article 1363 du projet vers la [sous-]section relative à la preuve par témoins (art. 1381 proj.).

Section 3 – Les différents modes de preuve
(art. 1364 à 1386-1)

Article 1369 : « L’acte authentique est celui qui a été reçu, avec les solennités requises, par un officier public ayant compétence pour instrumenter.

Il peut être dressé sur support électronique s’il est établi et conservé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.

Lorsqu’il est reçu par un notaire, il est dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi. »

Article 1370 : « L’acte qui n’est pas authentique du fait de l’incompétence ou de l’incapacité de l’officier, ou par un défaut de forme, vaut comme écrit sous signature privée, s’il a été signé des parties. »

Article 1371 : « L’acte qui n’est pas authentique du fait de l’incompétence ou de l’incapacité de l’officier, ou par un défaut de forme, vaut comme écrit sous signature privée, s’il a été signé des parties. »

I. Présentation

Les articles 1369 à 1371 du projet d’ordonnance traitent de l’acte authentique en épurant un peu les dispositions figurant aujourd’hui aux articles 1317 à 1321 du Code civil.

II. Analyse

Après avoir défini l’acte authentique et évoqué la possibilité de le dresser sur support électronique, l’article 1369 reprend dans son dernier alinéa la formule de l’article 1317-1, créé par la loi du 28 mars 2011, selon laquelle l’acte authentique reçu par un notaire est « dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi ». La rédaction mériterait pourtant d’être améliorée car, en l’état, elle est suspecte d’ambiguïté, ou pourrait le devenir si d’aventure la loi venait à imposer des mentions manuscrites pour l’établissement même des actes authentiques. Ce que paraît dire le texte à ceux qui ne savent pas ce que visait le législateur de 2011, c’est que le notaire pourrait ne pas avoir à respecter les exigences manuscrites qui conditionneraient l’établissement des actes authentiques non notariés. Une rédaction plus précise pourrait donc être adoptée.

Quant à l’article 1371 du projet, il reprend en substance la règle de l’article 1319 du Code civil tout en supprimant la distinction que celui-ci opère, il est vrai de façon inutilement subtile, entre l’inscription de faux élevée à titre principal et celle opposée à titre incident : dans tous les cas désormais, le juge disposera toujours d’un pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité de suspendre ou non l’exécution de l’acte contesté. Ici encore cependant, c’est en la forme que la rédaction pourrait être améliorée. Alors que le premier alinéa rappelle la formule célèbre selon laquelle « L’acte authentique fait foi jusqu’à inscription de faux », le second alinéa est ainsi rédigé : « En cas de demande d’inscription de faux, le juge peut suspendre l’exécution de faux. » À première lecture, cette différence de rédaction paraît vouloir signifier que la demande d’inscription précéderait l’inscription elle-même, comme si cette dernière consistait en la déclaration de faux par le juge, alors qu’il n’en est rien : l’inscription de faux elle-même n’est que la prétention de la partie qui, précisément, s’inscrit en faux contre l’acte qui lui est opposé. Et c’est dès ce jour que l’acte authentique perd, même temporairement, la force probante qui s’attache aux actes de l’autorité publique.

Il est donc proposé de modifier la rédaction des derniers alinéas des articles 1369 et 1371 de sorte à les expurger de toute ambiguïté.

III. Proposition

Article 1369 : « L’acte authentique est celui qui a été reçu, avec les solennités requises, par un officier public ayant compétence pour instrumenter.

Il peut être dressé sur support électronique s’il est établi et conservé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.

Lorsqu’il est reçu par un notaire, les parties sont dispensées des mentions manuscrites exigées par la loi pour l’établissement des actes sous signature privée. »

Article 1370 : sans changement.

Article 1371 : « L’acte authentique fait foi jusqu’à inscription de faux de ce que l’officier public a attesté avoir personnellement accompli ou constaté.

