La réforme du droit des obligations : une révolution en tapinois

 (Janvier 2014)

1.  Réforme-t-on le droit des obligations ? L’interrogation, qui à force d’indécision ne nourrissait même plus le débat, est double : une réforme est-elle en marche ? et est-elle même seulement possible ? Soudainement, le gouvernement vient d’y apporter une réponse en décidant, lors du conseil des ministres du 27 novembre 2013, de déposer sur le bureau du Sénat un projet de loi l’habilitant à réformer par voie d’ordonnance le droit des obligations, à la seule exception – notable mais provisoire – de la responsabilité civile (1). En abattant l’une des dernières colonnes du Code de 1804, la France s’apprêterait ainsi à quitter finalement cette vieille maison lézardée qui abritait encore un peu de sa vie juridique (2).

2.  Que s’est-il donc brusquement passé pour qu’une décision d’une telle portée soit prise sans autre préavis ? Si l’on se penche sur les causes générales des codifications réformatrices (3), il est sans doute possible d’en reconnaître un certain nombre dans l’état actuel du pays et de la matière : le sentiment diffus d’un monde en mutation et d’une crise que l’on veut finissante, où la recodification passe pour un instrument de relance économique (4) ; le développement d’une compétition internationale entre les différents systèmes juridiques, où toute constante est suspecte d’archaïsme ; l’anomalie d’un droit devenu essentiellement prétorien en pays de droit écrit, et le grief plus ou moins fondé de son inaccessibilité tant aux juristes étrangers qu’aux nationaux non juristes. À ces causes premières, il faut sans doute en associer une autre, plus discrète mais non moins déterminante, qui tient dans l’enthousiasme des acteurs de la réforme pour un projet à la portée exceptionnelle, qu’il s’agisse des auteurs des différents avant-projets ayant servi de travaux préparatoires à celle qui se dessine (5), des membres des cabinets ministériels successifs ayant œuvré à sa conception par-delà le labeur quotidien des transpositions communautaires, et finalement même d’un Garde des Sceaux que l’on sait sensible à toute espèce d’inégalité, en ce compris celle qui existerait entre les Français instruits des choses juridiques et ceux qui, ne l’étant pas, ne seraient plus mis en mesure de s’en instruire par eux-mêmes. Somme toute, et toute proportion gardée par ailleurs, la réunion de ces causes n’est pas très différente de celles qui avaient présidé, il y a deux cent dix ans de cela, à la rédaction du Code civil (6).

3.  De motifs de réforme cependant, l’actuel projet de loi n’évoque que ceux ayant trait à l’état du droit positif et aux bienfaits attendus de la recodification, sans rien omettre des poncifs du genre. Selon l’article 3 du projet, il ne s’agit rien moins en effet que « de moderniser, de simplifier, d’améliorer la lisibilité, de renforcer l’accessibilité du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve, de garantir la sécurité juridique et l’efficacité de la norme ». Pour faire meilleure figure encore, l’exposé des motifs indique que le projet se donne pour objet de « clarifier » la matière par la « réécriture des textes », afin de contribuer « au rayonnement et à l’attractivité du système juridique français » (7). Et pour ne rien laisser dans l’ombre, l’étude d’impact ajoute que cette modernisation est « indispensable à la compétitivité économique du territoire français et des entreprises », et qu’il est question de maintenir ce faisant le crédit de la France dans les négociations européennes, spécialement dans le cadre des discussions sur le projet de règlement relatif au droit commun de la vente. Finalement, la même « étude » ne craint pas de préciser que cette modernisation du droit des obligations participe du « choc de simplification » voulu par le Président de la République (8).

4.  En dépit du caractère stéréotypé de la motivation, on s’accordera sans doute sur le constat selon lequel « La seule lecture du code civil ne permet plus de donner une vision claire et précise de l’état du droit positif qui, devenu en grande partie prétorien, a nécessairement changé depuis 1804 ». On sait en effet que c’est le lot des systèmes de droit écrit que d’imposer, à intervalles plus ou moins réguliers, la codification des apports de la jurisprudence (9), et que « ce serait un autre excès de répugner à toute nouveauté quand les changements deviennent nécessaires » (10). Mais la difficulté naît en l’occurrence de ce que la recodification proposée ne tient pas, loin s’en faut, qu’en une consolidation des solutions jurisprudentielles. À bien des égard, le projet entend innover en cherchant à introduire en droit commun des règles issues de droits spéciaux ou de systèmes étrangers, tout en abolissant d’un autre côté les concepts les mieux éprouvés du droit français des obligations. En quoi, en modifiant ainsi nombre de solutions traditionnelles, le projet réalise bien la réforme annoncée, et en réalité, ainsi qu’on le verra, une véritable révolution juridique. Pour s’en justifier, l’étude d’impact qui l’accompagne tient pour acquis que « la société du XXIe siècle ne saurait être régie par des règles du début du XIXe siècle », comme s’il s’agissait d’apporter des solutions nouvelles à des problèmes inédits, alors que ceux-ci ont déjà trouvé leur solution dans les règles spéciales développées hors du Code depuis deux siècles, la seule question étant de savoir si le développement de ces solutions spéciales implique de modifier des principes qui, pour leur part, ne datent pas seulement du XIXe siècle mais, pour beaucoup, du droit romain ou romaniste.

5.  À partir de présupposés discutables, le projet de loi s’appuie au surplus sur une méthode qui ne l’est pas moins et qui consiste à s’ouvrir le moins possible sur le contenu précis de la réforme de sorte à la soustraire à tout débat utile. Les parlementaires sont ainsi enjoints d’habiliter le gouvernement à réformer par voie d’ordonnance, sur la base d’une loi d’habilitation nécessairement évasive, et de l’aveu même des auteurs de la réforme, le gouvernement ne semble pas avoir prévu de diffuser son projet autrement que de façon confidentielle, à ceux donc qu’il jugera opportuns (11). Dans ces conditions, on peut craindre que l’affirmation de l’étude d’impact selon laquelle la réforme s’opérera « sur la base des travaux menés par la Chancellerie, qui tiendront compte des observations des principaux intéressés », avec « une large consultation des professionnels concernés », ne serve que de profession de foi.