En cas de contestation de l’authenticité de l’acte, le juge peut en suspendre l’exécution. »

Article 1372 : « L’acte sous signature privée, reconnu par la partie à laquelle on l’oppose ou légalement tenu pour reconnu à son égard, fait foi de son existence entre ceux qui l’ont souscrit et entre leurs héritiers et ayants cause. »

Article 1373 : « La partie à laquelle on l’oppose peut désavouer son écriture ou sa signature. Les héritiers ou ayants cause d’une partie peuvent pareillement désavouer l’écriture ou la signature de leur auteur, ou déclarer qu’ils ne les connaissent. Dans ces cas, il y a lieu à vérification d’écriture. »

Article 1374 : « L’acte sous signature privée contresigné par avocat fait foi de l’écriture et de la signature des parties.

La procédure de faux prévue par le code de procédure civile lui est applicable.

Cet acte est dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi. »

Article 1375 : « L’acte sous signature privée qui contient un contrat synallagmatique ne fait preuve que s’il a été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct, à moins que les parties soient convenues de remettre à un tiers l’unique exemplaire dressé.

Chaque original doit mentionner le nombre des originaux qui en ont été faits.

Celui qui a exécuté le contrat ne peut opposer le défaut de la pluralité d’originaux ou de la mention de leur nombre.

L’exigence d’une pluralité d’originaux est réputée satisfaite pour les contrats sous forme électronique lorsque [l’acte est établi et conservé conformément aux articles 1366 et 1367 que] le procédé permet à chaque partie de disposer d’un exemplaire ou d’y avoir accès. »

Article 1376 : « L’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, l’acte sous signature privée vaut pour la somme écrite en toutes lettres. »

Article 1377 : « L’acte sous signature privée ne fait foi de sa date à l’égard des tiers que du jour où il a été enregistré, du jour de la mort d’un signataire, ou du jour où sa substance est constatée dans un acte authentique. »

I. Présentation

Les articles 1372 à 1377 règlent l’acte sous seing privé, qui se plie à son tour aux exigences de modernisation du langage juridique, pour devenir l’acte sous signature privée.

II. Analyse

L’article 1372 du projet reprend la disposition de l’actuel article 1322 du Code civil tout en abandonnant la référence à la valeur authentique de l’acte sous seing privé entre ses parties, qui pouvait prêter il est vrai à confusion. Mais il conviendrait alors de supprimer également la condition de reconnaissance de l’acte par son auteur, car c’est précisément cette reconnaissance qui, fermant la voie du désaveu d’écriture, justifiait l’assimilation. Au fond, la règle est donc simple : l’acte sous seing privé fait foi contre son auteur, sauf désaveu d’écriture. Ainsi rédigée, la disposition suppose cependant de préciser la formule adoptée au premier alinéa l’article 1374 du projet pour l’acte contresigné par avocat (v. infra).

Quant à l’objet de cette preuve, le projet entend préciser que l’acte sous signature privée fait foi de son existence seulement, alors que, quitte à entrer dans le détail, il conviendrait d’indiquer qu’il fait également foi de son contenu. Mais on peut aussi ne rien en dire, ce qui permettrait de signifier autant par économie de mots. Par ailleurs, il serait utile de rappeler que les tiers peuvent eux-mêmes se prévaloir de l’existence d’un acte sous seing privé contre leurs auteurs, et de remplacer pour ce faire « entre » par « contre » leurs auteurs. Cette force probante vaut bien aussi contre les ayants cause, mais sans qu’il soit alors nécessaire de faire spécialement mention des héritiers, qui sont des ayants cause parmi d’autres.

L’article 1373, qui traite des conditions du désaveu d’écriture, modifie l’énoncé de l’actuel article 1323 de sorte à aligner le texte sur la pratique judiciaire. Celle-ci n’a jamais exigé en effet que celui auquel on oppose l’acte sous seing privé prenne positivement parti sur l’authenticité de l’écriture qui lui est opposée : il suffit qu’il accepte de débattre sur la base de cet acte, sans élever de contestation sur ce point, pour que la reconnaissance s’en déduise. Pour les ayants cause, les règles sont différentes. Puisqu’ils peuvent n’avoir jamais connu l’écriture de leur auteur, ils sont recevables à en demander la vérification sans avoir à la désavouer ni même la dénier formellement : il leur suffit de déclarer ne pas la connaître. C’est cette solution traditionnelle que reconduit le projet. L’article 1373 n’exige donc pas d’autres modifications, sinon de pure forme, que celle consistant à corriger une apparente coquille (« qu’ils ne les connaissent pas »).

L’article suivant se donne pour objet d’introduire dans le Code civil l’acte contresigné par avocat, confiné depuis 2011 dans la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 organisant notamment la profession d’avocat. Mais sa rédaction mériterait un éclaircissement. En l’état, l’articulation des premier et deuxième alinéas de l’article 1374 ne laisse pas suffisamment comprendre que la foi accordée au contreseing de l’avocat interdit aux parties – et à leurs ayants cause – de désavouer leur écriture, seule étant applicable en ce cas la procédure de faux en écriture privée, telle que prévue aux articles 299 à 302 du Code de procédure civile. Ce qui ne revient pas tout à fait au même puisque la procédure de faux suppose pour celui qui l’initie de renverser la présomption de sincérité qui s’attache à l’acte contresigné, là où la simple dénégation suffisait à faire perdre toute force probante à l’acte sans contreseing, dans l’attente de la vérification d’écriture effectuée par le juge. Si donc la procédure de vérification d’écriture n’aboutit pas à renverser cette présomption, le demandeur à la procédure de faux succombera dans cette action. Au contraire, lorsque la vérification est ordonnée sur simple dénégation d’écriture, l’acte ne recouvrera sa force probante que si la sincérité de l’écriture est positivement établie.

Comme pour l’article 1369, le dernier alinéa de l’article 1374 précise que l’acte contresigné par avocat « est dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi ». Mais comme pour cette autre disposition, il serait utile de préciser que l’on parle ici des mentions manuscrites exigées pour l’établissement des actes sous seing privé, car le justiciable qui n’est pas versé dans le droit de la consommation ou dans le droit des sûretés pourrait ne pas précisément comprendre de quoi il est ici question.

L’article 1375 du projet reprend la règle de l’article 1325 du Code civil relative à la preuve des contrats synallagmatiques, en rappelant que l’acte sous seing privé doit être établi en autant d’exemplaires qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct. Il pourrait également préciser, ce que ne fait certes pas l’article 1325 actuel, que chaque exemplaire doit au surplus être revêtu de la signature de toutes les parties contractantes. Quant aux actes établis en la forme électronique, ce serait l’occasion d’ajouter au dernier alinéa qu’il ne suffit pas que chaque partie puisse avoir accès à un exemplaire, si cet accès est limité d’une manière ou d’une autre. En réalité, pour que l’on puisse considérer que cet accès équivaut à l’établissement d’un exemplaire propre, il faut que l’intéressé puisse y avoir librement accès.

Suite naturelle de l’article qui précède, l’article 1376 du projet reconduit également l’actuel article 1326, relatif à la preuve des actes unilatéraux, au moins lorsqu’ils portent sur une somme d’argent ou sur une autre quotité de biens fongibles. On pourrait préférer parler à cet égard de choses de genre, puisqu’au fond, c’est bien le fait qu’elles appartiennent à un genre, et non leur fongibilité qui n’en est que la conséquence, qui justifie que la détermination de l’objet de l’obligation passe par celle de la quantité de choses livrées. Au demeurant, deux ou plusieurs corps certains peuvent être rendus conventionnellement fongibles sans que l’exigence de l’article 1326 trouve alors à s’appliquer. Plutôt que « livrer » d’ailleurs, il serait plus exact d’employer le verbe « fournir », puisque la délivrance n’implique pas nécessairement la livraison (v. art. 1323-1, supra). Enfin, en cas de différence, la lettre prévaut sur le chiffre, mais aussi bien pour les sommes d’argent que pour les autres quantités de choses de genre, ce qu’a toujours omis de préciser l’article 1326 du Code civil.