6.  Par où l’on comprend que, si les causes de la réforme à venir font encore lointainement écho à celles qui ont appelé le Code de 1804, en revanche, les actuels rédacteurs se détachent radicalement, tant sur les moyens employés que sur les fins poursuivies, de l’œuvre de leurs glorieux prédécesseurs. De sorte que, s’il en est encore temps, il serait tout de même souhaitable de pouvoir discuter de la pertinence du projet, non seulement quant à la méthode adoptée (I), mais encore au regard du contenu proposé (II).

I. La méthode

7.  Considérant l’importance du droit des obligations pour l’ensemble d’un système juridique, il aurait sans doute été opportun de s’interroger sur un préalable, dont il aurait pu résulter que le titre III du livre troisième ne se réformait pas comme un autre titre du Code civil (A). Comme pour couper court à toute hésitation cependant, la Chancellerie a opté pour la seule solution que l’on n’envisageait pas (B).

A. Le droit des obligations ne se réforme pas par la loi ordinaire

8.  Il semble peu discutable que, formellement, aucune règle institutionnelle ne fait obstacle à ce que le titre des obligations soit réformé comme n’importe quelle autre matière législative. Bien au contraire, on sait que sur ce terrain l’article 34 de la Constitution restreint drastiquement l’étendue du domaine de la loi aux seuls « principes fondamentaux […] du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales », en sorte que la faculté du législateur ordinaire d’en modifier la teneur ferait peu de doute. Si ce n’est que, à s’en tenir au texte, la plupart des dispositions législatives introduites depuis 1958 au sein du titre III du livre troisième du Code civil auraient dû relever de la compétence du pouvoir exécutif, et se trouver ainsi déclassées en règlements, dès lors que ne touchant pas aux principes fondamentaux du droit des obligations (12). Si bien que, sauf à s’y résoudre, la pratique législative nous invite déjà à ne pas retenir une interprétation trop stricte de l’article 34. À quoi il convient d’ajouter que la plupart des principes que l’on pouvait identifier avec certitude comme étant fondamentaux du droit des obligations ont depuis lors reçu l’onction constitutionnelle (13), en sorte que le domaine de la loi ordinaire se trouverait finalement réduit, par cet autre côté, à la portion congrue. En toute hypothèse, il importe de ne pas perdre de vue que l’article 34 de la Constitution n’a pour objet que de répartir le champ d’action respectif des pouvoirs législatif et exécutif, et nullement de déterminer la procédure législative à suivre une fois retenue le principe de la compétence du législateur. Or c’est bien à cette autre question que, pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, le projet de réforme du droit des obligations, par son ampleur, oblige à répondre.

9.  Faute de pouvoir trouver une réponse dans les institutions politiques du pays, on peut avoir égard à ses institutions civiles. Les pages justement célèbres de Jean Carbonnier, qui rappelait que le Code civil avait duré plus que dix constitutions politiques et qu’il formait, pour cette raison au moins, la véritable constitution de la France (14), n’ont-elles pas spécialement à s’appliquer au droit des obligations, dont l’origine des règles qui le composent remonte bien au-delà du Code, reliant un empire à un autre, millénaire celui-là ? Il fait peu de doute que ces règles-ci puisent leur force obligatoire dans l’autorité des siècles, et que leur essence est faite de coutumes avant même que d’être faite de lois (15). Il suffirait que, au cours du processus législatif qui s’engage, le titre III en vienne à être abrogé par inadvertance (16), et que les juges en soient à se fonder alors sur les seuls principes généraux et immanents qui régissent la matière, pour que cette réalité se fasse voir en plein jour. Si l’on veut filer en somme ce qui n’est peut-être pas qu’une métaphore, il n’est pas exagéré de penser que le projet de réforme touche ici aux principes inhérents à l’identité constitutionnelle du droit civil français.

10.  C’est dire que la question de savoir si le droit des obligations se réforme par déclaration de volonté est de celles qui se posent. Plus que tout autre titre du Code civil, celui relatif aux obligations constitue la véritable grammaire du droit français, ce corps matriciel de règles fondamentales dont tous les échanges civils et commerciaux dépendent de près ou de loin. Or les règles de grammaire se réforment-elles autrement que par l’usage ? En 1804 même, en dépit d’une autorité qui leur en aurait pourtant conféré le pouvoir, les rédacteurs n’ont pas cru devoir s’écarter en cette matière des règles coutumières de l’Ancien droit, de ce dépôt de maximes qui formait à leurs yeux l’esprit des siècles (17). Mesurant les difficultés qu’il y aurait à peser toutes les conséquences d’une modification ex abrupto des solutions admises, ils ont eu la sagesse de borner ici leur ouvrage à la consolidation des règles établies, sur la base de la synthèse que leur en avait donnée Pothier (18). Si vraiment donc la nécessité se faisait pressante, aujourd’hui, de réformer pour la première fois la constitution civile du pays, il ne semble pas illégitime d’escompter que le législateur procède avec les mêmes précautions que pour toute révision constitutionnelle. À tout le moins peut-on attendre que la procédure satisfasse à des exigences particulières d’analyse et de transparence qui garantissent la qualité du débat démocratique.

11.  Parce qu’une simple réforme au niveau des strates juridiques les plus profondes entraîne des conséquences pour l’ensemble des règles qui s’y enracinent, et emporte bien dès lors un changement pour le tout, l’idée même de révolution n’est pas excessive. Dans ces conditions, est-il bien légitime d’opérer une telle révolution par la voie législative la plus ordinaire ? À cette question préalable, la Chancellerie nous apporte une réponse dont on ne croit même plus devoir s’étonner.

B. Le droit des obligations se réforme par voie d’ordonnance

12.  S’estimant apparemment investis de la légitimité qui manquait au législateur, les services du Ministère de la Justice ont pris le parti d’opérer eux-mêmes la réforme du droit des obligations, en procédant par voie d’ordonnance. Ce n’est pas que le Conseil d’État n’ait pas émis quelques réserves sur la méthode (19), mais les auteurs du projet ont manifestement décidé de ne faire aucun cas de l’avis des conseillers. À cet égard encore, on mesure la distance prise avec la codification napoléonienne…

13.  Sans doute l’instrument a-t-il ses avantages. Il est souvent affirmé en effet que légiférer par voie d’ordonnance permettrait d’échapper à l’aléa des amendements parlementaires et que, pour cette raison, le procédé serait particulièrement indiqué pour garantir la cohérence d’une réforme portant sur un corps de textes techniques et intriqués. À quoi l’on ajoute parfois que le gouvernement serait par nature moins sujet à l’influence des groupes d’intérêt de tous ordres. Si bien que, au bout du compte, on gagnerait en qualité ce que l’on perdrait en légitimité démocratique (20). Mais, déjà, ces avantages doivent être relativisés. Lorsque la complexité d’un projet de loi le réclame, son adoption se fait essentiellement en commission, après examen de parlementaires spécialistes des questions abordées par le projet, de sorte que, le débat en chambre se trouvant par la suite réduit à sa plus simple expression, le risque d’altération de la réforme s’en trouve considérablement diminué. Dès lors, entre une procédure d’adoption entièrement retenue par les services de la Chancellerie, et une autre partagée avec les organes d’égale aptitude de la représentation nationale, on se défend mal de l’idée que cette dernière puisse avoir une opinion à exprimer chaque fois que le gouvernement se propose de modifier les règles qui organisent la vie en société. Quant à l’influence des groupes de pression, il n’est pas sûr qu’elle serait rendue plus légitime par le seul fait qu’un moindre nombre d’entre eux accéderaient aux couloirs de la Chancellerie.

14.  En réalité, le projet de loi d’habilitation explore jusqu’à ses limites le champ immense que lui ouvre l’article 38 de la Constitution, le gouvernement s’appuyant à cet effet sur l’extraordinaire latitude que lui reconnaît le Conseil constitutionnel. Ici encore pourtant, l’argument de texte semble bien insuffisant : borner l’analyse à l’article 38 impliquerait en effet d’autoriser le législateur, de concert avec le gouvernement, à abdiquer s’il le décide la quasi-totalité de sa compétence au profit de ce dernier. Or, manifestement, l’usage institutionnel n’est pas en ce sens (21). Si l’on tente de rationaliser l’emploi qui en est fait, on observe que la pratique, déjà bien établie, de la codification par voie d’ordonnance a jusqu’à présent révélé deux hypothèses de recours à ce procédé. La première est celle de la codification dite à droit constant, où, en dépit d’une expression en trompe-l’œil, l’entreprise se donne pour seul objet de rassembler et de réorganiser les textes existants pour ne procéder qu’aux modifications rédactionnelles qui s’imposent dans ce cadre (22). La seconde vise l’hypothèse dans laquelle la recodification, même ouvertement réformatrice, rencontrerait de trop grandes difficultés si elle devait être réalisée par la voie législative ordinaire. Le plus souvent, c’est l’urgence de la réforme qui est alors invoquée pour ne pas congestionner un ordre du jour parlementaire déjà encombré (23). Or rien de tel aujourd’hui (24). La recodification à venir s’avance ouvertement comme étant destinée à consolider, non des textes, mais la jurisprudence, tout en apportant à celle-ci de substantielles innovations. Et à aucun moment il n’est expliqué en quoi le Parlement ne serait pas en mesure de procéder lui-même à cette réforme. Ces faux-fuyants ont sans doute été à l’origine des réserves émises par le Conseil d’État sur ce projet, et ils suffisent encore à justifier que le président de la commission des lois du Sénat ait fait savoir à son tour que la question de la légitimité du recours aux ordonnances se posait pour un certain nombre d’articles du projet de loi d’habilitation. Si, malgré tout, celui-ci devait être adopté en son état, le procédé trahirait finalement ce qu’est devenu aujourd’hui le travail de codification (25).

15.  À cette mainmise du pouvoir exécutif, la méthode ajoute un manque total de transparence, dont il n’est pas excessif de penser qu’il participe au choix qui a été fait du procédé. Car la réalisation d’une réforme par voie d’ordonnance a aussi pour conséquence de dispenser leurs auteurs de toute publicité sur la teneur des dispositions devant être adoptées, de sorte que l’administration y trouve le moyen de soustraire son projet à toute critique utile, et de préserver ainsi l’intégrité d’une réforme dont, jusqu’au bout, elle sera restée seul maître. Sauf pour elle à assurer la diffusion préalable de son projet, ce dernier ne sera connu qu’avec la publication de l’ordonnance, c’est-à-dire une fois ses dispositions entrées dans l’ordre juridique, fût-ce en tant que normes à valeur réglementaire. Or tout laisse craindre jusqu’à présent que la Chancellerie n’a pas prévu de lever le voile sur le contenu de sa réforme (26). C’est donc sur la base des seuls renseignements distillés par le projet de loi d’habilitation et l’étude qui l’accompagne, éventuellement rapprochés des deux avant-projets que la précédente Direction des affaires civiles et du Sceau avait pris l’heureuse initiative de communiquer (27), que l’on peut imaginer le contenu de la réforme annoncée.

II. Le contenu

16.  Pour que le grief qui précède soit entièrement fondé, encore faut-il que le projet entraîne bien une véritable réforme du droit des obligations. Or, sous couvert de « toilettage », ou de « consolidation » des solutions jurisprudentielles, les quelque trois cents articles qui forment le projet (28) apportent des modifications profondes au droit positif (29). La Chancellerie n’hésite pas en effet à délaisser des principes qui avaient depuis longtemps acquis force de coutume (A), non plus qu’à introduire dans le droit français des obligations des solutions qui lui sont parfaitement étrangères (B).

A. L’abandon de solutions coutumières

17.  Le projet se distingue d’emblée par une abrogation emblématique, qui se découvre à la lecture de l’exposé des motifs : « Il est proposé de ne plus faire appel à la notion de « cause » mais de préciser les différentes fonctions régulatrices ou correctrices jusqu’à présent assignées à cette notion par la jurisprudence. » Pour quelle raison ? Ni le projet ni l’étude qui l’accompagne ne s’en expliquent, mais on a fini par comprendre, depuis quelques années, qu’il était reproché à la notion de cause d’être devenue tout à la fois complexe et imprévisible. Le projet viserait ainsi à fixer définitivement les solutions à laquelle son emploi a donné lieu, en introduisant des règles spécialement prévues à cet effet, tout en mettant un terme au pouvoir créateur que la notion conférait aux juges, en l’abolissant purement et simplement (30).