Le dernier article reconduit pour sa part la règle de l’article 1328 du Code civil relative aux conditions de date certaine des actes juridiques à l’égard des tiers. Cette règle, pourtant d’évidence, paraît poser difficultés en jurisprudence, si l’on s’en tient à plusieurs arrêts par lesquels la Cour de cassation n’a pas hésité à affirmer, allant jusqu’à substituer d’office ce motif de pur droit à ceux des juges du fond, que l’article 1328 n’était pas applicable à certains contrats, tels notamment que les contrats d’assurance et leurs actes modificatifs (1re civ, 28 oct. 1970, Bull., I, n° 286 ; 2e civ., 26 mars 2015, n° 14-11.206, publié au Bull.), sans fournir aucune explication pour justifier cette surprenante éviction de la loi. Il ne serait sans doute pas inutile dans ces conditions de rappeler dans le texte que l’absence de date certaine n’empêche pas d’établir l’exactitude de la date portée à l’acte, de sorte à inviter les juges du fond à se saisir de la question et de mettre un terme à ces inexplicables cassations.

En définitive, il est proposé de simplifier la rédaction de l’article 1372 dès lors que l’article suivant suffit à en préciser la portée, de corriger la coquille de l’article 1373, de compléter la rédaction de l’article relatif aux actes contresignés par avocat à l’effet d’en préciser la force probante, d’ajouter à l’article 1375 que l’acte synallagmatique doit être revêtu de la signature de l’ensemble des parties et que la pluralité d’originaux électronique suppose que chaque partie y ait librement accès, de substituer par la chose de genre le bien fongible de l’article 1376 et d’y indiquer que la prévalence de la lettre vaut pour toute quantité et pas seulement pour les sommes d’argent, et enfin de rappeler à l’article 1377 que l’absence de date certaine confère au juge du fond le pouvoir d’apprécier l’exactitude de la date mentionnée à l’acte pour l’opposer aux tiers.

III. Proposition

Article 1372 : « L’acte sous signature privée fait foi contre ses auteurs et leurs ayants cause. »

Article 1373 : « La partie à laquelle on oppose un acte sous signature privée peut désavouer son écriture ou sa signature.

Les héritiers ou ayants cause peuvent pareillement désavouer l’écriture ou la signature de leur auteur, ou déclarer qu’ils ne la connaissent pas.

Dans l’un ou l’autre de ces cas, il y a lieu à vérification d’écriture. »

Article 1374 : « L’acte sous signature privée contresigné par avocat fait foi de l’écriture et de la signature des parties, sans que celles-ci ou leurs ayants cause soient admis à les désavouer.

Toutefois, cet acte peut être argué de faux dans les conditions prévues par le code de procédure civile.

Il est dispensé des mentions manuscrites exigées par la loi pour l’établissement des actes sous signature privée. »

Article 1375 : « L’acte sous signature privée qui contient un contrat synallagmatique ne fait preuve que s’il a été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct, à moins que les parties soient convenues de remettre à un tiers l’unique exemplaire qu’elles ont établi.

Chaque original doit mentionner le nombre d’originaux établis et être revêtu de la signature de l’ensemble des parties.

Celui qui a exécuté le contrat ne peut opposer le défaut de pluralité d’originaux, de mention de leur nombre, ou de signature par l’ensemble des parties.

L’exigence de pluralité d’originaux est réputée satisfaite pour les contrats sous forme électronique lorsque l’acte est établi et conservé conformément aux articles 1366 et 1367, et que le procédé permet à chaque partie de disposer d’un exemplaire ou d’y avoir librement accès. »

Article 1376 : « L’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui verser une somme d’argent ou à lui livrer une chose de genre en certaine quantité ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui s’engage ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres.

En cas de différence, l’acte sous signature privée vaut pour la somme ou la quantité écrite en toutes lettres. »

Article 1377 : « L’acte sous signature privée ne fait foi de sa date à l’égard des tiers que du jour où il a été enregistré, du jour de la mort d’un signataire, ou du jour où sa substance est constatée dans un acte authentique.