18.  Si l’on comprend bien, la suppression de cet instrument multiséculaire qui participe plus que tout autre à l’identité de notre système juridique – au point qu’il est jugé, mais bien à tort, comme une exception française (31) – se justifierait pour cette raison qu’il est devenu trop utile, puisque trop utilisé. Car, ce que l’on reproche au fond à la cause, c’est uniquement d’avoir étendu son domaine au-delà de celui qu’on lui connaissait en 1804. C’est en effet pour cette raison, et elle seule, que les articles 1131 à 1133 du Code civil ne suffisent plus à rendre pleinement compte aujourd’hui des règles qui se déduisent de l’exigence d’une cause certaine et licite. Mais alors, s’il s’agit de préciser ces solutions, pourquoi le faire en abolissant la notion plutôt qu’en en détaillant le régime (32) ? La sécurité juridique, que l’on invoque pourtant avec de grands effets pour justifier la réforme, n’ouvre elle-même pas d’autre issue. Tout juriste sait bien que l’introduction de règles nouvelles ou, ce qui revient au même, de concepts nouveaux pour les fonder, est toujours source d’incertitude, et provoque l’instabilité pour les nombreuses années que mettront les tribunaux à les définir (33). Et il n’est pas difficile de comprendre que cette instabilité est susceptible d’emporter de dangereuses conséquences lorsqu’elle touche au cœur même des obligations contractuelles (34).

19.  À cet égard, la substitution opérée par le projet de réforme est assez éloquente. La notion de cause était imprécise ? Que dira-t-on en ce cas de celle de « contenu » qui nous est demandé d’accueillir à sa place (35) ? S’agit-il donc de l’objet et de la cause réunis ? Cela ne se peut, puisque l’on en serait rendu à se référer encore à une notion disparue. Faut-il y voir alors l’ensemble des stipulations formant le contrat ? Mais là question sera toujours alors de savoir ce qui, précisément, a été voulu (36), et si, notamment, le but poursuivi par l’opération pourra encore prétendre s’intégrer au contenu du contrat dès lors qu’il aura été convenu, même tacitement, par les parties. Sur de telles bases, il n’y aura probablement pas long à attendre avant que la jurisprudence s’empare de ce nouveau concept et de ceux qui l’accompagnent (37) avec la même invention que celle qui a été la sienne pour la notion de cause.

20.  À quoi il convient d’ajouter qu’il est tout de même piquant d’observer que le projet se propose d’abroger la notion de cause en même temps qu’il consacre finalement l’enrichissement sans cause dans le Code civil (art. 3, 9°), c’est-à-dire un principe dont l’objet est précisément de faire naître une obligation de restitution au cas d’absence de cause. N’est-il pas curieux de subordonner ainsi la validité d’un paiement à l’existence d’une cause tout en affirmant que cette dernière serait cependant étrangère à l’obligation qui le fonde (38) ? Quoi qu’il en soit de ces contradictions, on peut craindre que le temps ne soit plus aux corrections puisque, aussi bien, les auteurs du projet ont clairement fait savoir que celui-ci était d’ores et déjà scellé en tant qu’il portait sur le droit des contrats (39). Voici donc comment, pour des raisons dont on n’aura jamais vérifié ni la pertinence ni les ressorts (40), le droit français s’apprête à tourner le dos à Domat, qui lui avait donné son système, et à 300 ans de tradition juridique, pour épouser finalement, en dépit de cause, le système germanique de l’obligation abstraite.

21.  En quoi la réforme qui s’annonce opère bien une véritable révolution. Mais il faudrait encore, pour en prendre toute la mesure, considérer tous les revirements que, faute d’autre indication dans le projet présenté, on ne peut aujourd’hui que subodorer par référence aux anciens projets connus de la Chancellerie. Parmi ceux-là, il est probable qu’il faille compter la théorie de la réception dans la formation du contrat, ou encore celle de la non-rétroactivité de la condition (41). Enfin, que peut bien signifier un projet de réforme qui insiste comme il le fait pour réitérer des directives d’interprétation que l’on sait aujourd’hui être sans portée normative (art. 3, 5°) ? Entend-on vraiment imposer par là à la Cour de cassation d’étendre son contrôle à l’interprétation des conventions, avec les conséquences que l’on imagine sur l’engorgement des pourvois ? Ou a-t-on simplement perdu de vue l’état du droit positif sur ce point pour affirmer péremptoirement, comme le fait l’étude d’impact, que « Ces précisions limiteraient sans aucun doute les litiges et les contentieux » ? Abandonnant les règles coutumières du droit français sur la base de telles approximations, on ne s’attendra pas à ce que l’introduction de solutions qui lui sont étrangères soit beaucoup mieux justifiée.

B. L’introduction de solutions étrangères

22.  Comme pour combler le vide laissé par la suppression de la cause, le projet se propose d’introduire en droit français des obligations les notions d’abus de faiblesse et de clauses abusives (art. 3, 2°). Le rapport n’est pourtant que très lointain, considérant que la notion de cause n’a jamais eu pour fonction, quoi qu’on en ait, de garantir l’équilibre des prestations, son rôle se bornant sur ce point à sanctionner l’absence totale ou quasi-totale de contrepartie et à préserver l’essentiel de la volonté exprimée par les parties. Mais chacun travaille avec ses instruments, et l’on peut comprendre que les auteurs du projet, plus habitués à manier les dispositions consuméristes que les principes du droit commun, aient trouvé leur inspiration dans ces règles particulières (C. consom., art. L. 122-8 et L. 132-1). L’inconvénient est que, en poursuivant cette « véritable inféodation du droit civil au Code de la consommation » (42), la Direction des affaires civiles et du Sceau a œuvré ici comme elle le fait pour transposer à marche forcée les directives de l’Union, sans prendre garde aux conséquences de l’intégration en droit commun de ces transfuges de droits spéciaux (43).