À défaut, la date mentionnée à l’acte n’est opposable au tiers qui la conteste qu’à la condition d’établir son exactitude. »

« § 4 – Autres écrits »

Article 1378 : « Les registres et documents que les professionnels doivent tenir ou établir ont, contre leur auteur, la même force probante que les écrits sous signature privée ; mais celui qui s’en prévaut ne peut en diviser les mentions pour n’en retenir que celles qui lui sont favorables. »

Article 1378-1 : « [Les registres et papiers domestiques ne font pas preuve au profit de celui qui les a écrits.

Ils font preuve contre lui :

1° dans tous les cas où ils énoncent formellement un paiement reçu ;

2° lorsqu’ils contiennent la mention expresse que l’inscription a été faite pour suppléer le défaut du titre en faveur de qui ils énoncent une obligation.] »

Article 1378-2 : « La mention d’un paiement ou d’une autre cause de libération portée par le créancier sur un titre original [qui est toujours resté en sa possession] vaut présomption simple de libération du débiteur.

Il en est de même de la mention portée sur le double d’un titre ou d’une quittance, pourvu que ce double soit entre les mains du débiteur. »

Article 1378-3 : « [[Les registres des commerçants], les documents domestiques et les mentions libératoires font preuve seuls ; toutefois, la preuve contraire par tous moyens est admise.] »

« § 5 – Les copies »

Article 1379 : « La copie fiable [et durable] a la même force probante que l’original. La fiabilité est laissée à l’appréciation du juge. Néanmoins est réputée fiable la copie exécutoire ou authentique d’un écrit authentique. [Est réputée durable toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support.]

Si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée. »

« § 6 – Les actes récognitifs »

Article 1380 : « L’acte récognitif ne dispense pas de la présentation du titre original sauf si sa teneur y est spécialement relatée.

Ce qu’il contient de plus ou de différent par rapport au titre original n’a pas d’effet. »

I. Présentation

Les articles 1378 à 1378-3 du projet traitent des autres écrits, l’article 1379 des copies et l’article 1380 des actes récognitifs.

II. Analyse

La lettre des dispositions relatives aux registres commerçants ou domestiques est sensiblement rafraîchie sans toutefois que leur teneur s’en trouve substantiellement modifiée. On saura gré par exemple au projet d’avoir rénové l’étourdissante formulation « le défaut du titre en faveur de celui au profit duquel ils énoncent une obligation » (C. civ., art. 1331), même si l’on pouvait faire mieux que de la remplacer par « le défaut du titre en faveur de qui ils énoncent une obligation », et se cantonner à la simple évocation du « défaut de titre du créancier ». Il était aussi possible de renoncer à exiger, comme le fait aujourd’hui l’article 1332 du Code civil, que le titre original fût resté en la seule possession du créancier pour que la mention portée ses soins fasse preuve de la libération du débiteur. Il importe peu en effet que le titre ait circulé s’il est établi que la mention de la libération a bien été inscrite par le créancier et que le caractère original du titre n’est pas discuté. On note d’ailleurs que cette précision a été placée entre crochets dans le projet d’ordonnance. Enfin, un article 1378-3 vient préciser que la force probante parfaite qui s’attache aux registres professionnels ne vaut pas pour les registres commerçants ou domestiques, lesquels peuvent être combattus par tous moyens. On peut toutefois douter de la nécessité de cette précision, dès lors que l’article 1378 ne visait précisément que les registres et documents professionnels, les autres registres et papiers étant évoqués aux articles suivants. Au demeurant, ici encore, cette disposition du projet figure entre crochets.

L’article 1379 du projet simplifie considérablement les dispositions relatives à la portée probatoire des copies, suivant en cela une jurisprudence qui avait à peu près renoncé aux subtiles distinctions des articles 1334 à 1336 du Code civil. Dorénavant, une simple règle s’applique : toute copie a la même force probante que l’original dès lors que le juge la considère suffisamment fiable et durable, et que, par ailleurs, l’original ne peut plus être produit. En cela, le régime de la copie se rapproche de celui de l’acte récognitif, qui ne supplée la production de l’original que pour autant qu’il en relate spécialement la teneur.

Il est dans l’ensemble proposé des modifications de pure forme visant à simplifier la rédaction du 2° de l’article 1378-1, à supprimer l’article 1378-3 qui n’ajoute rien aux dispositions qui le précèdent, et à conforter la rédaction de l’article 1379 en retirant les crochets qui y ont été placés par le projet d’ordonnance. Sur le fond, l’exigence de possession constante de l’original posée à l’article 1378-2 pourrait être supprimée.

III. Proposition

Article 1378 : sans changement

Article 1378-1 : « Les registres et papiers domestiques ne font pas preuve au profit de celui qui les a écrits.

Ils font preuve contre lui :

1° Dans tous les cas où ils énoncent formellement un paiement reçu ;

2° Lorsqu’ils contiennent la mention expresse que l’inscription a été faite pour suppléer le défaut de titre du créancier. »

Article 1378-2 : « La mention d’un paiement ou d’une autre cause de libération portée par le créancier sur un titre original vaut présomption simple de libération du débiteur.

Il en est de même de la mention portée sur le double d’un titre ou d’une quittance alors que ce double était entre les mains du débiteur. »

Article 1378-3 : suppression.

Article 1379 : « La copie fiable et durable a la même force probante que l’original.

La fiabilité est laissée à l’appréciation du juge. Néanmoins est réputée fiable la copie exécutoire ou authentique d’un écrit authentique. Est réputée durable toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support.

Si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée. »

Article 1380 : sans changement.

« Sous-section 2 – La preuve par témoins »

Article 1381 : « La force probante des déclarations faites par un tiers dans les conditions du code de procédure civile est laissée à l’appréciation du juge. »

« Sous-section 3 – La preuve par présomption judiciaire »

Article 1382 : « Les présomptions qui ne sont pas établies par la loi, sont laissées à l’appréciation du juge, qui ne doit les admettre que si elles sont graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet la preuve par tout moyen. »

I. Présentation

Les articles 1381 et 1382 traitent de la preuve testimoniale et des présomptions de l’homme, qualifiées de judiciaires.

II. Analyse

On peut ne pas être convaincu par la raison avancée par le projet Terré pour justifier de scinder la matière des présomptions entre les présomptions légales, évoquées in limine avec les dispositions générales relatives à la preuve, et les présomptions judiciaires, qui seules sont évoquées parmi les modes de preuves (v. art. 1355, supra). Que les présomptions légales dispensent d’apporter la preuve d’un certain fait n’empêche pas qu’elles soient aussi un mode de preuve des obligations, au même titre que toute autre présomption. C’est la raison pour laquelle il a été proposé plus haut de réunifier ces dispositions à cet endroit du projet en déplaçant l’article 1355 dans la sous-section relative à « La preuve par présomption », ainsi requalifiée, en le faisant suivre de l’actuel article 1382, renuméroté 1382-1.

Incidemment, on peut s’interroger sur la raison qui justifie de mettre le pluriel à la « preuve par témoins » si on ne l’applique pas à la « preuve par présomption », puisque la preuve peut être apportée par un seul témoin, comme elle peut l’être par une série de présomptions. Mais on concédera sans doute que le nombre participe plus volontiers de la nature de la preuve testimoniale, qu’il vient renforcer, là où il nuirait plutôt à l’établissement de la preuve par présomption, en distendant le lien entre le fait observé et le fait présumé.

Il est simplement rappelé qu’il y aurait lieu de déplacer ici, d’une part, l’article 1363 du projet, en tant qu’il revient au principe de recevabilité de la preuve testimoniale, et, d’autre part, l’article 1355, qui définit les différentes espèces de présomption (v. supra).