23.  Parfois qualifiée de violence économique, la notion d’abus de faiblesse recouvre en réalité un domaine bien plus vaste, la faiblesse pouvant aussi bien s’inférer de l’état de besoin du contractant que de sa dépendance psychologique ou encore simplement de son ignorance (C. consom., art. L. 122-8). Elle se rapproche plus volontiers dans cette mesure de la lésion qualifiée, que les auteurs du projet se défendent pourtant de vouloir consacrer (44). Quant à la notion de clause abusive, elle viserait en droit commun tous les cas dans lesquels, même sans abus de faiblesse, une stipulation non négociée conférerait un avantage excessif au stipulant, sans que l’on puisse savoir à quel moment cet avantage serait excessif ni même à quoi correspond l’idée de clause non négociée. Car si l’acceptant pouvait négocier et qu’il s’en est abstenu, on ne voit pas pour quelle raison il mériterait protection. Et pour qu’il ne puisse pas même négocier, il faut nécessairement qu’il se soit trouvé dans une situation d’urgence ou de dépendance quelconque. Si bien que, de deux choses l’une : soit la notion de clause abusive recoupe entièrement celle d’abus de faiblesse, et elle est inutile ; soit elle est plus large que cette dernière, en tant qu’elle permettrait de sanctionner la lésion sans avoir à établir une intention d’exploiter la faiblesse du cocontractant, et alors c’est l’abus de faiblesse qui devient sans objet.

24.  Au-delà du champ d’application de ces règles nouvelles, c’est leur sanction qui préoccupe. Si l’on s’en tient aux propositions qui semblent avoir inspiré les services de la Chancellerie, tant l’abus de faiblesse que les clauses abusives octroieraient la faculté au juge de réviser les stipulations litigieuses en vue de rétablir l’équilibre du contrat (45). Ainsi, à partir de concepts aussi flous que ceux d’abus ou d’avantage excessif, le juge serait mis en mesure, non plus seulement de supprimer une stipulation du contrat, ce qui était déjà beaucoup, mais également de changer la teneur de l’accord en en modifiant les clauses ou en y ajoutant. De la sorte, les conventions relevant du droit commun des obligations se trouveraient paradoxalement soumises à un pouvoir d’immixtion judiciaire et à une insécurité dont l’ampleur dépasse de loin celle que connaissent les contrats de consommation ou ceux conclus entre partenaires commerciaux en état de dépendance.

25.  Pour ne pas être en reste, le projet de réforme se propose d’étendre ce contrôle du juge au stade de l’exécution du contrat, en consacrant la théorie de l’imprévision (art. 3, 6°). Ici encore, la Chancellerie applique au droit commun des obligations des solutions qui ne relevaient jusqu’à présent que de règles spéciales. Le droit administratif commande l’indemnisation pour imprévision pour cette raison que l’exigence de continuité du service public interdit au délégataire de la mission de résilier un engagement qui, de ce fait, se présente à ses yeux comme affecté de perpétuité. L’assiette des servitudes devenues plus onéreuses peut être modifiée par le propriétaire assujetti pour cette même raison qu’il s’agit toujours là encore d’un engagement perpétuel. Si les charges grevant les libéralités sont elles-mêmes révisables, c’est à seule fin de respecter l’intention libérale qui caractérise ces actes et qui implique que le gratifié n’en vienne pas à devoir plus qu’il n’a reçu. Quant aux dispositions venant au secours du débirentier ou du prêteur, elles se justifient par faveur pour celui qui s’oblige en l’absence de toute contrepartie (46). Et s’il est parfois permis de tenir compte d’un événement imprévu dans l’exécution des contrats aléatoires (47), c’est simplement parce que la nature de ces contrats suppose que la balance des risques pris par les parties soit entrée dans le champ de leur volonté. Mais c’est une tout autre entreprise que de vouloir introduire la théorie en droit commun à seule fin de préserver l’équilibre initial d’un contrat synallagmatique et commutatif pour lequel les contractants disposent déjà, le plus souvent au moins, d’un droit de résiliation unilatérale (48).

26.  Au vrai, si la proposition inquiète, c’est moins en son principe, qui peut rappeler à son soutien une ancienne tradition (49), qu’en contemplation de sa sanction. Le projet n’apporte ici encore aucune indication, mais on peut légitimement anticiper, au vu des autres choix qu’il réalise, que sa préférence ira aux mêmes travaux qui ont proposé de conférer un pouvoir de révision au juge judiciaire (50), sans que, plus que précédemment, il soit possible de définir l’étendue de ce pouvoir. Rien n’a jamais été dit en effet des moyens qu’il s’agirait de conférer ce faisant au juge pour rééquilibrer le contrat (révision de clauses, suppression, voire adjonction ?), ni de la mesure qu’il lui serait demandé d’atteindre (équilibre originaire du contrat ou celui redevenu supportable ?). À défaut d’autres précisions, il est à tout craindre que la théorie de l’imprévision que l’on cherche à introduire soit en passe de devenir celle de l’imprévoyance (51).

27.  Les apôtres du solidarisme contractuel se réjouiront sans doute de tant de pouvoirs soudainement octroyés au juge pour défaire et refaire l’accord des parties en considération de l’idée qu’il se fait de la justice contractuelle. Mais alors, puisque ces choix apparaissent clairement à présent comme des choix politiques, on acceptera d’autant plus mal que la réforme cherche à se soustraire au débat public. Joint à l’ensemble des règles nouvelles qui sont destinées à rester celées jusqu’au jour de la publication de l’ordonnance à venir, ces quelques préventions lancées contre l’actuel projet font redouter que, dans l’euphorie du renouveau, les néo-codificateurs aient perdu un peu de cet « esprit de modération [qui] est le véritable esprit du législateur » (52). Au temps révolu où, pénétré des leçons du passé, on tremblait encore de réformer les codes, il ne serait venu à personne l’idée de jeter le droit français dans un système qui lui est si profondément étranger. Pour autant que ces mots puissent toujours résonner quelque part aujourd’hui, souvenons-nous seulement que « cette fois encore, pour faire une œuvre égale ou supérieure à la première, il suffira de bons ouvriers, fidèles aux anciennes méthodes et à la tradition nationale » (53).