III. Proposition

« Section 2 – La preuve par témoins »

Article 1381 [article 1363 modifié du projet] : « Nonobstant les dispositions de l’article 1360, la preuve d’un acte juridique peut toujours être apportée par témoins en cas d’impossibilité matérielle ou morale de constituer un écrit, s’il est d’usage de ne pas l’établir, ou s’il a été perdu par suite d’une cause étrangère. »

Article 1381-1 [nouveau] : article 1381 déplacé.

« Section 3 – La preuve par présomption »

Article 1382 [art. 1355 proj. modifié] : « La présomption légale qu’une loi spéciale attache à certains actes ou à certains faits dispense de preuve celui au profit de qui elle s’applique.

La présomption simple peut être renversée par tout moyen de preuve ; la présomption renforcée, par le seul moyen particulier permis par la loi ; la présomption irréfragable ne peut être renversée par aucun moyen de preuve. »

Article 1382-1 [nouveau] : article 1382 déplacé.

« Sous-section 4 – L’aveu »

Article 1383 : « L’aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques.

Il peut être judiciaire ou extrajudiciaire. »

Article 1383-1 : « L’aveu extrajudiciaire purement verbal n’est reçu que dans les cas où la loi permet la preuve par tout moyen.

Sa valeur probante est laissée à l’appréciation du juge. »

Article 1383-2 : « L’aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté.

Il fait foi contre celui qui l’a fait.

Il ne peut être divisé contre son auteur.

Il est irrévocable, sauf en cas d’erreur de fait. »

« Sous-section 5 – Le serment »

Article 1384 : « Le serment peut être déféré, à titre décisoire, par une partie à l’autre pour en faire dépendre le jugement de la cause. Il peut aussi être déféré d’office par le juge à l’une des parties. »

« § 1 – Le serment décisoire »

Article 1385 : « Le serment décisoire peut être déféré sur quelque espèce de contestation que ce soit et en tout état de cause. »

Article 1385-1 : « Il ne peut être déféré que sur un fait personnel à la partie à laquelle on le défère.

Il peut être référé par celle–ci, à moins que le fait qui en est l’objet ne lui soit purement personnel. »

Article 1385-2 : « Celui à qui le serment est déféré et qui le refuse ou ne veut pas le référer, ou celui à qui il a été référé et qui le refuse, succombe dans sa prétention. »

Article 1385-3 : « La partie qui a déféré ou référé le serment ne peut plus se rétracter lorsque l’autre partie a déclaré qu’elle est prête à faire ce serment.

Lorsque le serment déféré ou référé a été fait, l’autre partie n’est pas admise à en prouver la fausseté. »

Article 1385-4 : « Le serment ne fait preuve qu’au profit de celui qui l’a déféré et de ses héritiers et ayants cause, ou contre eux.

Le serment déféré par l’un des créanciers solidaires au débiteur ne libère celui–ci que pour la part de ce créancier.

Le serment déféré au débiteur principal libère également les cautions.

Celui déféré à l’un des débiteurs solidaires profite aux codébiteurs.

Et celui déféré à la caution profite au débiteur principal.

Dans ces deux derniers cas, le serment du codébiteur solidaire ou de la caution ne profite aux autres codébiteurs ou au débiteur principal que lorsqu’il a été déféré sur la dette, et non sur le fait de la solidarité ou du cautionnement. »

« § 2 – Le serment déféré d’office »

Article 1386 : « Le juge peut d’office déférer le serment à l’une des parties.

Ce serment ne peut être référé à l’autre partie.

Sa valeur probante est laissée à l’appréciation du juge. »

Article 1386-1 : « Le juge ne peut déférer d’office le serment, soit sur la demande, soit sur l’exception qui y est opposée, que si elle n’est pas pleinement justifiée ou totalement dénuée de preuves. »

I. Présentation

Les derniers articles du projet ont trait à l’aveu et au serment.

II. Analyse

En dehors de certaines reformulations, le projet d’ordonnance n’apporte ici aucune modification de fond au Code civil de 1804, alors que la matière n’est pourtant pas la moins archaïque. Cela est surtout vrai du serment, dont on peut se demander s’il était bien utile de reconduire au XXIe siècle ce mode de preuve moyenâgeux, hérité d’un temps où l’appel au sacré pouvait conférer une valeur sacramentelle à la parole donnée. Si l’on peut encore comprendre que l’on maintienne le serment décisoire, qui permet aux parties de prendre l’initiative de mettre un terme à leur litige en se menaçant de poursuites pénales, le serment supplétoire, c’est-à-dire celui déféré d’office par le juge, n’a pour sa part plus aucune réalité dans la pratique judiciaire, jamais un juge ne déférant plus d’office un serment à l’une ou l’autre des parties. Ce serment supplétoire continuerait-il d’ailleurs à être pratiqué qu’il ne serait de toute façon d’aucune utilité, la jurisprudence ayant eu l’occasion de préciser, les rares fois où la question s’est trouvée posée à la Cour de cassation, que le juge restait libre d’apprécier la force probante du serment prêté par la partie à laquelle il était déféré. Ce qui force finalement à douter que ce serment puisse même encore être un mode de preuve.

Quant à l’aveu, le projet en propose d’en donner une définition dans le Code civil, alors qu’il s’abstient du même effort à l’égard du serment. L’article 1383-1 reformule la règle figurant aujourd’hui à l’article 1355 du Code civil, mais le fait en maintenant la seule précision critiquable, consistant à borner la disposition à l’« aveu extrajudiciaire purement verbal », comme si l’aveu extrajudiciaire constitué par écrit pouvait être reçu dans les cas où la loi exige un mode de preuve parfait. Il n’en est naturellement rien : qu’il soit verbal ou écrit, l’aveu extrajudiciaire n’est jamais recevable contre une preuve parfaite, et ce d’ailleurs même lorsque la loi permet la preuve par tout moyen (art. 1360, al. 2, proj.). Le sens de l’article 1355 du Code civil n’a jamais été que de rappeler cette évidence que, à partir du moment où l’existence d’un aveu non écrit ne peut être établie que par témoins, elle suppose nécessairement que ce dernier mode de preuve soit lui-même recevable. Mais au fond, on comprend bien que la précision n’est d’aucun intérêt, dès lors que l’aveu extrajudiciaire lui-même, qu’il soit ou non écrit, ne peut jamais être invoqué que lorsque la preuve est libre.

Il est donc proposé d’étendre la solution de l’article 1383-1 du projet à toute forme d’aveu extrajudiciaire, et de supprimer, à tout le moins, la possibilité pour le juge de déférer d’office un serment aux parties.

III. Proposition

« Section 4 – L’aveu»

Article 1383 : sans changement.

Article 1383-1 : « L’aveu extrajudiciaire n’est reçu que dans les cas où la loi permet la preuve par tout moyen.

Sa valeur probante est laissée à l’appréciation du juge. »

Article 1383-2 : sans changement.

« Section 5 – Le serment»

Article 1384 : « Le serment peut être déféré par une partie à l’autre en tout état de la procédure pour en faire dépendre le jugement.

Il ne peut être déféré que sur un fait personnel à la partie à laquelle on le défère.

Il peut être référé par celle–ci, à moins que le fait qui en est l’objet lui soit purement personnel.»

Article 1385 : « Celui à qui le serment est déféré et qui le refuse ou ne veut pas le référer, ou celui à qui il a été référé et qui le refuse, succombe dans sa prétention.

La partie qui a déféré ou référé le serment ne peut plus se rétracter lorsque l’autre partie a déclaré qu’elle est prête à faire ce serment.

Lorsque le serment déféré ou référé a été fait, l’autre partie n’est pas admise à en prouver la fausseté. »

Article 1386 : article 1385-4 déplacé.

Suppression des actuels articles 1386 et 1386-1 du projet.

 

Analyse du projet d’ordonnance (pdf)

Propositions alternatives pour une réforme du droit des obligations (pdf)