Janvier 2014

(1) Article 3 du projet de loi du 27 novembre 2013 relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures, dont les autres dispositions prévoient nombre d’autres habilitations, de bien moindre portée cependant, telles que celles visant à aménager les règles d’administration du patrimoine des mineurs et des majeurs protégés (art. 1er), à introduire une procédure d’instrumentation authentique des testaments pour les personnes sourdes ou muettes (art. 2, 1°), à permettre le changement notarié du régime matrimonial même en présence d’enfants mineurs (art. 2, 2°), à préciser les règles de l’usucapion, après abrogation des actions possessoires (art. 4), ou encore à modifier la composition et à étendre les attributions du Tribunal des conflits (art. 7). Quant au droit de la responsabilité, il est prévu de soumettre un projet de loi au vote des parlementaires, sans doute à l’occasion de l’introduction en droit français du préjudice écologique.
 (2) Selon le souvenir de Ripert : « Le bilan d’un demi-siècle de vie juridique », DH 1950, p. 2, à propos alors des autres codes napoléoniens. Le droit des obligations réformé, et abstraction faite de quelques dispositions isolées, ne resteront plus en effet du Code originaire que le droit des biens, et le régime de quelques contrats spéciaux. Mais le premier est manifestement appelé à suivre le mouvement, de l’aveu même des rédacteurs de l’actuel projet de loi. Quand aux seconds, on sait bien qu’ils ne doivent leur persistance intra codex qu’à leur développement hors du Code.
 (3) Sur les circonstances propices à cette forme de codification, v. B. Oppetit, « La notion générale de codification », D. 1996, chr., p. 33, reprod. in Essai sur la codification, PUF, 1998, p. 7 et s., spéc. p. 19.
 (4) L’étude d’impact jointe au projet de loi s’appuie en ce sens sur les termes du rapport favorable qui avait été rendu par la Chambre du commerce et de l’industrie de Paris sur consultation de la Chancellerie (« Vers un droit des contrats modernisé et mieux adapté à la vie des affaires », rapp. D. Kling, 9 oct. 2008).
 (5) Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, dir. P. Catala, 2005, Doc. fr., 2006 ; Pour une réforme du droit des contrats, dir. F. Terré, Dalloz, 2009 ; Pour une réforme du régime général des obligations, dir. F. Terré, Dalloz, 2013.
 (6) La portée internationale même de la codification n’était nullement étrangère aux préoccupations des rédacteurs. Qu’on se rappelle seulement ces mots de Portalis, tout juste revenu aux affaires comme commissaire du gouvernement auprès du Conseil des prises maritimes : « Nous avons étonné et ébranlé l’Europe par l’éclat de la force de nos armées ; il est temps de la rassurer par nos principes » (discours d’installation, 14 mai 1800). Rappr. égal. discours de présentation devant le Corps législatif du titre préliminaire du Code civil, 3 frimaire an X, in P. A. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. VI, p. 34.
 (7) L’emphase est rarement absente de l’exposé des motifs des projets de réforme. Celle employée ici n’est pas sans rappeler les termes des motifs qui avaient servi à justifier l’adoption par ordonnance du nouveau Code de commerce, avec la maîtrise que l’on sait (D. Bureau et N. Molfessis : « Le nouveau Code de commerce ? Une mystification », D. 2001, chr., p. 361).
 (8) Sur de telles prémisses, on pourrait s’étonner que le droit de la responsabilité civile ne soit pas concerné par le projet de loi, considérant que l’explosion jurisprudentielle du titre IV le désignait plus que tout autre à une telle entreprise de rénovation.
 (9) « Il ne faut pas se voiler la face : tout développement de la jurisprudence s’accomplit par érosion du principe de légalité. » (J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve République, Flammarion, 1996, p. 58).
 (10) J. Portalis, « Examen des diverses observations proposées contre le projet de code civil », in Discours, rapports et travaux inédits, publ. par F. Portalis, 1844, p. 64.
 (11) Les rares éléments d’information qui ont pu être obtenus de la Direction des affaires civiles et du Sceau du Ministère de la Justice au-delà des textes présentés au Sénat l’ont été lors d’une brève réunion d’information organisée le 12 décembre 2013 à l’initiative du Centre de droit civil des affaires de l’Université Paris X – Nanterre.
 (12) Ou estime-t-on vraiment que, abstraction éventuellement faite du pouvoir conféré au juge de réviser les clauses pénales excessives (art. 1152, rédac. L. 9 juill. 1975), relèvent des principes fondamentaux du droit des obligations la réduction de dix à cinq ans du délai de prescription de l’article 1304 (L. 3 janv. 1968), ou l’introduction des dispositions relatives à la preuve et à la forme électroniques (L. 13 mars 2000 et 21 juin 2004) ?
 (13) V. not. déc. n° 82-144 du 22 oct. 1982 reconnaissant valeur constitutionnelle au principe de responsabilité pour faute ; déc. n° 99-419 du 9 nov. 1999 pour le droit de résiliation unilatérale des engagements à durée indéterminée ; ou encore déc. n° 2000-437 du 19 déc. 2000 et n° 2011-117 QPC du 7 oct. 2011 pour la liberté contractuelle entendue comme le droit au maintien de l’économie des conventions.
 (14) J. Carbonnier, « Le Code civil », in Les lieux de mémoires, dir. P. Nora, t. II, Gallimard, 1986, reprod. in Le Code civil – Livre du Bicentenaire, 2004, p. 17 et s., spéc. p. 33. V. égal. Y. Gaudemet, « Le Code civil, « Constitution civile de la France », in Le Code civil – Un passé, un présent, un avenir, publ. Univ. Panthéon-Assas, Dalloz, 2004, p. 299, pour qui « la constitution civile structure et organise finalement davantage une nation que sa constitution politique », si même « le Code civil, constitution civile de la France, est aujourd’hui en péril d’être rabattu au rang de recueil de législation civile. »
 (15) Rappr. à nouveau J. Carbonnier, Essais sur les lois, 2e éd., Defrénois, 1995, p. 18 : « On dit toujours que les lois vieillissent ; mais il y a aussi une plus-value que le temps apporte aux lois : il en fait des coutumes. »
 (16) L’hypothèse n’est pas d’école : v. N. Molfessis, « Deux figures législatives en vogue : l’abrogation par mégarde et la résurrection fortuite », RTD civ. 2001, p. 688.
 (17) « Les théories nouvelles ne sont que les systèmes de quelques individus ; les maximes anciennes sont l’esprit des siècles » (J. Portalis, discours présent. préc. (supra, note 6), p. 40).
 (18) Sur quoi v. not. A. Esmein, « L’originalité du Code civil », in Le Code civil – Livre du centenaire, A. Rousseau, 1904, t. I, p. 5 : « Les rédacteurs du Code, les bons ouvriers de cette formidable tâche, ne prétendaient aucunement à être des créateurs ; c’étaient des disciples et non des prophètes. » Comme pour mieux préciser sa pensée, l’historien ajoutait plus loin : « le droit qu’il contient est, nous l’avons vu, un droit historique et national, non imaginé mais vécu, l’âme des générations, non le rêve des individus. » (ibid., p. 16).
 (19) Selon les renseignements pris auprès des émissaires de la Chancellerie, lors de la réunion d’information précitée, supra, note 11.
 (20) La démonstration est volontiers menée par les auteurs mêmes de ces ordonnances. V. ainsi M. Guillaume, « Les ordonnances : tuer ou sauver la loi ? », Pouvoirs 2005, n° 114, p. 117.
 (21) Pour un panorama récent, v. « Les ordonnances prises sur le fondement de l’article 38 de la Constitution », rapp. Sénat, févr. 2014.
 (22) C’est dans cette perspective qu’avaient été adoptées les lois habilitant le gouvernement à recodifier par voie d’ordonnances le Code de commerce, le Code monétaire et financier, le Code de la santé publique, le Code de l’action sociale, le Code de l’environnement, le Code de l’éducation, le Code de la route et le Code de justice administrative (loi n° 99-1071 du 16 déc. 1999), le Code rural, le Code général des collectivités territoriales, le Code du patrimoine, le Code de l’organisation judiciaire, le Code de la recherche et le Code du tourisme (loi n° 2003-591 du 2 juill. 2003), ou encore le Code du travail (loi n° 2006-1770 du 30 déc. 2006).
 (23) Ainsi la loi d’habilitation n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 habilitant le gouvernement à réformer le droit de la filiation par voie d’ordonnance se justifiait-elle par l’urgence et l’encombrement de l’ordre du jour du Parlement (déc. C. constit. n° 2004-506 DC du 2 déc. 2004, consid. 5 : « l’urgence est au nombre des justifications que le Gouvernement peut invoquer pour recourir à l’article 38 de la Constitution ; qu’en l’espèce, l’encombrement de l’ordre du jour parlementaire fait obstacle à la réalisation, dans des délais raisonnables, du programme du Gouvernement tendant à simplifier le droit et à poursuivre sa codification »).
 (24) Il est vrai que l’on pourra trouver un précédent dans le projet de loi d’habilitation à l’origine de la refonte du droit des sûretés, qui ne se prévalait d’aucune infirmité du Parlement. Mais il n’est pas sûr que le cadre restreint de l’habilitation finalement obtenue autorisait la création d’un livre quatrième dans le Code civil (L. 2005-842 du 26 juill. 2005, art. 24).
 (25) Sur quoi, v. spéc. Y. Gaudemet, art. préc., supra, note 14, pp. 306-307 : « Tâche politique éminente à l’époque du Code civil, participant au premier chef à la révélation et à l’organisation d’une société rénovée, la codification est ravalée aujourd’hui en France (comme à l’étranger ou au sein de l’Union européenne) au rang d’une activité bureaucratique, bornée à des objectifs de clarification du droit, d’accessibilité au droit. C’est l’univers de la codification administrative qui se nourrit de son propre emballement et qui pourrait, demain, englober tout ou partie du Code civil, après avoir – laborieusement – digéré le Code de commerce. […] Elle [la codification administrative] est, dans son principe, un mauvais coup porté au Code civil, qu’elle ne peut appréhender que comme un recueil – vénérable mais donc un peu désuet – de lois civiles. […] Bref il y a confusion dans les termes qui se traduit par une dévaluation de la codification pour n’être plus qu’un outil technique, une tâche de l’administration parmi d’autres, remplie avec les moyens de l’administration et dans le langage et les formes de celle-ci. » Pour la critique du recours systématique aux ordonnances, v. du même auteur : « La loi administrative », RDP 2006, p. 65.
 (26) V. supra, note 11.
 (27) Projet de réforme du droit des contrats, Min. Justice, mai 2009 ; Projet de réforme du régime général des obligations et des quasi-contrats, Min. Justice, mai 2011, tous les deux consultables sur Internet.
 (28) Information apportée par la directrice de cabinet du Garde des Sceaux lors d’une conférence de presse donnée le 8 janvier 2014.
 (29) À s’en tenir même au plan adopté, le parti pris ne manque pas d’étonner. À suivre l’exposé des motifs en effet, le titre IV relatif aux obligations non contractuelles serait entièrement vidé pour être transféré dans un titre III élargi, mais laisserait donc encore en dehors le titre IV bis relatif à la responsabilité du fait des produits défectueux… À moins qu’il n’ait été en réalité décidé d’abroger tout ensemble les titres IV et IV bis du livre troisième.
 (30) Sur quoi, v. Pour une réforme du droit des contrats, dir. F. Terré, Dalloz, 2009, dont le présent projet s’est manifestement inspiré sur ce point.
 (31) Pour la démonstration contraire : P. Catala, « Deux regards inhabituels sur la cause dans les contrats », Defrénois 2008, art. 38866, p. 2365 ; M. Pasquau Liaño, « L’abandon de la notion de « cause » en droit français : un service au droit européen des contrats ? », Rev. dr. Assas 2010, n° 1, p. 68.
 (32) Telle était bien la solution retenue par l’Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, dir. P. Catala, 2005, Doc. fr., 2006, qui détaillait le régime de la cause dans une dizaine d’articles au lieu de trois.
 (33) V. not. M. Planiol, « Inutilité d’une révision générale du Code civil », in Le Code civil – Livre du centenaire, A. Rousseau, 1904, t. II, p. 958 : « dans bien des cas, une réforme n’est que le remplacement d’inconvénients anciens, que tout le monde connaît, par des inconvénients nouveaux, qu’on ne soupçonne pas encore, et dont la pratique révèle ensuite la nature et l’étendue ».
 (34) C’est « une règle de méthode législative que, pour bien abroger, il faut d’abord bien connaître : les institutions à abattre ont souvent des ressorts cachés, des droits souterrainement acquis qu’il importe de déceler pour mieux les extirper, sous peine de les voir rebondir plus tard » (J. Carbonnier, « Légiférer avec l’histoire ? », Droit et société, n° 14, 1990, p. 13 s.). La récente expérience néerlandaise est sur ce point édifiante : le coût total de l’adoption d’un nouveau code civil en 1992 a été évalué à trois milliards d’euros pour les cinq premières années de son application, et à à nouveau plus de trois autres milliards au cours des quinze années suivantes (v. E. Hondius et A. Keirse, « Does Europe Goes Dutch ? The Impact of Dutch Civil Law on Recodification in Europe », in The Law of Obligations in Europe – A New Wave of Codifications, Sellier, 2013, p. 306). Il a en effet fallu compter, au-delà des seules difficultés d’application, avec le nombre considérable de départs à la retraite anticipée de la part des avocats et des magistrats, et avec le coût de formation, pris partiellement en charge par l’État, des professionnels restants.
 (35) Pour la critique de cette innovation : Ph. Malinvaud, « Le « contenu certain » du contrat dans l’avant-projet « chancellerie », D. 2008, point de vue, p. 2551 ; A. Ghozi et Y. Lequette, « La réforme du droit des contrats : brèves observations sur le projet de la chancellerie », D. 2008, chr., p. 2609, n° 10 et s. Naturellement, une critique du même ordre pouvait être faite à la notion d’«intérêt », un temps pressentie pour succéder à celle de cause (v. Projet de réforme du droit des contrats, Min. Justice, mai 2009).
 (36) Le projet adopté par le groupe de travail dirigé par François Terré ne cache pas la difficulté, qui comprend dans le contenu du contrat aussi bien ce qui a été « tacitement admis » que « toutes les suites que la loi, l’équité, les usages et les pratiques donnent à l’obligation d’après sa nature ».
 (37) V. infra, n° 22 et s.
 (38) Au moins les droits étrangers non causalistes sont-ils sur ce point plus conséquents, qui ne connaissent pas la notion d’enrichissement « sans cause » mais celle d’enrichissement « injustifié ».
 (39) « Contrairement au régime général des obligations, où les suggestions sont les bienvenues. » (verbatim de la réunion d’information préc., supra, note 11).
 (40) « Les parties vieilles d’un code peuvent être corrodées par l’acide des pratiques contraires, mais c’est l’idéologie qui emporte les digues. Parce qu’elle est générale, aucune objection particulière ne lui est opposable. » (J. Carbonnier, Essais sur les lois, 2e éd., Defrénois, 1995, p. 184).
 (41) Sur la critique de ces autres propositions : http://www.ledroitcritique.fr/le-projet-de-reforme-du-droit-des-contrats.
 (42) D. Bureau, « Remarques sur la codification du droit de la consommation », D. 1994, chr., p. 291, spéc. p. 295.
 (43) Mais il est vrai que « c’est une loi de sociologie juridique qui s’affirme, selon laquelle les droits spéciaux se construisent par émancipation du Code civil, pour venir en retour influer sur les règles qui le composent, manière de « spécialiser » le droit commun plus que de le restaurer. » (N. Molfessis, « Le Code civil et le pullulement des codes », in Le Code civil – Un passé, un présent, un avenir, publ. Univ. Panthéon-Assas, Dalloz, 2004, p. 337).
 (44) Réunion d’information préc., supra, note 11.
 (45) Pour une réforme du droit des contrats, dir. F. Terré, Dalloz, 2009, art. 66 et 67.
 (46) V. C. civ., art. 275, al. 2, et 276-3, pour la révision de la prestation compensatoire, et art. 1889, pour le droit du commodant à reprendre son bien au cas de « besoin pressant et imprévu de sa chose ». Rappr. art. 2007, in fine, qui, apparu à une époque où le mandat était généralement gratuit, reconnaît au mandataire le droit de mettre fin à sa mission s’il peut faire valoir « un préjudice considérable ».
 (47) C. assur., art. L. 113-4. Adde loi n° 49-420 du 25 mars 1949, art. 4, al. 4, rédact. loi n° 63-628 du 2 juillet 1963, pour les rentes viagères adossées à une clause d’échelle mobile.
 (48) C’est avant tout pour les contrats de longue durée que se pose la question de l’imprévision. Or, statistiquement, et hors législation particulière, les contrats à durée déterminée sont très rarement stipulés pour des termes à longue échéance.
 (49) Il s’agit là en effet de la condition rebus sic stantibus apparue en droit canonique et qui fut un temps sous-entendue dans les conventions, comme le sera plus tard la condition si fides servitur à l’origine de l’actuel article 1184 du Code civil.
 (50) Pour une réforme du droit des contrats, dir. F. Terré, Dalloz, 2009, art. 92. Contra : Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, dir. P. Catala, 2005, Doc. fr., 2006, art. 1135-3 ; Projet de réforme du droit des contrats, Min. Justice, mai 2009, art. 101.
 (51) Selon le mot célèbre de Henri Capitant, « Le régime de la violation des contrats », DH 1934, p. 1 et s., in fine.
 (52) J. Portalis, discours présent. préc. (supra, note 6), p. 42, d’après Montesquieu, L’esprit des lois, XXIX, 1.
 (53) A. Esmein, art. préc. (supra, note 18), p. 21.